Tageblatt: Décrivez-vous en trois mots.
Rita Sajeva: Je me sens forte mais faible, et j’ai une grande sensibilité.
Quelle a été votre introduction au monde de l’art?
La sensibilité envers l’art est une habitude qui s’apprend quand on est enfant. Il faut grandir avec le sens de l’art en soi pour pouvoir le comprendre. Enfant, mon père m’emmenait aux Musées du Vatican. J’ai appris l’art comme si j’avais faim, sans trop d’explications. C’est cela qui m’a permis de vraiment comprendre plus tard. En tant qu’artiste, il faut connaître les ingrédients avec lesquels on travaille. Je n’accepte pas trop l’ignorance de la part des artistes. Beaucoup de personnes font semblant de tout connaître. Il faut toujours rester curieux.
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Les femmes sont sous-représentées dans le monde de l’art. Afin de combattre ce déséquilibre, la série de portraits FR_A_RT présente des femmes artistes qui ont un lien avec le Luxembourg. Chaque portrait consiste en une interview et des photos. Le projet comprend divers genres d’arts visuels ainsi que des artistes établies et de nouvelles venues.
Pour vous, que signifie être sculptrice?
La tridimensionnalité et le contact avec la matière sont très importants pour moi. Mon travail est devenu mon ami le plus proche, mon amant, mon partenaire. Je ressens des émotions très fortes quand je travaille. C’est un travail dans la solitude où on s’interroge beaucoup. Grâce à lui, j’ai trouvé mon équilibre et ma confiance en moi-même, même si cette recherche ne se termine jamais vraiment.
Et être une femme artiste?
La sculpture, c’est féminin. Dans la préhistoire, c’était à la femme de créer des bols et des assiettes avec de l’argile. Généralement, c’est la femme qui est la vraie créatrice, pas l’homme. Une femme peut avoir la sensation de liberté, mais elle n’est jamais vraiment libre. La création est comme une prolongation de soi-même. Même si on arrive à se détacher physiquement de son œuvre, on n’y arrive pas avec les émotions. Le cordon existe toujours, de manière spirituelle. Ton enfant, c’est une part de toi purement émotionnelle. La maternité, c’est une émotion incroyable, c’est la vie. Elle est dans tout mon corps.
Quelle est votre démarche pour créer une statue en bronze?
D’abord, je fais un positif en argile ou autre qui a la forme de la pièce finale. Puis, je fais un négatif en plâtre. Dans le négatif, je coule la cire liquide jusqu’à ce qu’elle ait une certaine épaisseur. Une fois refroidie, je sors la forme en cire, je l’enveloppe avec de la terre réfractaire qui résiste à la chaleur. Quand je chauffe le tout, la cire s’évapore et j’ai enfin un négatif dans lequel je peux couler le bronze. Finalement, je dois nettoyer le bronze et ressouder certains endroits. Je me laisse toujours guider par la matière.
Que voulez-vous faire ressentir aux personnes qui regardent vos œuvres?
Ce qui est beau, c’est qu’il y a des personnes qui ont besoin de toucher mes œuvres, de les caresser. Ça leur permet de rentrer dans un autre espace, dans une autre réalité. Pour moi, ça veut dire que j’ai réussi à mettre dehors mes propres sentiments.
Quels sont vos projets?
Je ne suis pas à la fin de mes projets. Être à la fin de ses projets, c’est être à la fin de l’être humain. Mais tout est devenu relatif. Je n’ai plus le temps pour tout. Quand j’étais plus jeune, je travaillais tout le temps, et je cherchais l’approbation des autres. Mon corps en garde des traces – j’ai mal au dos et j’ai beaucoup de cicatrices. Maintenant, je fais tout plus calmement, comme je le sens. Depuis que je me laisse aller, les choses viennent vers moi, tout est plus facile. Ça me permet aussi de rencontrer des personnes et de vraiment leur parler. Je ne veux plus me fermer à la vie.
Pensez-vous retourner en Sicile un jour?
Non, même si j’ai très mal vécu le déménagement au Luxembourg. Chez moi, j’avais la mer, le soleil. Quand je suis montée dans l’avion en Sicile à 26 ans, je me suis retournée vers la mer et j’ai respiré comme une condamnée à mort. Maintenant, j’aime le vert, les falaises, le calme et même quand il fait ne pas beau. Parfois, je voudrais être là-bas, mais quand je suis là-bas, je veux être ici. C’est le sort des émigrant.e.s.
Que manque-t-il à la scène artistique au Luxembourg?
Le pays s’est beaucoup développé. Il y a eu des investissements dans l’architecture et le patrimoine et on a une inflation d’artistes. Mais il manque quelque chose d’essentiel. Ici, j’ai l’impression que l’art est souvent un élément de statut plutôt que de l’amour réel. On n’est pas assez ouvert à la vraie beauté.
Quelle artiste luxembourgeoise recommandez-vous?
Ann Vinck.
De Maart












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