Dans l’introduction de „Femmes criminelles“ intitulée „Embarquement pour Cythère, débarquement en enfer“, Gilbert Thiel commence par soulever un paradoxe qu’il se plaît à rappeler: „Mais on s’abstint pendant des siècles de s’interroger sur les crimes commis par les femmes, actions d’autant plus dérangeantes voire angoissantes pour les hommes qu’elles révélaient une double transgression, celle de l’interdit du meurtre et celle de la mère qui donne la vie“ (p. 15).
Par ailleurs, Cesare Lombroso, fondateur au XIXe siècle de l’école de criminologie transalpine s’attache, dans son traité intitulé „La femme criminelle et la prostituée“ à définir la femme criminelle en ces termes: „La criminelle née est, pour ainsi dire, une exception à double titre comme criminelle et comme femme (…). Elle doit donc, comme double exception être plus monstrueuse“ (p. 16). La déification de la femme-mère conduit même un certain nombre de psychologues et de criminologues du XIXe siècle à considérer la femme criminelle comme le symbole même du vice, de la perversité et de la monstruosité.
Chiffres et méthodes
Chiffres à l’appui, l’auteur questionne certains stéréotypes en soulignant le fait que, selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, en France, au cours par exemple des années 2012 et 2013 cumulées, si 398.000 femmes ont été victimes de violences au sein de leur couple, 149.000 hommes – donc toujours beaucoup moins que les femmes – ont été l’objet de maltraitance physique de la part de leurs conjointes/femmes, etc. À cela s’ajoute le fait, par exemple, des violences conjugales entre femmes homosexuelles.
Articulé en dix-huit sous-rubriques (des „Empoisonneuses“ à „Drôles de dames, drôle de drame“), l’ouvrage de Gilbert Thiel dresse un passionnant et stimulant inventaire de criminelles célèbres qui, du XVIIe siècle à notre époque, ont commis l’irréparable selon des modalités que l’auteur détaille avec un réel talent de conteur, et ce d’autant plus qu’il fut souvent personnellement confronté à ces cas judiciaires dont il instruisit le dossier. Cette situation particulière crée une intimité dans les coulisses de laquelle il nous fait pénétrer en sorte d’éprouver la sensation de partager, parfois pas à pas, l’envers du décor médiatique et de nous plonger dans le dossier d’instruction.
Récits addictifs
Gilbert Thiel sait faire la part des choses en dosant le degré de précision et/ou de technicité qu’il intègre dans son récit qu’il rend toujours haletant tout en ménageant une certaine tension diégétique. Cet inventaire peut ainsi être considéré comme un ouvrage de consultation ponctuelle en fonction, par exemple, de la catégorie recherchée, ou encore comme une monographie que l’on parcourt dans son ensemble. Le style de Gilbert Thiel n’hésite pas à tremper son calame dans l’encre de l’ironie, de l’assertion gnomique qui donne à réfléchir et, de façon générale, dans une fluidité de plume rendant le lecteur addict aux récits dont divers journaux et plusieurs émissions (à l’instar de „Faites entrer l’accusé“ où il intervient dans le cadre de l’affaire Guy Georges, arrêté sur son mandat) se sont faits l’écho.
C’est ainsi une stupéfiante galerie de femmes tristement célèbres qui défile de manière thématique. Parmi les empoisonneuses, l’on retiendra entre autres le nom de l’infirmière Rodica Negroiu qui sévit à Maxéville, une commune située près de Nancy. Parmi les femmes „pas très catholiques“, Louise Grouès (veuve Bassarabo), la peu charitable tante de l’abbé Pierre, s’est défavorablement fait connaître des services judiciaires pour l’assassinat de son mari, ou encore Marie-Élisabeth Cons-Boutboul, inculpée pour complicité d’assassinat sur son gendre. Le chapitre intitulé „Les dépeceuses et ‚autre tronçonneuse’“ est particulièrement captivant car il recense les cas de Sylvie Reviriego, la „dépeceuse hivernale“, et surtout celui de Simone Weber, surnommée „la diabolique de Nancy“ (décédée le 11 avril 2024 à l’âge de 93 ans à Cannes dans les Alpes-Maritimes) à laquelle l’auteur consacre vingt-sept pages (p. 202-229).

Mariées à un tueur en série
En outre, les femmes de tueurs en série, comme Michelle et Monique, occupent près de trente pages dans le récit (p. 265-293): „Elles avaient toutes deux un patronyme correspondant à un prénom masculin: Martin pour Michelle et Olivier pour Monique (…) l’une et l’autre avaient apporté un concours actif à la commission des abominables crimes de leur mari, Marc Dutroux et Michel Fourniret.“ Parmi les „terroristes“, les femmes d’Andreas Baader, retiendront toute l’attention du lecteur, qui se replonge ainsi dans les années noires du début des années 70 où Baader devint „l’ennemi public numéro un de la République fédérale d’Allemagne“. L’ouvrage est aussi avantageusement complété par une bibliographie variée permettant au lecteur tous azimuts de s’informer sur tel ou tel aspect susceptible de faire l’objet d’un approfondissement documentaire.
A propos de l’auteur
Né à Metz en 1948, Gilbert Thiel est un ancien magistrat dont la carrière exceptionnelle le conduisit du tribunal de grande instance de Paris à la section antiterroriste, où il est affecté en 1995 et où il s’occupe notamment des affaires corses. Au cours de son parcours, il a instruit notamment les affaires des fausses factures de Nancy, de Simone Weber, de Guy Georges (tueur de l’est parisien) et d’Yvan Colonna. À la retraite depuis 2014, il est l’auteur de nombreux ouvrages portant sur le monde judiciaire au nombre desquels figurent entre autres „On ne réveille pas un juge qui dort“ (2002), „Magistrales insomnies“ (2005), „Mafias“ (2014), „Faites entrer l’acquitté“ (2021), „Tueurs en série made in France“ (2023) et „Femmes criminelles“ (2024), qui brosse le portrait d’une cinquantaine de femmes ayant défrayé la chronique dans des affaires judiciaires retentissantes.
De Maart
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