Donnerstag27. November 2025

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Film „Dossier 137“ en salles au LuxembourgPoursuivant son exploration de l’univers de la police, Dominik Moll signe un polar intense et tendu

Film „Dossier 137“ en salles au Luxembourg / Poursuivant son exploration de l’univers de la police, Dominik Moll signe un polar intense et tendu
Léa Drucker joue Stéphanie dans le film d’enquête „Dossier 137“ Photo: Fanny Degouville

Un film d’enquête captivant, avec des fausses pistes, des rebondissements, des témoignages contradictoires, sur fond de fracture sociale: rencontre avec le cinéaste Dominik Moll à propos de „Dossier 137“.

Tageblatt: „Dossier 137“ est-il basé sur des faits réels?

Dominik Moll: L’affaire telle qu’elle est dans le film n’existe pas, mais, par contre, je me suis inspiré de plusieurs dossiers réels. Par exemple, en vrai, la famille de la protagoniste ne vient pas de Saint-Dizier, mais de la Sarthe. En 2018, un jeune homme, de 21 ans à l’époque, participait, en famille, à une manifestation de gilets jaunes à proximité des Champs-Élysées. Il s’était fait arracher la main par une grenade de CRS. Dans le film, la victime est atteinte à la tête. Par ailleurs, dans une affaire marseillaise, une jeune femme s’est fait tabasser par des policiers à la fin d’une manifestation de gilets jaunes alors qu’elle n’était pas manifestante. Tous les services se couvrent mutuellement et personne ne sait de qui il peut bien s’agir. Donc plusieurs affaires nous ont inspirés, Gilles (Marchand, co-scénariste, ndlr) et moi, desquelles nous avons repris des éléments.

Pourquoi le contexte des gilets jaunes?

On s’est documentés début 2023, au moment des manifestations contre la réforme des retraites en France qui ont aussi occasionné des conflits, des blessés … Mais, assez vite, j’avais envie de revisiter la période du mouvement des gilets jaunes parce que, en 2023, plus personne n’en parlait. Un peu comme si cet épisode n’avait jamais existé alors qu’il fait partie maintenant de l’histoire de la France. Ce mouvement, complètement inédit, spontané, sans leader, sans interlocuteur, a fait que le gouvernement ne savait absolument pas comment y réagir. Du coup, il s’est très rapidement répandu sur tout le territoire français. Après, lors du covid, tout le monde était confiné chez soi. Du coup, la pandémie était comme un coup d’éponge qui avait tout effacé. Par la suite, on n’en parlait plus alors que les problèmes que pointait le mouvement existaient toujours. Je ne voulais pas réaliser un film pendant le mouvement des gilets jaunes. Mais le recul permet de constater que beaucoup des affaires de policiers étaient mises en cause pour des violences. Le temps de l’instruction, de la procédure et même d’un éventuel procès, est très, très long. Des affaires n’ont même pas encore été jugées.

L’enquête revient régulièrement dans vos films. Pourquoi cette préférence?

Aperçu du film
Aperçu du film Photo: Fanny Degouville

Avant „La Nuit du 12“ (2022, sept Césars, dont celui du meilleur film), je gardais les policiers toujours hors de mes histoires. „Harry, un ami qui vous veut du bien“ (2000) montre des victimes, mais pas d’enquêtes de police. J’avais l’impression qu’elles existaient déjà tellement dans les séries télé, au cinéma. „La Nuit du 12“ raconte plus l’histoire d’un enquêteur hanté par une affaire qu’il n’arrive pas à résoudre. Dans „Dossier 137“, il me semblait intéressant de comprendre comment cela se passe quand un policier enquête sur un autre policier. Une situation quand même assez incongrue parce que les policiers sont censés enquêter sur des brigands et pas sur leurs collègues qui ont peut-être commis des violences qu’ils n’auraient pas dû exécuter. Comment ce service fonctionne-t-il? Que dit-il sur notre démocratie? Ces questions sont passionnantes.

Les images et vidéos mises à la disposition de Stéphanie sont ambiguës.

Au cours de mon immersion à l’IGPN, j’étais frappé par l’importance des images et des vidéos dans les enquêtes. Je voyais parfois les enquêteurs montrer des images, les commenter, expliquer ce qu’on y voyait ou pas, ce qu’on pouvait en déduire … Et je me suis rendu compte que, même lorsqu’il y a une image sur laquelle on voit relativement clairement les faits, elle ne révèle pas une vérité objective pour autant. Et, parfois, même un enquêteur pas sûr de lui, va appeler des collègues. Et chacun va voir un élément un peu différent. S’agit-il d’un geste policier délibéré ou d’un accident? Un manifestant s’apprête-t-il à lancer un objet ou non? Chacun ne va pas forcément voir la même chose.

Dossier 137

Stéphanie Bertrand (Léa Drucker) intègre le service de l’IGPN (la police des polices, en France) après s’être séparée de son compagnon, avec qui elle travaillait aux „stups“. Elle accomplit son travail le plus rigoureusement possible. En ce mois de décembre 2018, la mobilisation des gilets jaunes est à son comble. Les forces de police sont mises à rude épreuve. Stéphanie reçoit la plainte d’une femme dont le fils, Guillaume, a été touché très grièvement par un tir de LBD (lanceur de balles de défense) à la tête. Il est à l’hôpital, aphasique. Il s’agit pour l’inspectrice de remonter la piste d’incidents intervenus entre des policiers et des gilets jaunes et d’enquêter sur d’autres policiers pour traquer d’éventuels dérapages ou bavures. Une tâche ingrate, délicate. Le cinéaste césarisé pour „La Nuit du 12“ livre un polar implacable dans les coulisses de l’IGPN, méconnue du grand public, souvent suspectée de partialité.

Le jeune fils de Stéphanie dit: „Pourquoi tout le monde déteste la police?“

On suit Stéphanie dans sa fonction d’enquêtrice dans les bureaux de l’IGPN mais on la voit aussi dans sa vie privée avec son ex-mari, son fils, ses parents … En fait, à chaque fois, elle est renvoyée à sa fonction de policière comme si elle ne parvenait pas à se débarrasser de son métier ou que son métier n’arrivait pas à la quitter. Sa mère ne comprend pas trop ce qu’elle fait. Son ex-mari qui est aussi policier demande, avec reproche, si travailler à l’IGPN discrédite la police ou au contraire lui donne une meilleure image. Le fils de Stéphanie n’ose pas dire que ses parents sont policiers parce qu’ils ont une mauvaise image.

Ce devrait être l’inverse.

Normalement, la relation entre la police et les citoyens devrait être faite de confiance sur le comportement des policiers et leur déontologie … Dans les faits, en France, la plupart des gens ont peur de la police. Ce n’est pas du tout normal. Ils ont une mauvaise image des forces de l’ordre et, du coup, ils finissent par dire que tous les policiers sont des bâtards et, même, les détestent. Évidemment, les policiers vont se recroqueviller sur eux-mêmes, avoir une attitude très corporatiste ou se sentir agressés, ce qui durcit les fronts de chaque côté. Beaucoup de policiers vivent mal cette situation.

Quelles sont les conséquences?

On constate un taux très élevé de suicides dans la police. Mais les politiques et les syndicats policiers pensent qu’on peut y répondre en donnant encore plus d’armes aux policiers et en renforçant l’idée qu’ils vivent dans un environnement hostile où tout le monde leur veut du mal et que les méchants manifestants veulent même aller jusqu’à les tuer. C’est une mauvaise réponse au mal-être de la police. La seule solution, c’est de redonner du sens à leur métier.

En France, la plupart des gens ont peur de la police. Ce n’est pas du tout normal. Ils ont une mauvaise image des forces de l’ordre et, du coup, ils finissent par dire que tous les policiers sont des bâtards et, même, les détestent.

Dominik Moll, cinéaste

Ce sens a complètement disparu parce que les politiques ne s’appuient que sur le maintien de l’ordre ou ne tablent que sur la répression. La police devient une espèce de forces qui font des incursions dans les banlieues, à grand renfort de coups, voire de chiffre … On n’est plus du tout dans une police citoyenne. Il y a visiblement une incapacité de la part des hommes et des femmes politiques en France, de celles et ceux qui sont en tout cas aux commandes d’admettre qu’il y a des violences policières. Mais à un moment donné il faut avoir des paroles claires aussi pour rendre service à tous les policiers qui essaient de bien faire leur travail et qui se sentent aussi désavoués d’une certaine façon si on trouve des excuses à ceux qui le font mal.