Une interview au demeurant plutôt bienveillante, qui a fait pousser à Pierre-Henri Dumont, secrétaire général du parti LR, ce cri très ironique: „Vive l’ORTF!“ Allusion à ce qu’avait pu être la télévision d’Etat (à laquelle n’appartient pourtant pas TF1) du temps où Georges Pompidou lui demandait d’être „la voix de la France“ (gouvernementale, s’entend). Il y avait en effet quelque chose de laborieusement propagandiste et qui aura sans doute mis plus d’un téléspectateur mal à l’aise, dans cet exercice soigneusement cadré, monté, peut-être revu et corrigé grâce au pré-enregistrement de dimanche.
Qui n’entendrait en effet sans irritation – ou embarras, c’est selon – le chef de l’Etat ainsi relancé après une bonne heure et quart d’autosatisfaction émaillée de quelques moments d’émotion contrite surjouée et de tardives déclarations d’amour aux Français: „Et maintenant, monsieur le Président, parlons de vous?“
Un „bavardage hors-sol“?
Car il s’est à l’évidence agi, a insisté M. Dumont, exprimant là un sentiment manifestement très répandu, à gauche comme de droite, d’une „grande opération de désamorçage de tout ce qui sera potentiellement reproché à Emmanuel Macron durant sa future campagne présidentielle“, le tout „en ‚prime time’ sur la première chaîne de France et en dehors du temps de parole dévolu à chaque candidat par le Conseil supérieur de l’audiovisuel“.
Pour Jean-Luc Mélenchon et sa France insoumise, ces deux longues heures télévisées de verbe macronien, en principe consacrées au thème „Où va la France?“, se sont résumées à un „bavardage hors-sol“. „Macron devait parler de la France, il a parlé de Macron, avec 67 millions d’absents ce soir: les Français, leurs colères, leurs attentes, leurs espoirs“, a pour sa part regretté le porte-parole communiste Ian Brossat.
Même tonalité chez les socialistes avec Boris Vallaud – „Où va la France? Il ne l’a pas dit“ – et le premier secrétaire du parti, Olivier Faure, de surenchérir: „Macron réinvente l’interview Potemkine avec ce discours: ‚J’ai appris, j’ai changé et c’est pour ça que je vais continuer comme avant.’ A l’extrême droite, Eric Zemmour y a vu quant à lui „un numéro de narcissisme et de nombrilisme“. Et dans des milieux plus modérés, la tonalité était hier à peu près la même à cet égard.
Ambiguïté
Ces critiques de l’opposition n’ont évidemment rien d’inattendu. Mais elles auraient moins de chances de porter dans l’opinion si la plus grande ambiguïté ne planait sur cette très longue et complaisante prestation du locataire de l’Elysée sur les petits écrans. Une prestation organisée alors même que la campagne présidentielle n’est pas officiellement ouverte, ce qui permet à l’Elysée quelques sérieux arrangements avec la loi.
Ces deux grandes heures télévisées ne pourront être ainsi ni attribuées aussi aux autres candidats ni décomptées du total de temps de parole du président sortant. Lequel affecte de se comporter sans référence à l’échéance électorale d’avril prochain, alors qu’il est très évidemment candidat à sa propre succession. Même s’il s’est bien gardé de répondre à toute question sur le sujet.
M. Macron – président? Candidat? Toujours l’ambiguïté – s’est ingénié, durant cet interminable monologue, à convaincre les téléspectateurs qu’il n’est plus le jeune énarque à l’intelligence froide de 2017, mais un homme que les épreuves ont mûri et acquis désormais à l’amour de la France et des Français. Il s’est montré assez fier de son bilan, construit face à des difficultés qui, telle la crise sanitaire, ne lui étaient certes pas toutes imputables. Cela suffira-t-il à modifier son image? Il devait répondre à la question „Où va la France?“. Il pourrait bien avoir laissé les téléspectateurs-électeurs face à une autre interrogation, plus terre-à-terre: „Où va Macron?“
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