Freitag21. November 2025

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Passion livres / On ne s’arrête pas de courir

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À peine Noël et ses gestes barrière digérés, voilà déjà que Livres Hebdo, le magazine français des professionnels du livre, annonçait la grille de départ de la rentrée littéraire d’hiver 2022. Cette année, les écuries éditoriales se sont surpassées en positionnant 545 candidats, désormais en lice pour… Mais pour quoi en fait ? Cela n’aura échappé à personne que les prix d’automne ne sont plus de saison, les librairies étaient toujours pleines avant Noël et, l’inflation éditoriale étant ce qu’elle est, peu de chance que des places se libèrent dans les prochains jours. Alors pourquoi cette nouvelle flambée de la production littéraire (+ 9,5% tout de même, c’est-à-dire + 52 titres par rapport à 2021), avec un nombre significatif de poids lourds (Pierre Lemaitre, Leïla Slimani, Maylis de Kerangal, Éric Vuillard, Nicolas Mathieu …), affichés sur la grille au côté DU poids lourd des poids lourds, bien installé en pole position, qu’est le dernier roman de Michel Houellebecq?

Parmi les éléments de réponse, peu littéraires, le tout premier tient en quatorze lettres et en deux mots: „la présidentielle“. Avec un soleil médiatique national capté début 2022 par une élection au sommet, les éditeurs français ont souhaité prendre la lumière le plus tôt et le plus durablement possible. Autre raison essentielle expliquant cette rentrée prolifique (la plus importante depuis 2016), les + 16% de vente de livres sur les onze premiers mois de l’année 2021, record en cours. Eh oui, le livre est de retour. Celui qu’on annonçait moribond, étouffé dans son papier jauni par le numérique et les nouvelles pratiques culturelles, a paradoxalement repris du poil de la bête en plein confinement. En France, une seule vague de coronavirus en aura donc fait plus pour la librairie indépendante que des dizaines de campagnes de communication sur le prix unique du livre, élevant ce commerce culturel de proximité au rang d’emblème du petit commerce.

Alors, pour ne pas tourner trop vite la page d’une rentrée littéraire d’automne de grande qualité, on a choisi trois romans de 2021 à lire toutes affaires cessantes, avant d’attaquer les 544 suivants, plus les 736 pages d’„Anéantir“, dernier opus houellebecquien, qui, question concurrence, porte sans doute bien son titre.

Pour une fois, on ne boudera pas le prix Interallié, tout en restant fidèle au Prix Blù Jean-Marc Roberts, puisque „Ne t’arrête pas de courir“, le passionnant roman-enquête de Mathieu Palain sur le destin de Toumany Coulibaly, athlète hors normes et braqueur de pharmacies, a été couronné deux fois cet automne. Une double distinction méritée, tant ce récit personnel remonte avec talent la trace existentielle de cette comète sportive, tout en s’interrogeant avec intelligence sur le rôle du journaliste, c’est-à-dire sur la place délicate que tient celui qui témoigne de cette histoire incroyable. D’un côté, une enfance difficile dans une famille malienne de dix-huit enfants en banlieue parisienne, et des prédispositions athlétiques phénoménales pour le 400 mètres qui le conduisent en équipe de France ; de l’autre, l’inconstance et l’impossibilité de dire non à des coups plus tordus les uns que les autres, au point de braquer un magasin de téléphones le jour même où il devient champion de France de sa discipline. Un roman du réel saisissant, qui parcourt des chemins de vie inattendus et se penche sur les effets causés par l’emprisonnement et le milieu pénitentiaire. Le récit d’une amitié aussi, improbable et touchante.

Autre histoire relationnelle intense, celle d’un adultère contée par Maria Pourchet dans „Feu“, un roman qui brûle tout ce qu’il touche, à l’image de la passion dévorante que vit Laure, cette professeure d’université mariée et mère de famille, pour Clément, la cinquantaine, cadre supérieur perdu dans le monde de la finance et handicapé sentimental notoire. Jouant avec l’intensité du désir amoureux, qui emporte avec elle toute considération rationnelle, l’auteure tisse un roman fiévreux où les points de vue des protagonistes alternent dans chaque chapitre. L’effet est irrespirable. Écriture vive, drôle, chaotique, inventive, à la hauteur des sentiments qui se jouent dans ce duel amoureux où chacun est aveuglé par son propre désir, et où les deux se trouvent peu à peu en se perdant eux-mêmes toujours davantage.

Pour finir et rester en feu, consultez d’urgence „Le Voyant d’Étampes“, ce magnifique roman politique et rageur, prix de Flore 2021 plus que justifié. Après „Sœur“, Abel Quentin s’attaque à la difficulté avec son personnage d’universitaire, alcoolique et décalé, qui prend sa retraite et ne comprend rien aux exigences identitaires des nouvelles générations, pas plus qu’à la logique invasive des réseaux sociaux. Gare, la chute sera rude pour ce mâle blanc, pétri de l’universalisme antiraciste des années 80, qui s’est lancé dans la biographie d’un poète afro-américain venu percuter l’existentialisme et le marxisme de l’intelligentsia germanopratine dans les années d’après-guerre. Enfin un roman qui parle mal et qui fait du bien.

Laurent Bonzon

Mathieu Palain

Ne t’arrête pas de courir
L’Iconoclaste, 2021
432 p., 19 €

Abel Quentin

Le Voyant d’Étampes
Les Éditions de l’Observatoire, 2021
384 p., 20 €

Maria Pourchet

Feu
Flammarion, 2021
360 p., 20 €