Dienstag4. November 2025

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Artistes entre Luxembourg et BerlinOlivier Garofalo: „L’art ne doit pas servir à influencer, mais à penser, et à poser les bonnes questions“

Artistes entre Luxembourg et Berlin / Olivier Garofalo: „L’art ne doit pas servir à influencer, mais à penser, et à poser les bonnes questions“
Portrait de l’auteur, conseiller dramatique et metteur en scène Olivier Garofalo Photo: Léonie Fuchs

Auteur, conseiller dramatique et metteur en scène, Olivier Garofalo a quitté le monde du théâtre allemand après quatorze années de loyaux services, pour prendre son indépendance et se consacrer à son métier d’écrivain. Sélectionné par la résidence d’écriture Literarisches Colloquium Berlin (LCB), il a résidé deux mois à Berlin pour s’atteler à un nouveau projet.

Olivier Garofalo a passé les mois d’août et octobre en résidence d’écriture au prestigieux Literarisches Colloquium Berlin (LCB), un lieu emblématique de création pour les auteurs*autrices et traducteurs et traductrices d’Europe. Ces huit semaines lui ont offert le temps nécessaire pour approfondir un nouveau projet, intitulé „Abenddämmerung“, „crépuscule“.

C’est dans ce cadre propice à l’expérimentation qu’il poursuit une œuvre toujours traversée par les questions d’origine, d’identité et d’appartenance: „Dans ‚Abenddämmerung’, l’idée est de parler d’une jeune femme adoptée par une famille luxembourgeoise ou allemande. En plus d’être une femme, elle a la peau noire. D’entrée, on peut se dire: Ah, mais moi, je suis un homme et je suis blanc, ai-je le droit d’écrire sur cette situation-là? Mais de l’autre côté, un sujet qui revient souvent dans mon travail est l’origine, l’endroit d’où l’on vient. Qu’est-ce que ça fait de venir d’un autre pays, est-on assimilé ou non, les questions d’intégration, tout ça, et ce que cela a comme conséquences sur les êtres humains. Les mêmes questions se posent dans le travail, dans la famille: comment réagissent les parents? Tout cela dans le contexte d’une société qui vire de plus en plus à droite. Dans ma pièce, je suis encore en train de décider lequel des personnages blancs va se rapprocher le plus des valeurs de la droite. Ce sera peut-être le père. Il aime sa fille, mais de l’autre côté, il pense que les étrangers ne sont pas des gens bien. Il y a un paradoxe.“

Fil rouge et nouveautés

Toutes ces thématiques étaient déjà abordées dans une pièce antérieure, „Im Umbruch“ (mise en scène au Mierscher Theater en 2022), laquelle s’attachait à poser la question de l’influence de la pensée de droite sur la vie privée. Garofalo poursuit ainsi une réflexion entamée de longue date, mais la lie également à une nouvelle interrogation intime et politique: celle de sa propre légitimité, en tant qu’homme blanc, à écrire l’histoire d’une jeune femme noire. „Il y aura des dialogues et des monologues de Laura, le personnage principal, qui aborderont le sujet, et je suis encore en train de chercher où intégrer dans la pièce des réflexions plus vastes sur cette question. Je veux également parler du fait que moi, en tant qu’écrivain, j’ai le pouvoir du discours, et qu’il faut se demander qui a ce pouvoir dans notre société. Qui décide? Qui parle? Qui est écouté?“

Scène de la pièce „Don’t Wait for the Marlboro Man“, traduite en anglais et jouée au Upstream Theater à Saint-Louis aux Etats-Unis
Scène de la pièce „Don’t Wait for the Marlboro Man“, traduite en anglais et jouée au Upstream Theater à Saint-Louis aux Etats-Unis Copyright: Upstream Theater

Si les idées qui nourrissent sa pièce mûrissaient en Garofalo depuis longtemps, une rencontre a joué un rôle décisif dans le passage à l’écriture. „Pour ‚Abenddämmerung’, j’ai fait des recherches. Je connais une personne qui a vécu une situation semblable à celle du personnage de Laura. Voyant mon intérêt pour son histoire, elle m’a incité à l’écrire. C’est également de cet encouragement-là qu’est née la pièce. Et comme cette personne fait partie de l’origine du projet, il est logique pour moi qu’elle en accompagne l’écriture en quelque sorte, raison pour laquelle je lui ai fait lire un premier exposé, qu’elle a commenté.“

Mais le cœur du projet dépasse la seule question identitaire: „Ce qui m’intéresse avant tout dans ma pièce, c’est la question du racisme. La question de comment vivre en solidarité. Cela se retrouve dans pratiquement toutes mes pièces, avec la question de la liberté, de la sécurité, d’autant plus à présent que notre société vire à droite.“ Olivier Garofalo a pour ambition que ses écrits soient reçus et compris à une échelle européenne. Lors de sa résidence au LCB, il a fait entre autres la rencontre de la poétesse slovaque Zuzana Husárová, avec laquelle une collaboration future se dessine. „De manière générale, grâce à mon réseau en Europe centrale et de l’Est, mais également en Arménie, aux États-Unis et à Taïwan, ma réflexion et mes écrits prennent une dimension internationale plus marquée.“

Le parcours

Le parcours singulier de Garofalo est fait de détours et d’expérimentations. L’auteur n’est pas venu au théâtre par vocation, mais presque par hasard. „Je ne me vois pas comme un auteur. Ce n’était pas une vocation depuis tout petit. Au début, j’aurais voulu être acteur, mais j’ai très vite remarqué que je n’avais aucun talent. Et puis, je ne viens pas d’une famille qui allait au théâtre. Donc, en fait, je ne connaissais rien. J’ai essayé de faire des études en tant que metteur en scène. Et puis, j’ai fait des études de lettres en allemand et j’ai commencé à écrire, simplement parce que je voulais mettre en scène, mais je ne trouvais pas les pièces qui m’intéressaient, car je ne savais même pas où trouver les pièces. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à écrire. Ensuite, je suis allé à Bruchsal en tant que conseiller dramatique, où la possibilité d’écrire s’est à nouveau présentée à moi. J’avais fait une recherche sur Stammheim et le directeur du théâtre m’a demandé si je voulais en faire la mise en scène. Avec ce texte et l’ensemble, j’ai développé une pièce. Et puis est venue ‚Es ist, was nicht war’, qui est encore jouée à Stendal et qui a été traduite en polonais. J’ai également été auteur en résidence au Théâtre National du Luxembourg, et tout s’est ensuite développé. Pour moi, c’était un peu comme dans ‚La Métamorphose’ de Kafka … Un jour, je me suis réveillé dans mon lit et j’ai découvert que j’étais devenu auteur. Voilà. Et maintenant, après près de quinze années passées dans le théâtre, je suis apparemment devenu écrivain, et je veux essayer de travailler en tant qu’indépendant. On va voir combien de temps j’y parviens.“

Passer du statut d’employé de théâtres allemands à celui d’auteur indépendant a été une transition marquante, empreinte d’humilité: „Quatorze ans dans le théâtre, c’était beaucoup de travail. Ton GSM, le midi, il fallait le recharger parce qu’il se passe toujours quelque chose. On part travailler à 9.00 h du matin, on rentre à 23.00 h le soir, et on ne fait que travailler, dormir et recommencer. Et après avoir quitté ce milieu, je me suis retrouvé seul à la maison et tout à coup, on ne reçoit plus aucun appel. On n’est plus personne. Et ce qui a changé aussi, c’est le côté financier, parce que bien sûr, auparavant, j’avais mon salaire. Mais pour l’instant, je dois dire que je ne regrette rien, parce que j’ai pu vivre des expériences très importantes pour moi. Ce n’est pas facile, car il faut survivre, on a besoin d’argent, ce qui est toujours un problème dans les arts – sauf pour ceux qui ont de la chance ou qui sont géniaux. Mais je ne suis pas génial, moi.“

Prise de conscience

Désormais libre de ses choix, Garofalo cherche un nouvel équilibre, entre indépendance et responsabilité, création et engagement. „J’ai une grande chance de pouvoir écrire et être indépendant maintenant, je veux utiliser cette opportunité. Auparavant, tout était lié au théâtre, mais aujourd’hui, toutes mes pensées ont à faire avec la littérature, et je crois, j’espère, que je vais écrire différemment, peut-être mieux, si je continue à évoluer dans ce milieu-là.“

Série

Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“.

Cette évolution s’accompagne d’une prise de conscience plus large du rôle que l’art peut jouer dans la société. „Auparavant, j’écrivais ce que je voulais, sans me soucier de l’impact du texte ou de ma responsabilité. Mais il y a quelques années, je suis retourné à Bruchsal car l’une de mes pièces y était jouée. Lors de la conférence de presse autour de la pièce, pour la présentation de la saison, un instituteur retraité était présent. Apparemment, il était très nerveux, et il a fait l’aller-retour chez lui pour aller chercher un roman qu’il est revenu m’offrir. C’était un livre qu’il avait écrit. Il m’a rappelé qu’à l’époque où je travaillais encore à Bruchsal, en 2011, il m’avait donné un manuscrit à lire. Je lui avais fait un retour et l’avais encouragé, ce qui l’avait poussé à écrire d’autres textes. Et à présent, j’ai une place dans sa vie pour toujours, et ce roman existe et a une place dans la vie d’autres personnes. L’art a changé beaucoup de choses dans ma vie. Je crois que c’est là notre responsabilité, en tant qu’artistes: de faire en sorte que les choses bougent. Les artistes sont importants pour une démocratie qui fonctionne. Pour moi, l’art ne doit pas servir à influencer, mais à penser, et à poser les bonnes questions – pour qu’il puisse se produire un changement, une évolution.“