L’histoire du temps présentNovembre 1943 – Le grand remplacement

L’histoire du temps présent / Novembre 1943 – Le grand remplacement
Les „Volksdeutsche“ des régions occupées étaient souvent amenés dans le Reich par train Photo: WikiCommons/Bundesarchiv Bild 137-065360 

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Il y a exactement 80 ans, une politique d’échange de population de grande dimension était appliquée au Luxembourg. Des Luxembourgeois que le régime nazi considérait comme politiquement peu fiables, mais racialement précieux, étaient expulsés en famille, et par milliers, tandis que des „Volksdeutsche“ originaires du Sud-Tyrol et des Balkans prenaient leur place.

Le 5 novembre 1943, une association nouvellement créée, le Südtiroler Heimatverband, organisait sa première soirée de rencontre au Luxembourg. Il y eut ce soir-là des danses folkloriques, un chœur d’hommes entonna des chants et une troupe de théâtre se produisit pour la première fois. Pour clore le volet culturel de la soirée, on avait fait venir un orchestre de la Wehrmacht. Mais il y eut aussi un volet politique, durant lequel des dignitaires nazis vinrent saluer la contribution des expatriés du Sud-Tyrol à l’œuvre de „consolidation de la race allemande“ entamée par le régime nazi au Luxembourg.1) Ces gens n’étaient en effet pas de simples migrants, mais des colons implantés dans ce territoire occupé qu’était alors le Grand-Duché pour en hâter la germanisation. D’autres „Volksdeutsche“, originaires d’Europe de l’Est, étaient, au même moment, installés dans les fermes confisquées à des milliers de Luxembourgeois réinstallés de force à des milliers de kilomètres de chez eux.

Expulsions de masse en Lorraine

Quelques mois après avoir été nommé chef de l’administration civile allemande (CdZ) au Luxembourg, le Gauleiter Gustav Simon avait songé à en expulser ceux qui refusaient de se soumettre au nouvel ordre allemand et national-socialiste. En octobre 1940, jugeant le nombre d’adhésions à la Volksdeutsche Bewegung (VdB) insuffisant, il avait multiplié les déclarations allant dans ce sens. „Wenn ein Beamter glaubt, Deutschland nicht dienen zu können, der Weg nach Südfrankreich steht ihm frei“2), avait-il lancé 19 octobre 1940, au cours du meeting à Esch.

Le 29 octobre 1940, s’exprimant face à un parterre d’enseignants et en présence du ministre de l’Éducation du Reich, Bernhard Rust, il avait également déclaré: „Als ich herkam, hätte ich tun können, wie mein Kollege in Lothringen, und Sie wissen, meine Herren, was dort geschieht. Aber ich habe mir gesagt, du hast es hier mit deutschen Menschen zu tun. Dieses Land ist deutsche Erde. Und auf diesem Boden dulde ich nur deutschbewusste Menschen. Wenn ein Erzieher sich nicht entschließen kann, der Volksdeutschen Bewegung beizutreten, da gehe ich bis zur Landesverweisung.“3)

Les faits auquel le CdZ faisait référence eurent lieu entre juillet et novembre 1940. Le Gauleiter Josef Bürckel, homologue de Simon dans le département français de la Moselle, avait procédé à l’expulsion de quelque 100.000 habitants „de culture française“, estimant que ce territoire qui, comme le Luxembourg, avait été annexé de fait au Reich, devait être uniquement peuplé d’Allemands. Bien que Simon ait agité ce précédent comme une menace, il n’était pas disposé à agir de la même manière.

La colère des „experts raciaux“ SS

Les expulsions de Bürckel avaient déclenché la fureur des „experts raciaux“ de la SS. Pour eux, ni la langue, ni le sentiment d’appartenance nationale n’étaient des critères suffisants pour déterminer la „race“ de quelqu’un. À leurs yeux, seules comptaient les caractéristiques physiques et les traits de caractère transmis de génération en génération aux membres d’un même „Volkskörper“. À leur avis, la plupart des Mosellans expulsés par Bürckel n’étaient pas des Français, mais des Allemands qui avaient perdu la conscience de leur race.

En les expulsant, Bürckel n’avait pas seulement privé le Reich d’un matériel humain qui selon eux était forcément de qualité supérieure, car germanique. Il en avait aussi fait cadeau à cette nation française dont la dégénérescence se trouvait ainsi freinée. Simon avait choisi de ne pas commettre la même erreur que Bürckel. Il s’abstint donc dans un premier temps d’expulser des opposants en grand nombre et s’efforça même d’empêcher que des „éléments de grande valeur raciale“ ne puissent quitter le Reich.

Ce n’est qu’après l’introduction du service militaire obligatoire et les grèves qui s’ensuivirent qu’il changea d’avis. Mais il prit alors soin d’agir de concert avec les instances SS chargées de la politique raciale du Troisième Reich, en particulier le „Reichskommissariat für die Festigung deutschen Volkstums“ (RKFDV), dont il était le délégué au Luxembourg, et la „Volksdeutsche Mittelstelle“ (VOMi).

Le sort des „Umsiedler“

Les premières familles d’„Umsiedler“, puisque c’était par cet euphémisme qu’étaient désignés ceux qui devaient être réinstallés de force ailleurs dans le Reich, quittèrent le Luxembourg dès septembre 1942. Le 10 juillet 1943, face à la forte augmentation du nombre de désertions, Simon décida d’étendre cette mesure punitive à toutes les familles de déserteurs. Le 27 novembre 1940, constatant que des familles qui, jusque-là, étaient jugées politiquement fiables risquaient d’être transplantées, il émettait de nouvelles consignes demandant d’agir avec discernement. Cela signifiait concrètement qu’il revenait à une „Umsiedlungskommission“ de décider qui devait être transplanté.

L’ „Umsiedlung“ était bien une mesure punitive. Les familles qu’elle frappait étaient expropriées de leurs biens immobiliers et n’avaient le droit d’emporter que peu de bagages. Ils étaient ensuite conduits dans des camps de regroupement comme ceux de Hirschberg et Leubus en Silésie, Schreckenstein dans les Sudètes ou Metzenhausen dans le Hunsrück. Ils y étaient logés dans des baraques collectives et soumis aux travaux forcés, mais leur condition de détention n’avait absolument rien à voir avec celle des déportés dans les camps de concentration. S’ils obtenaient une évaluation positive, ils pouvaient par ailleurs quitter les camps auxquels ils avaient été assignés et s’installer ailleurs – à condition que ce lieu se trouve dans le Reich et, surtout, à l’Est du Rhin.

La logique raciale de l’échange de populations

La logique de leur punition était avant tout raciale. Le régime nazi voulait réimplanter des familles qu’il considérait comme politiquement peu fiables, mais racialement précieuses, dans des territoires indubitablement allemands et largement nazifiés. Les parents étaient peut-être irrécupérables, mais leurs enfants, noyés dans un océan de germanité, finiraient par s’assimiler entièrement dans la „Volksgemeinschaft“ et le Reich récupèrerait ainsi du précieux matériel humain.

L’autre face de cette politique était le remplacement des „Umsiedler“ par des „Volksdeutsche“ originaires du Sud-Tyrol, mais aussi de Croatie, de Bosnie et de Bukovine, un territoire aujourd’hui partagé entre la Roumanie et l’Ukraine. Ces Allemands déracinés, qui devaient tout au Troisième Reich, avaient pour mission de renforcer le caractère germanique de ce „Grenzland“ stratégique qu’était le Luxembourg. Par leur exemple, ils devaient aussi encourager leurs voisins luxembourgeois à entendre „la voix du sang“.

Jusqu’à la fin de l’occupation, près de 1.400 familles originaires du Luxembourg, soit quelque 4.200 personnes, furent réinstallées de force dans l’est du Reich. Quant au nombre de „Volksdeutsche“ installés à leur place, il est encore incertain. Paul Dostert estimait qu’une centaine d’exploitations agricoles expropriées avaient été cédées à des familles originaires du Sud-Tyrol ou d’Europe de l’Est. Elles disposaient en tout cas d’un réseau associatif et même d’un journal. Si elles n’ont au final laissé que peu de traces, c’est parce qu’elles ont préféré quitter le territoire avec les troupes d’occupation en septembre 1944.


1) „Altes Brauchtum in neuer Heimat“, in: Luxemburger Wort, 5 novembre 1943, p. 3

2) Archives nationales de Luxembourg (ANLux), Fonds Epuration (EPU) 104, mémoire du ministre de l’Epuration du 28 mai 1945, p. 1

3) Idem, p. 2

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26. November 2023 - 19.47

Vifs remerciements pour ce texte M. Artuso - par contre, les termes « grand remplacement » dans le titre heurtent!