HistoireNovembre 1941: „Nous ne voulons ni victoires ni empires“

Le marché que le Troisième Reich offrait aux Luxembourgeois, pendant l’occupation, était à première vue alléchant. La race allemande, affirmait ce régime, était une race supérieure et les Luxembourgeois en faisaient partie. S’ils admettaient cette évidence, ils pourraient dominer l’Europe – et, qui sait, le monde – avec leurs frères de sang. Alors pourquoi les Luxembourgeois furent-ils si nombreux à refuser cette proposition? Pourquoi avaient-ils un mois plus tôt, au cours du recensement organisé par le régime nazi, exprimé le refus à un point tel que l’opération avait dû être annulée en catastrophe?

Pour être tout à fait précis, il faudrait rappeler qu’un an plus tôt ils s’étaient en réalité massivement résignés à accepter l’offre allemande. En octobre 1940, ils avaient adhéré par dizaines de milliers au parti collaborationniste Volksdeutsche Bewegung (VdB). A l’époque, il semblait acquis que l’Allemagne avait gagné la guerre, alors à quoi bon refuser l’évidence? Mais entre-temps les Britanniques avaient montré qu’il fallait encore compter avec eux et les Allemands eux-mêmes avaient relancé la guerre en se lançant dans cette gigantesque entreprise qu’était l’invasion de l’Union soviétique.

Où en était donc ce Reich censé apporter la paix et la prospérité aux Volksgenossen allemands pour au moins mille ans? Eh bien, il était encore en construction et les Luxembourgeois étaient désormais priés de payer leur part du chantier par leurs impôts, leur liberté et à terme, craignaient-ils, le sang de leurs enfants. La raison pour laquelle ils furent donc si nombreux à refuser la proposition allemande était fort simple: c’était un marché de dupes.

Cette réalité est illustrée par une conversation que le Dr Schrey, le directeur du Lycée de garçons de Luxembourg – alors rebaptisé Goetheschule – eut avec un enseignant luxembourgeois, peu après le recensement, et qu’il s’empressa de rapporter à la Sipo-SD: „Wenn wir jetzt dieses Bogen ausfüllen und schreiben ,deutsch‘ hin, dann verraten wir unsere gesamte Jugend, denn damit zwingen wir sie in Ihre Hände. Die Abstimmung wäre für uns eine Katastrophe geworden“, dit l’enseignant luxembourgeois à Schrey: „Damit sie einmal Bescheid wissen, wie es bei ihnen in der Anstalt aussieht, mögen Sie wissen, dass Sie vier Leute hinter sich haben. Mit allen andern können Sie nicht rechnen und werden Sie nie rechnen können. Im Athenäum sind es sogar nur noch zwei, die zur deutschen Sache halten. Die VdB hat sich als Verräterin am Volkstum gezeigt. Wenn ich Sie in Zukunft mit ,Heil Hitler!‘ begrüsse, so tue ich es aus Anstand und Höflichkeit, vor unsre Luxemburger Jugend treten wir niemals, um mit ,Heil Hitler!‘ zu grüssen. […] Wir Beamte haben jetzt nach vorübergehend irriger Einstellung zu unserm Volkstum zurückgefunden. Wir schreiben wohl deutsch, aber sind keine Deutsche, sondern Luxemburger. Wir ziehen das VdB-Abzeichen nur noch im Dienst an, weil das von uns verlangt wird; draussen in der Öffentlichkeit kann das keiner von uns erwarten.“

Ces propos en disaient long sur l’attitude de beaucoup de Luxembourgeois: Oui, ils avaient cru que la collaboration était un moindre mal et, oui, ils avaient aussi espéré pouvoir faire de la VdB la défenseure de leurs intérêts au sein du Reich mais, non, ils n’étaient plus désormais disposés à participer à la transformation de leur pays. Cela ne signifiait pas pour autant qu’une portion critique de la société était désormais disposée à se soulever. Les gens comme l’enseignant qui s’était entretenu avec Schrey avaient peut-être intérieurement rompu avec le régime mais, pour le moment, ils n’étaient pas encore prêts à exprimer ouvertement leur opposition au régime nazi.

Il faut dire que, si l’Allemagne avait relancé la guerre, elle était loin de l’avoir perdue et restait redoutable. La progression de ses forces sur le front Est s’était certes ralentie au cours de l’automne, elles ne s’en rapprochaient pas moins de Moscou. Au Luxembourg même, le régime nazi fit bientôt comprendre qu’il était prêt à écraser tout mouvement d’opposition. En réaction à l’échec du recensement, la Sipo-SD opéra les premières rafles dans les milieux résistants.

Dans la première quinzaine du mois de novembre, près de 200 résistants furent arrêtés. Rien que les 5 et 6 novembre, 119 d’entre eux furent déportés dans le camp de concentration de Hinzert. Deux organisations, qui s’étaient distinguées par leur campagne contre le recensement, furent particulièrement visées: la LPL (Letzeburger Patriote-Liga) et les LFK (Letzeburger Fräiheetskämpfer), dont l’état-major fut décapité. La répression accéléra la restructuration et la professionnalisation de mouvements qui étaient d’ores et déjà en train de se transformer. Si depuis leur création ils s’étaient concentrés sur la contre-propagande, ils avaient commencé à se réorienter vers l’organisation de filières d’évasion.

Le 20 juillet, les Patriotes indépendants, ou PI-Men, très actifs à Differdange, avaient ainsi organisé le premier passage de réfractaires au Reichsarbeitsdienst (RAD) vers la Zone française libre. Malgré l’ordonnance du Gauleiter du 14 octobre, promettant la peine de mort à tous ceux qui traversaient la frontière illégalement, ils avaient étendu leur activité. A la fin de l’année, ils avaient mis sur pied plusieurs itinéraires vers Montpellier, en passant par Lyon.

En novembre 1941, les organisations de résistance évoluaient toutefois encore aux marges de la société. Quant au patriotisme, qui réémergeait à cette époque, il avait moins à voir avec un projet de libération nationale qu’avec la nostalgie d’un âge d’or révolu, comme le notait le Sicherheitsdienst: „Allgemein lässt sich […] feststellen, dass [die] Ansicht, Deutschland werde den Krieg verlieren, wesentlich zurückgegangen ist. Für die Mehrzahl der nicht volksbewussten Luxemburger ist die Frage, wer den Krieg gewinnt, nicht so entscheidend, wie die Frage nach dem Ende des Krieges selbst. Sie hoffen auf ein baldiges Kriegsende, um wieder wie in Friedenszeiten ihrem Erwerbsleben nachgehen zu können.“

A noter que, dans certains milieux, le rejet de l’occupation allait de pair avec des aspirations qui n’étaient pas intégralement nationales: „In jugendlichen Kreisen der Stadt Luxemburg spricht man in der letzten Zeit von einer europäischen Monroe-Doktrin: ,Europa den Europäern‘, nach der Europa wieder so werden solle, wie es vor dem Krieg gewesen sei. Der Führer habe durch seine Reden und Taten den Beweis erbracht, dass er unter allen Umständen die Parole ,Europa den Preussen‘ verwirklichen wolle.“

Quoi qu’il en soit, une partie croissante des Luxembourgeois était désormais convaincue que tout était mieux avant, au temps de l’indépendance. Leur pays ne nourrissait alors aucun rêve d’expansion exaltant, il était petit par la taille et modeste dans ses aspirations, mais il leur offrait la possibilité de s’exprimer sur leur avenir, de vivre en paix et de jouir, bon gré mal gré, d’un certain confort matériel. Beaucoup étaient donc probablement d’accord avec ce tract, saisi fin novembre dans l’Adolf-Hitler-Strasse, l’actuelle avenue de la Liberté:

„Wir brauchen keine Siege keine Reiche

Wir brauchen nur eines Hitlers Leiche.

Nieder mit Hitler und seiner Mörderbande.

Vive Charlotte.“