InterviewNicool: „Sur scène, il faut être transparent avec ses émotions“

Interview / Nicool: „Sur scène, il faut être transparent avec ses émotions“
Nicole Bausch alias Nicool lors du release de son dernier disque „N vun der Welt“ en octobre Photo: Caroline Martin

Jetzt weiterlesen! !

Für 0,59 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

Depuis 2016, Nicool est une des représentantes du rap féminin luxembourgeois les plus connues. Par la force de ses lyrics émotionnels (et émouvants) autant que via la puissance de son flow âpre et cool (à l’image de son nom de scène), Nicole Bausch reprend le flambeau du boom bap. La production oldschool forme un bel alliage avec les rimes rentre-dedans, qui plus sont débitées dans sa langue maternelle. La rappeuse est aussi psychothérapeute. Comment analyse-t-elle alors ses deux activités? Son parcours? Sa position dans le rap? Interview psy.

Tageblatt: C’est un concert de R.A the Rugged Man, il y a huit ans, qui vous a donné envie de faire du rap. Que dirait la Nicool 2016 de la Nicool 2024?

Nicool: Je pense que le message est resté le même. Nicool parle toujours sans filtre; elle utilise aussi des termes vulgaires pour choquer. L’ancienne Nicool, en tant qu’étudiante, avait plus de temps pour chercher des rimes. En 2016, le rap était un rêve plutôt farfelu; je l’ai mené jusqu’au bout. La Nicool de 2016 n’aurait pas cru pouvoir aller aussi loin. Mais elle serait peut-être un peu déçue: la Nicool de 2024 est plus sérieuse, du moins plus réfléchie. Il n’y a pas le choix: le rap est devenu un métier, donc un travail. Et il m’est arrivée de faire des concerts après avoir bossé toute la journée en tant que psy – difficile, parfois, de faire le switch.

Avez-vous trouvé votre flow?

C’est marrant parce que, dans le cadre d’un projet récent, j’ai essayé de faire du poetry slam. Et la personne avec qui je travaillais m’a dit que c’était du rap. Nous avons longtemps discuté de la différence entre le slam et rap, pour en venir à la conclusion que c’était … le flow. Je l’ai pris comme un compliment: j’ai trop de flow pour faire du poetry slam.

Vos textes parlent surtout de vos émotions: musique rime avec thérapeutique?

Au début, il s’agissait pour moi d’un détachement psychologique avec le travail. C’est une question d’équilibre: j’écoute les autres et j’aime raconter ce qui se passe en moi. J’ai commencé à écrire la nuit qui précédait mes examens de bac; comme je n’arrivais pas à dormir, j’ai retranscrit mes pensées. Il y a donc un lien. Cela dit, je n’utilise pas le rap pour faire une thérapie de moi-même, mais pour me vider la tête.

La catharsis a lieu davantage durant les concerts?

Clairement. Pendant un live, je peux être une autre personne. A moins qu’il s’agisse d’une autre partie de moi qui prend le relais.

Très bavard et souvent introspectif, le rap est le genre musical qui se rapproche le plus d’une séance de psy?

Il y a des parallèles entre psychothérapeutes et rappeurs. Un rappeur peut faire n’importe quoi sur scène sans que l’on se pose de questions; un psychothérapeute peut poser des questions très bizarres, en tout cas pas celles qui, d’ordinaire, seraient posées. Je pense aussi que l’authenticité a une importance chez les deux. Sur scène, il faut être transparent avec ses émotions; le public apprécie cela. Le rap est un monde qui m’a beaucoup attirée: quand j’entends des bonnes rimes, je suis éblouie et, en même temps, je veux faire mieux. Et puis j’aime les valeurs du rap, comme l’inclusivité: peu importe à quoi tu ressembles et qui tu es, tant que tu sais rapper – homme ou femme.

Les femmes restent tout de même assez minoritaires dans le rap.

Aux Etats-Unis, des rappeuses se sont imposées assez tôt. Si tu as du talent et que tu bosses, tu peux te faire remarquer. Pourquoi il n’y a pas plus de femmes dans le rap? Je ne sais pas.

C’est un genre avec un contenu parfois très machiste, voire misogyne.

Comme je le dis dans mon projet pour enfants (Nikki Ninja, ndlr.): le rap, c’est un peu comme la pâte à modeler, tu peux en faire un petit lapin mignon mais tu peux aussi en faire quelque chose de vulgaire et d’obscène; mais pourquoi, par conséquent, détester la pâte à modeler? La part misogyne, il faut se demander d’où elle vient. L’éducation. Mais ça n’excuse pas tout, oui.

Nicool s’investit également dans son projet pour enfants „Nikki Ninja“
Nicool s’investit également dans son projet pour enfants „Nikki Ninja“ Photo: Caroline Martin

Vous évoluez dans le rap dit „conscient“: existe-t-il un rap inconscient?

Je pense qu’il existe une sorte de rap superficiel. Cela dit, même en balançant cent fois „Gucci“ dans une chanson, le rappeur a peut-être une émotion à faire passer. Il y a des morceaux où les paroles très simples provoquent un effet énorme. J’admire la réaction de la foule lors d’un concert de trap; les gens sautent et se retrouvent propulsés dans d’autres sphères. Dans le boom bap, le genre d’où je viens et que je pratique, ils bougent la tête.

Instrus, scratchs, production oldschool, flow sec, votre style renvoie beaucoup aux années 1990: ressentez-vous de la nostalgie pour un certain âge d’or du rap?

C’est plutôt le fruit du hasard car mon entourage a écouté ce rap-là. J’ai eu aussi l’influence de la super équipe de De Läbbel, qui m’a fait remonter aux sources du genre. Je suis tombée amoureuse du boom bap et je le suis restée.

Sur „Al“, votre dernier single, vous chantez sur le refrain: souhaiteriez-vous poursuivre dans cette voie?

Quand j’arrive pour un concert et qu’on me dit „ah, tu es la chanteuse!“, je réponds: „Non, je fais du rap; je ne sais pas du tout chanter.“ En ce moment, je prends des cours de chant, mais pour le plaisir. Au début de mon parcours, je voulais faire du beatmaking et du scratching; en fait, je voulais tout faire en même temps. Et il a été plus sage de me focaliser sur un domaine, pour devenir experte. Et je pense que c’est pareil avec le rap et le chant.

La dépression est-elle, selon vous, source de création?

C’est certain. Depuis toujours, je trouve plus facile de créer à partir d’états sombres plutôt que d’écrire pour me contenter de dire que je suis contente. Avant, je passais beaucoup de temps devant la télé, à ne rien faire, jusqu’à ce que je me sente en mesure de créer. Il y a un moment où le déclic arrive: tout ce qui a été gardé en soi doit sortir.

Le média „Viceland“ avait produit „Thérapie“, une série avec des rappeurs qui passaient sur le divan: si vous deviez en psychanalyser un, lequel choisiriez-vous?

J’aimerais beaucoup faire la connaissance de Stromae. Il n’est pas vraiment rappeur, mais j’aime ses textes, en partie pour leur force émotionnelle. Lorsqu’il avait annulé son live à Amnéville, je lui avais envoyé un message pour lui demander s’il allait bien.

„Je suis tombée amoureuse du boom bap et je le suis restée“, dit la rappeuse luxembourgeoise
„Je suis tombée amoureuse du boom bap et je le suis restée“, dit la rappeuse luxembourgeoise Photo: Caroline Martin