Sonntag21. Dezember 2025

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ForumNi silence, ni frontières, même combat face au patriarcat – Jessica Lopes sur la bataille pour l’égalité

Forum / Ni silence, ni frontières, même combat face au patriarcat – Jessica Lopes sur la bataille pour l’égalité
 Photo: archives Editpress/Julien Garroy

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Certaines d’entre nous au Luxembourg ont peut-être le privilège de croire que la bataille pour l’égalité est derrière nous. Après tout, la majorité des victimes de violences intrafamiliales sont des femmes et des enfants, mais tout va bien. L’écart entre les pensions des hommes et des femmes est le plus grand d’Europe, mais ne dramatisons pas. Le travail du care repose encore largement sur les femmes, mais est-ce si grave? Ne parlons même pas de la sous-représentation inquiétante des femmes dans nos instances politiques. Pour certains et certaines, ici tout va bien.  

Malgré ce déni sélectif, j’ose penser qu’une majorité d’entre nous est tout de même d’accord pour reconnaître que les droits des femmes sont en danger au niveau international. Nos démocraties occidentales vacillent, ébranlées par la montée des idéologies réactionnaires qui s’attaquent frontalement aux droits des femmes et des minorités. La perte de confiance dans nos institutions politiques, récemment soulignée par le rapport „Polindex 2024“ relevant que près d’un tiers de la population est lassé et méfiant de nos institutions démocratiques au Luxembourg, nourrit un terrain propice aux attaques antiféministes. Ce n’est pas un hasard si, aux États-Unis, le droit à l’avortement a été révoqué, ni si des mouvements comme celui des „tradwives“ émergent. Ce phénomène ne se résume pas à un choix de vie personnel. C’est un business lucratif, une stratégie politique visant à renforcer un ordre patriarcal en crise. En Italie, en Hongrie, en Pologne ou en Russie et ailleurs, les gouvernements ultraconservateurs profitent d’une perte de repères pour s’attaquer aux libertés des femmes et des minorités. 

Nous devons comprendre que ce qui est en train de se jouer n’est pas une série d’événements isolés, mais une contre-offensive globale. Partout, le patriarcat resserre son emprise et s’en prend à celles et ceux qui contestent ses fondements. Les femmes qui refusent de se conformer deviennent des cibles. Certes, si tu es une „boss lady“ qui reproduit les codes masculins du pouvoir, tu seras tolérée.  

Une menace aux structures de pouvoir

Cette même logique est à l’œuvre dans les zones de guerre et de conflit. Les violences sexuelles ne sont pas des effets secondaires du chaos, elles sont des stratégies de domination intégrées. En Palestine, en Ukraine, à Haïti ou au Congo, les femmes voient leur corps transformé en champ de bataille. Ce fut déjà le cas en Bosnie, où des milliers de femmes ont été systématiquement violées, un crime reconnu bien trop tard comme une arme de guerre. Pendant que j’écris ce texte, les Talibans effacent les femmes de l’espace public, leur interdisant travail, éducation et autonomie. En Iran, elles risquent la prison ou la mort pour un voile mal ajusté. Mais ces atrocités ne sont pas déconnectées de la montée des mouvements antiféministes en Occident et nous ne devrions pas penser qu’elles ne nous concernent pas. Tout cela se produit simultanément, dans une dynamique où l’émancipation féminine est perçue comme une menace aux structures de pouvoir. 

Et ici au Luxembourg, nous aimons croire que les luttes pour les droits des femmes se mènent ailleurs, qu’ici la violence contre les femmes se limite à des accidents domestiques et à des déviances individuelles. Nous nous donnons une image de pays progressiste, mais pendant que la plupart des personnes finissent leur journée de travail, profitent de leurs loisirs ou passent du temps en famille, une armée de femmes migrantes pauvres se met en route pour nettoyer nos espaces. Ce sont aussi elles qui permettent à d’autres de s’émanciper, en s’occupant des enfants et des aîné·e·s, et pourtant, elles restent invisibilisées, souvent sous-payées et mal-logées. Leur labeur est perçu comme une ressource infinie, et nous feignons d’ignorer que leurs droits sont souvent piétinés sous nos yeux. 

Des systèmes administratifs rigides

Les mêmes logiques de domination qui permettent ces violences à l’international sont à l’œuvre ici. Les organisations censées protéger les victimes de violences sont encore réticentes à accueillir les femmes n’ayant pas les bons papiers. Pourquoi? Parce qu’on imagine un „appel d’air“. Comme si protéger une femme pouvait soudainement en attirer d’autres, comme si la vraie menace venait de ces femmes, et non des réseaux criminels ou du patronat qui les exploitent. Plutôt que de les arracher aux griffes des profiteurs, nous les criminalisons, obsédés par leur statut administratif. Plutôt que de leur permettre de parler sans risquer l’expulsion, nous leur imposons le silence, et ce silence permet aux violences de perdurer. 

C’est pour cela que nous exigeons également une reconnaissance des violences fondées sur le genre dans l’octroi de l’asile. Trop souvent, les femmes fuyant des persécutions liées à leur genre, viols, mariages forcés ou mutilations génitales, se heurtent à des systèmes administratifs rigides qui ne prennent pas en compte la spécificité de leurs parcours. Les violences qu’elles subissent sont trop souvent vues comme des dommages collatéraux inévitables d’une immigration clandestine au lieu de les remettre dans le contexte de la violence systémique contre les femmes. L’asile doit être un droit accessible aux femmes victimes de ces violences, et le Luxembourg ne peut plus se permettre de rester en retrait sur cette question.  

Un système qui refuse que nous soyons libres

Et ne nous y trompons pas, cette offensive patriarcale ne vise pas uniquement les femmes. Elle s’attaque aussi aux personnes LGBTQI+, à toutes celles et ceux qui échappent à la logique du patriarcat. L’antiféminisme et la queerphobie ne sont que les deux faces d’une même médaille, celle d’un système qui refuse que nous soyons libres. Un système qui veut nous remettre à „notre place“. Un système qui, dès qu’il se sent menacé, redouble de brutalité.  

La solidarité internationale que nous revendiquons n’est pas une posture humanitaire, c’est une stratégie de survie. Le combat des femmes en exil, des femmes en guerre, des femmes écrasées par la pauvreté est le même que le nôtre. Nous devons exiger des politiques migratoires qui permettent aux femmes de parler sans craindre l’expulsion, qui les protègent réellement et qui leur donnent des droits. Nous devons reconnaître que la guerre contre les femmes se joue aussi dans nos parlements, dans nos institutions, dans nos discours politiques qui banalisent la haine. 

Notre féminisme ne s’arrête pas aux frontières, il ne s’arrête pas à celles et ceux qui nous ressemblent. Tant que nous accepterons que certaines femmes soient sacrifiées, nous accepterons que toutes puissent l’être un jour. Le 8 mars, nous marcherons pour toutes. Parce qu’aucune femme n’est libre tant que nous ne le sommes pas toutes.  

Jessica Lopes est sociologue et travailleuse sociale, engagée pour la justice sociale et les droits des personnes migrantes. Membre de la JIF pour ASTI asbl, elle milite pour une citoyenneté plus inclusive et l’amélioration des conditions de vie des travailleur*euses précaires et des personnes en situation de mobilité.
Jessica Lopes est sociologue et travailleuse sociale, engagée pour la justice sociale et les droits des personnes migrantes. Membre de la JIF pour ASTI asbl, elle milite pour une citoyenneté plus inclusive et l’amélioration des conditions de vie des travailleur*euses précaires et des personnes en situation de mobilité. Photo: archives Editpress/Hervé Montaigu