Montag10. November 2025

Demaart De Maart

Critique littéraire„Miss Mona“ de Tullio Forgiarini, ou: qui a peur des fachos?

Critique littéraire / „Miss Mona“ de Tullio Forgiarini, ou: qui a peur des fachos?
L’écrivain Tullio Forgiarini Photo: Editpress/Julien Garroy

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Vingt-quatre ans après son initiale publication aux Éditions Baleine à Paris, le premier roman de Tullio Forgiarini est réédité par Hydre Éditions, permettant ainsi aux férus de littérature luxembourgeoise de redécouvrir, ou pour ceux qui comme moi n’étaient qu’à peine nés, de découvrir tout court – voilà tout l’enjeu d’une réédition – les débuts de l’univers forgiarinien; un polar ou roman de gare auto-conscient et -critique qui trouve tout autant d’échos aujourd’hui qu’il a dû en avoir (je ne puis le savoir), à l’époque.

„Miss Mona“ s’ouvre sur une scène de crime, ou plutôt sur un texte fictif enchâssé, l’extrait d’un roman de gare avec un protagoniste au doux nom de Nick Tamair, quelques coups de feux suivis d’une fellation, page arrachée d’un livre et épinglée sur le sexe – enduit de pâte à tartiner chocolatée – de Charles-Marie Lépissier, professeur et intellectuel de renommée dont les textes sont discutés par toutes les grandes universités, mais qui là, au-delà d’être retrouvé dans une position saugrenue dans la salle de géographie, avec un caleçon et des chaussettes aux motifs de lapins qui forniquent, a la cervelle explosée qui colle partout sur la carte du monde derrière lui — si on n’appelle pas ça imposer ses idées au monde!

Une enquête à l’envers

Ce qui suit est une sorte d’enquête à l’envers, les deux policiers ne doivent pas débusquer des suspects, mais tout leur tombe dessus et ceux-ci viennent à eux pour revendiquer haut et fort le crime. Il y a Mona (ou Marie-Jeanne Cavalier) avec son complice Arturo qui disent avoir agi par vengeance, Lépissier ayant violé la mineure des années durant, liaison encouragée par un père professeur d’histoire néo-nazi qui voyait dans son collègue un nouveau Führer. Puis José Kayser, auteur du roman de gare retrouvé sur la victime, qui radote des jalousies intellectuelles et amoureuses. Les deux enquêteurs se retrouvent à devoir trier et choisir, souvent dans un bar en avalant de nombreux kirs quand ce n’est pas de la vodka, à qui donner le prix de coupable, ce qui revient moins à départager le vrai du faux, qu’à joindre les petites exigences de leurs supérieurs et du monde de la respectabilité bourgeoise.

Dans ce roman au ton comique et à l’intrigue grotesque, parfois tracé à gros traits un peu forcés, il plane constamment une sorte de faux-semblant („Surveillez-vous ou vous risquez de vous retrouver dans un roman“, p. 38), une auto-conscience de sa fiction, qui met à nu ses rouages narratifs („une métaphore climatique tellement évidente qu’elle ne pouvait échapper à personne. L’histoire touchait à sa fin“, p. 251) et se moque des codes des romans de gare dont l’écriture se joue et se déjoue jusqu’à poindre son propre ridicule („à chaque fois qu’elle alignait trois phrases, elle tombait dans le pastiche grandiloquent“, p. 229).

Cette constante mise à mal volontaire de son propre univers narratif provoque aussi des séismes dans l’aspect naturel et bien agencé du milieu dans lequel il joue, celui de la complaisance bourgeoise d’un Luxembourg dévot et conservateur et aussi celui d’un machisme ambiant. L’écriture de Tullio Forgiarini, si bavarde qu’elle peut se faire quand il s’agit de cocher les cases du roman de gare, est tout aussi précise et vivante, implacable quand il s’agit de donner vie à Mona, personnage d’une défiance fascinante et son impossible besoin d’être prise au sérieux, ou à l’inspecteur Martine Matin, qui au dogme de la beauté féminine et à la réprobation systémique qu’elle en subit, oppose une désinvolture presque ogresque pourtant si pleine d’angoisses.

Triptyque de trois générations

Si sensible aussi, parfois, malgré et à travers le brouhaha par temps un peu lourd de son jeu sur les codes, quand il s’agit de tracer le trio Mona, brigadier Schmitt et Martin qui fonctionne si magnifiquement bien, avec leurs énergies différentes et cette méfiance qui peu à peu vire vers l’entre-aide, l’amitié presque sensuelle entre la fille aux cheveux bleus et le jeune brigadier gay, qui a horreur du masculinisme et des armes, qui se laisse draguer en plaisantant, puis le regard moqueur mais bienveillant de leur ainée Martin. Une sorte de triptyque de trois générations de personnages plus ou moins queer (dans le sens revendicateur du terme) ou féministes et qui représentent différentes facettes de ces mouvements.

„Miss Mona“ par Tullio Forgiarini, apparu chez Hydre Éditions
„Miss Mona“ par Tullio Forgiarini, apparu chez Hydre Éditions Source: Hydre Éditions

Sorte d’ancrage positif qui prend tout son sens ou toute sa nécessité face aux autres personnages du roman, parce que comme le crie Schmitt lorsqu’il s’insurge contre les petits arrangements entre Police et personnes influentes: si les idées de Lépissier et Cavalier deviennent acceptables, „vous ne choisirez même pas la couleur du triangle qu’ils vous colleront“ (p. 135). C’est peut-être ce qui a changé en vingt-quatre ans, aujourd’hui nous n’avons plus peur d’un Cavalier et de son équipe de bras cassés qui vénèrent une poupée Hitler gonflable dans une cave pleine d’armes, mais d’un Lépissier, personnage influent qui infuse ses idées sans entraves. Le fascisme dont on a peur aujourd’hui est la banalisation des idées d’extrême droite, la réinvention marketing des partis pour les rendre plus acceptables, leur adhésion par un toujours plus grand nombre d’électeurs, qui naît dans le marasme politique et éthique que dépeint le roman. Alors qu’ils se targuent de défendre la liberté et crient à la censure dès qu’on débusque la haine dans leurs discours. C’est la peur de figures de proue comme Bardela, qui peuvent sortir un livre tiré à 155.000 exemplaires, soutenu par Vincent Bolloré, milliardaire fasciste, qui au-delà d’une des plus grandes maisons d’éditions, possède un empire de diffusion et de communication dont les chaînes télévisées les plus regardées en France, imposant ses idées dans le débat public (comme la cervelle accolée à la carte du monde) — et son île privée est gardée par un néo-nazi du GUD qui n’a pas besoin de se cacher pour s’entrainer au fusil mitrailleur.

Aussi au Luxembourg, comme le souligne Jeanne Glesener dans la postface de „Miss Mona“, le „prof d’histoire aux tendances idéologiques douteuses, [qui il y a vingt-quatre ans était un personnage de roman,] il a depuis intégré le paysage politique“ (p. 257).