Sonntag21. Dezember 2025

Demaart De Maart

La Grèce en BPM majeur Marína Sátti en concert à la Kulturfabrik

La Grèce en BPM majeur  / Marína Sátti en concert à la Kulturfabrik
Ce soir à la Kulturfabrik à Esch: Marína Sátti  Source: Peggy Theodorogianni

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La musique grecque pulse entre ison byzantin, bouzouki nerveux et rythmes asymétriques qui donnent à la mélodie un pas de côté. Marína Sátti y sculpte une pop agile (choeurs traditionnels, reggaeton, autotune) pour finalement faire du grec une langue de dancefloor. La chanteuse est en concert ce soir à la Kulturfabrik à Esch. Focus.

La musique grecque a le goût du sel et des consonnes qui claquent. Dans le fond, un bourdon byzantin, cet ison qui soutient la mélodie, imprègne le rebetiko des ports. Bouzouki nerveux, baglama plus râpeux, clarino qui pleure, les rythmes bancals donnent à la marche une légère ivresse, comme si l’on gravissait un escalier aux marches très inégales. La langue, avec son accent tonique mobile et ses voyelles ouvertes, impose une ligne chantée qui aime les angles. De là partent certaines trajectoires populaires. Maria Callas, Athénienne d’adoption, taille le bel canto avec une précision tragique qui n’ignore pas le thrénos méditerranéen, alors que ses attaques portent un vibrato de terre et de cendre. Connu notamment pour ses bandes originales atmosphériques de films épiques, Vangelis remplace le choeur antique par des nappes synthétiques, constituées d’héroïsme qui fait du studio une agora cosmique.

Nana Mouskouri est reconnaissable par son timbre diaphane, sa diction en vitrail et son folklore distillé dans la chanson internationale. Demis Roussos, baryton en tunique, mélange l’ornement grec et la pop orchestrale; même lorsqu’il s’anglicise, on entend le balancement du zeibekiko sous la batterie. Autour, Theodorakis et Hadjidakis ont donné à la mélodie populaire une tenue classique, tandis qu’Eleftheria Arvanitaki ou Savina Yannatou replient l’Orient sur Athènes. Et, au rayon cinéma musical, le beau „Xenia“ de Panos H. Koutras (2014) fait danser deux frères à l’ombre lumineuse de Patty Pravo; il s’agit d’un road-movie où l’Italie sert de miroir, ce qui fournit la preuve que la Grèce peut aimer se raconter en chansons empruntées, puis restituées avec son propre accent.

Des docks du Pirée aux toits d’Athènes, la scène a mué sans rompre le fil. Le rap y martèle des pas boiteux: Goin’ Through croise slang et laïko, Active Member étire un spoken-word de bitume, NEBMA découpe des mesures irrégulières sur des kicks carrés. À l’autre pôle, le metal taille des icônes en fonte: Rotting Christ creuse des modes sombres, Nightfall trempe ses harmonies dans un clair-obscur byzantin, Elysion polit des lignes quasiment liturgiques. Et la nervure punk de Chasma garde l’urgence des sous-sols. C’est au centre de ce carrefour, là où bouzouki, 808 et choeurs se répondent, que s’avance Marína Sátti.

Folklore, urbanité et TikTok

Marína Sátti arrive comme une équation résolue à la craie sur un mur d’Athènes. Le folklore est au premier membre, la pop éclaboussée d’urbanité au second; entre les deux, il y a un signe d’égalité qu’elle trace elle-même, puisqu’elle est productrice jusqu’au bout des ongles. Sa musique met à la même table le bourdon byzantin, des mélismes balkaniques, un grain arabe et le rebond métrique où claquent 808 et reggaeton. Formée au lyrique (monodie, opéra), passée par Berklee pour la composition et la production, elle a retenu la discipline du geste, entre précision d’orfèvre et science des timbres. En 2016, elle rassemble Fonés, choeur féminin a cappella pour réactiver les polyphonies traditionnelles; plus tard, elle injecte ce savoir dans la pop.

Sátti lors de l’Eurovision 2024
Sátti lors de l’Eurovision 2024 Source: Arkland, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons

„Yenna“ (2022) se compose de chants anciens, de percussions sèches, d’électro en apesanteur et d’art-pop sans maniérisme. „Tucutum“ (2023) prouve l’efficacité virale de ce mélange: ondule du bassin, clin d’oeil au TikTok-verse, mais syntaxe grecque intacte. Marína Sátti se rend à l’Eurovision 2024 avec „Zári“, et son coup de dés rythmé, ses „ta-ta-ta-ta“ comme un moteur, son flux rap, son mood reggaeton, et puis sa langue, la langue grecque, inattendue dans ce contexte, qui fend la texture de la même façon qu’un instrument à part entière. Quant au clip de la chanson, il promène Athènes en carte postale multipliée, saturée de signes (costumes et icônes pop) jusqu’au collage.

Ce n’est pas du folklore figé, mais plutôt une ville chorégraphiée. Sur disque, l’artiste pratique la coupe franche. L’EP „P.o.p.“ en 2024, puis le LP „Pop Too“, sorti il y a quelques mois, découpent la matière à la seconde: changements de tonalité, débrayages de tempo, samples qui clignotent et autotune à foison. „Epano Sto Trapezi“ part en acid-house avant de basculer vers des vocaux hachés; „Lola“ énumère les commentaires qui lui ont été adressés et y répond par une indifférence performative; „Ela Ela“ effleure le reggaeton romantique avec des échos masculins; „Bye Bye“ choisit le duo rap Negros Tou Moria comme contre-poids; „Igaga“ passe du sucre dance à une noirceur rythmique en une coupure nette. Enfin, „Kavourakia“ déplie un pop-reggae de bord de mer, agrémenté de la guitare nonchalante de Markos Koumaris (Locomondo).

Un export rare

En fait, tout est ici affaire de fragments; à l’ère Insta-TikTok, ce ne sont plus seulement les refrains qu’on retient, mais des gimmicks, tels qu’une formule, un rire ou une ligne de synthé. Sátti l’intègre consciemment, à l’image de son titre „Pop (all the voices in my head)“: toutes les voix qui sont dans sa tête se superposent, comme un montage mental. On pourrait juger la production trop lisse et l’image trop pensée. Elle en joue. Sa pop avance masquée: sous les surfaces brillantes, on entend l’ison ancestral, le balancement asymétrique, un „eh“ guttural qui trahit les ports. Il ne s’agit pas que de moderniser le folklore, plutôt de révéler sa contemporanéité, comme Rosalía l’a fait avec le flamenco ou M.I.A. avec le bhangra et l’électro.

La différence tient, on y revient, à la langue grecque, très peu audible dans le mainstream. Chaque accent tonique déplace la mélodie; chaque voyelle ouvre une baie vitrée. Sátti en fait une arme rythmique. Elle est en plein dans la pop contemporaine autant qu’elle est traversée par la mémoire. Elle est une star, mais d’un pays dont l’industrie exporte peu ses productions sonores. Elle comble ce manque sans folklore de musée ni cosmétique sans âme. Entre la place Syntagma et les timelines, entre un choeur de village et un drop calibré, le résultat tient moins du compromis que de la greffe réussie; c’est un organisme vivant, qui chante en grec et bat au BPM du monde.