Assez désœuvré sur le terrain de la politique intérieure, le président français bénéficie en effet, au contraire, de plusieurs atouts dans la conjoncture diplomatique présente. Le premier d’entre eux est que, puisqu’il s’agit de convaincre l’Europe de la nécessité d’un sursaut très urgent et très important en faveur de sa propre défense, à concevoir désormais sans l’appui américain, M. Macron bénéficie d’une image européenne qui reste forte.
Et cela dans un contexte où le gouvernement de François Bayrou, de son côté, a beaucoup d’autres sujets de préoccupations nettement moins planétaires. Même s’il ne se désintéresse évidemment pas de la situation mondiale, comme l’a notamment montré, hier en fin d’après-midi, le débat qui était – enfin – organisé au Palais-Bourbon sur la guerre en Ukraine en général, et les implications possibles pour l’Europe et la France sur la volte-face pro-russe et anti-européenne du président Trump en particulier. Le premier ministre s’est montré très sévère pour Donald Trump et le vice-président J.D. Vance, et il s’est félicité que, face à eux, „Zelenski ait sauvé l’honneur de l’Europe“.
Sans être nécessairement partagé par tous les partenaires de la France, le langage de M. Macron semble compter à nouveau dans l’UE, en tout cas depuis que l’Allemagne se cherche un nouveau gouvernement; et aussi, en mineur mais tout de même, à Washington. Car – second atout du président français – ce dernier, sans avoir jamais ménagé sa condamnation de l’invasion russe, ni son appui à Volodimir Zelenski, avant et depuis l’agression verbale particulièrement brutale dont ce dernier a fait l’objet vendredi à la Maison-Blanche, devant les télévisions dûment mobilisées par l’équipe Trump pour diffuser la scène au mépris de toutes les traditions diplomatiques, a cependant su garder avec Donald Trump des relations apparemment cordiales.
Qui appuiera sur le „bouton rouge“?
Fussent-elles en réalité, bien sûr, dépourvues de la moindre illusion, celles-ci peuvent lui permettre, tout comme à son interlocuteur britannique, qui recevait dimanche un sommet un peu informel sur la question autour du président Zelenski, et dans une moindre mesure de la présidente du conseil italienne Giorgia Meloni, proche de Trump mais cependant résolument européenne, de jouer les intermédiaires avec Washington. S’agissant de Keir Starmer, d’ailleurs, Emmanuel Macron partage avec lui une autre particularité, majeure sur le terrain de la défense, puisque Paris et Londres ont en commun – et eux seuls en Europe occidentale – de posséder l’arme atomique. Le locataire de l’Elysée a acquiescé ce week-end à l’idée, non pas exactement de partager la dissuasion nucléaire française avec ses partenaires européens, mais du moins d’en discuter avec eux.
Le chef de l’Etat resterait évidemment le seul susceptible d’„appuyer sur le bouton rouge“, comme on dit pour simplifier à propos d’une procédure de déclenchement du feu nucléaire qui est bien entendu beaucoup plus complexe; mais du moins la France pourrait-elle considérer que la défense de ses intérêts vitaux commence avant ses propres frontières. Paris et Londres sont, en attendant, partisans de déployer ensemble des forces susceptibles de garantir le maintien d’un cessez-le-feu. Si cessez-le-feu il y a enfin, en attendant la paix, une paix qui ne sacrifierait la nation ukrainienne ni aux appétits territoriaux de Poutine, ni aux appétits financiers de Trump.
Même s’il est clair aux yeux de M. Macron que l’accord de la Russie et l’appui au moins diplomatique des Etats-Unis restent, à ce stade, indispensables, ne fût-ce qu’à la moindre suspension d’armes, et qu’il faut donc éviter que l’affrontement verbal si choquant des dirigeants américains contre le président ukrainien de vendredi dernier ne sonne la fin des contacts utiles avec la Maison-Blanche.
„Comme larrons en foire“
Une telle trêve, le président français ne propose prudemment de l’appliquer, dans un premier temps et en attendant mieux, qu’aux activités militaires aériennes et navales, ainsi qu’aux centrales électriques: un cessez-le-feu sur la ligne de front terrestre, qui s’étend sur quelque 1.300 kilomètres, serait de toute façon impossible à contrôler, contrairement aux activités aériennes et navales, ou aux bombardements des centrales auxquels les Russes se consacrent activement en cette saison hivernale.
À en croire les sondages, la cote de popularité du président Macron gagne plutôt à sa réapparition sur la scène internationale: pour modeste qu’elle demeure, elle a tout de même enregistré, cette dernière semaine, une hausse de sept à huit points, parfois dix selon les instituts. Les mêmes enquêtes d’opinion montrent que la situation de l’Europe préoccupe fort une majorité de Français. Mais le grand test prochain sera de voir comment l’opinion réagira à la nécessité d’augmenter, dans un contexte où l’Etat était censé réduire son endettement, à une augmentation du budget de la défense qui semble bien être, pour toute l’Europe occidentale ou à peu près, un impérieux devoir après le lâchage américain.
En attendant, le débat d’hier soir à l’Assemblée nationale devait, sans être aucunement décisionnaire, ni même sanctionné par un vote indicatif, permettre de clarifier les positions des partis, notamment aux deux extrêmes de l’hémicycle, vis-à-vis de Moscou et de Washington. Si longtemps considérés comme deux ennemis irréductibles, et aujourd’hui – qui l’eût cru, voici quelques mois encore? – politiquement compères, selon la formule d’un vieux proverbe français, „comme larrons en foire“.
De Maart
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