ExpositionLumières sur de nouveaux regards: deuxième édition du prix de la photographie à Clervaux

Exposition / Lumières sur de nouveaux regards: deuxième édition du prix de la photographie à Clervaux
Un des clichés de la série „Discrete“ de la lauréate 2024, Nazanin Hafez Photo: Nazanin Hafez

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14 artistes de la Grande Région exposent au château de Clervaux pour la seconde édition du prix de la photographie, qui doit renforcer le statut de cité de l’image qui est celui de la commune du Nord.

A quoi reconnaît-on qu’un événement nouveau comme le prix de la photographie décerné par la commune de Clervaux répond à un besoin et est en mesure de s’inscrire durablement dans le paysage? Très certainement à la qualité du travail proposé, lequel est particulièrement dépendant de la diversité et de la qualité des soumissions. Or, 106 artistes de la Grande Région se sont portés pour cette deuxième édition pour seulement 14 places – ils étaient 40 en 2022. La prime de 10.000 euros promise au vainqueur – qui a doublé par rapport à 2022 – en plus de l’exposition (jusqu’au 30 juin 2024) et de l’édition précieuse d’un catalogue ont manifestement motivé de nombreux artistes professionnels. 

C’est aussi au nombre de personnalités du monde de la photographie qu’on reconnaît l’impact d’une manifestation. Du Centre national de l’audiovisuel, partenaire de l’événement, à la Konschtal d’Esch en passant par la Photothèque de la Ville de Luxembourg, de nombreux acteurs avaient fait le long déplacement jusqu’à la ville ardennaise. Dès sa deuxième édition, le prix de la photographie s’est imposé comme un lieu de rencontre privilégié autour de la photographie contemporaine. Autant dire que le président du Cercle artistique de Luxembourg (CAL), Marc Hostert, peut être fier de son coup. C’est lui qui est venu trouver la ville de Clervaux pour proposer ce nouveau programme. A son arrivée en 2016 à la présidence du CAL, il avait commandé une étude auprès des membres, qui avaient fait ressortir que les faiblesses du CAL résidaient notamment dans l’absence de deux prix: l’un pour la photographie, l’autre pour la sculpture. Ce dernier a été créé à Esch-sur-Alzette. En venant à Clervaux, le second devait, dans la tête de son concepteur, fournir l’occasion d’„aligner“ la cité de l’image, le Centre national de l’audiovisuel et le lycée Edward Steichen. La commune avait tout intérêt à soutenir une initiative qui renforce son statut.

La création d’un second prix de photographie à dimension nationale se justifiait tout autant. Il s’agissait non pas d’empiéter sur les platebandes du prix Edward Steichen mais plutôt de le compléter. Le premier est réservé aux moins de 35 ans et récompense une photographie plutôt conceptuelle et sur base d’œuvres proposées par les membres du jury. Le prix de la photographie décerné à Clervaux est ouvert aux quatre vents. 

De sensible à documentaire

Le crû 2024 a démontré toute la diversité de la photographe contemporaine. La représentante du Luxembourg aux Rencontres photographiques d’Arles en 2019, l’artiste d’origine polonaise Krystyna Dul, réfléchit dans „The Burden I Am Wearing“, à la charge mentale que font peser ses vêtements, du fait de sa conscience de faire „partie du problème mondial de la mode non durable“. C’est dans des poses mariales, coiffée de ses vêtements, qu’elle confesse sa consommation trop importante, que ses efforts ne parviennent pas à limiter suffisamment. Pas loin, Marie Capesius s’intéresse plutôt aux vêtements en tant que porte-mémoire. 

Cristina Dias de Magalhães expose la suite de ses travaux présentés à l’occasion de son exposition monographique „Instincts – same but different“ à Differdange. Elle travaille sur la fusion entre photographie et imaginaire. Ses clichés se présentent comme des fenêtres ouvertes „sur des univers où s’entrelacent souvenirs et émotions“. Elle photographie le ciel, comme Edward Steichen filmait un arbre à la fin de sa vie: les images sont davantage dans la tête que le papier. C’est le chemin inverse que font les pensées de ses filles dont elle immortalise les dessins. De ses associations de photos et d’idées, la photographe construit des narrations secrètement autobiographiques. La série „Dreamers“ au dos, du Français Pierre Metzinger, semble lui répondre, en adoptant le principe du diptyque, associant un portrait et la nature. Dans le désir d’introspection dans un monde qui tourne trop vite, c’est la même minéralité du corps humain et de la nature dont il fait partie qui saute aux yeux. 

La photographie documentaire, qui dévoile, est, elle aussi, bien représentée. Et notamment par un nouveau venu, en la personne de l’étudiant syrien Mohammed Zanboa, une des bonnes surprises de la sélection. Armé de son appareil photo, il tente d’identifier les espaces dans lesquels ses compatriotes sans papiers sont accueillis à leur arrivée, des camps de migrants dont ils ne sortent plus: réfugiés en fuite d’abord, puis réfugiés de la crise du logement ensuite, confrontés qu’ils sont à une nouvelle frontière que constitue le marché du logement.

Plutôt que d’attendre que les touristes quittent la place, le photographe eschois Olivier Schillen les intègre au décor, dans une photographie réaliste. „We are all tourists“ peut être vu comme une réponse lointaine et ironique au „Foreigners everywhere“ de la Biennale de Venise. 

„Petits formats rafraîchissants“

Si c’est surtout la photographie luxembourgeoise (neuf des 14 artistes exerçant au Luxembourg) qui est mise en avant, c’est une photographe évoluant entre l’Iran et l’Allemagne – où elle étudie à l’académie des Beaux-Arts de Mayence – qui a obtenu la lumière maximale en emportant le prix de la photographie. Native de Shiraz, Nazanin Hafez, avec sa série „Discrete“ sur l’utilisation excessive de la technologie et ses effets anthropologiques – l’illusion d’être nécessaire et la perte de moments d’oisiveté –, a frappé fort tant par son sujet que par sa scénographie. 

Elle a choisi de présenter ses individus dans leurs espaces privés la nuit, éclairés uniquement par des écrans numériques, en petit format et sur un fond sombre. Consisté de sept experts nationaux et internationaux, dont Marc Hostert et la directrice de Clervaux – Cité de l’image, Sandra Schwender, le jury a apprécié „l’approche très précise du sujet et la décision de se limiter à des petits formats rafraîchissants, qui ont néanmoins un grand impact visuel“. Il met aussi en avant „la présentation globale de l’œuvre, qui est à la fois habile et fait partie intégrante de l’esthétique immersive – et qui met surtout en valeur les atouts des images elles-mêmes“.

Il reste encore à décerner un deuxième prix, celui du public (doté de 2.500 euros), nouveau venu en lieu et de place du prix d’encouragement (doté de 2.000 euros). Les visiteurs de l’exposition peuvent voter jusqu’au 27 juin pour le ou la photographe mérité(e). Ce prix sera remis lors du finissage de l’exposition. 

Le prix de la photographie est à voir comme une étape dans l’affirmation de Clervaux comme cité de l’image dans le paysage national. La commune aimerait aller plus loin, en consacrant davantage de place à la photographie dans le château, où seule cette exposition pour l’heure accompagne l’exposition permanente „The Family of Man“, qui attire chaque année 20.000 personnes. Le déménagement futur des services communaux devrait y aider en libérant de nouveaux espaces, tandis que le château abrite également les musées de la Bataille des Ardennes et le musée Bataille et châteaux. Fusionnée en 2011 avec Heinerscheid et Munshausen, l’administration communale de Clervaux devrait à terme déménager dans un nouvel espace regroupant le personnel des trois communes. La commune est déjà en contact avec le ministère de la Culture qui a la main dans ce dossier puisque le château appartient à l’Etat. Se pose aussi la question de l’affection future de la dépendance du château dans laquelle a lieu l’exposition jusqu’à la fin du mois de juin et qui a démontré sa pertinence muséale. „Il faut trouver le concept muséal qui tienne la route dans le sens de la photographie“, suggère le bourgmestre Georges Keipes.

Avec sa série „Discrete“, Nazanin Hafez thématise l’utilisation excessive de la technologie et ses effets anthropologiques
Avec sa série „Discrete“, Nazanin Hafez thématise l’utilisation excessive de la technologie et ses effets anthropologiques Photo: Henri Goergen