Cannes, samedi 24 mai. L’Iranien Jafar Panahi, 64 ans, remporte la Palme d’or de l’édition 2025 du Festival avec „Un simple accident“, son onzième film, présenté dans une grande émotion. Pour cause: il s’agit de la première fois que le cinéaste accompagnait l’un de ses films, depuis plus de quatorze ans d’interdiction de quitter le territoire iranien. Il s’agit aussi de la première Palme d’or décernée à un long-métrage coproduit par le Luxembourg (Bidibul Productions). Autre première: Jafar Panahi n’avait jamais concouru aux Oscar. Son film „Un simple accident“ va représenter la France à l’Oscar du meilleur film international en mars 2026.
Finesse politique
„Un simple accident“ est une œuvre d’une grande finesse politique et morale et d’un courage inouï. Parce que malgré l’interdiction de tourner, malgré la prison, Jafar Panahi, qui aurait pu s’exiler à l’étranger, a choisi de rester en Iran pour raconter ce qui s’y passe (à l’inverse de son fils, Panah, qui s’est installé en France, ndlr) . Mais en septembre 2025, Jafar Panahi accompagne son film à Bruxelles. On n’hésite pas une seconde: avait-il peur de rentrer en Iran? Il nous répond, derrière ses lunettes fumées, avec un sourire amusé: „Je ne comprends pas pourquoi je dois avoir peur. Dès le premier jour de notre arrivée à Cannes, on a dit à tout le monde que nous retournerions en Iran à la fin du Festival. Ce prix a suscité beaucoup d’espoir auprès de nombreux cinéastes iraniens qui sont venus nous accueillir à l’aéroport de Téhéran. Evidemment, les autorités étaient mécontentes. Tous les médias du monde attendaient de savoir ce qui allait nous arriver. En même temps, si on nous arrêtait, le prix à payer était trop élevé.“ En Iran, Jafar Panahi est accueilli par un silence médiatique et politique.
Le cinéaste, grand maître des films à portée politique, signe une histoire qui fait écho avec son propre sort, lui qui a été emprisonné deux fois par le régime des mollahs. Faut-il se faire justice soi-même? Voilà la question posée par „Un simple accident“, à la fois thriller, conte moral et charge imparable contre les autorités iraniennes, qui montre d’anciens détenus tentés de se venger de leur tortionnaire.
Le film
Tout commence dans une voiture qui sillonne une route de campagne obscure, alors qu’une famille rentre chez elle. Le véhicule semble écraser un chien puis tombe en panne. La caméra fixe les passagers. Jamais le spectateur ne voit l’animal. Le père demande de l’aide auprès d’un ouvrier garagiste, qui semble reconnaître le bruit caractéristique de sa démarche boiteuse. Ce dernier embarque le père à l’arrière de sa camionnette. Le véhicule devient à la fois moteur et lieu principal du film. Jafar Panahi précise:
„La voiture est bien présente mais 60 pourcent du film se déroule à l’extérieur: le paysage du désert, l’arbre, la librairie, l’atelier… C’est vrai que quand vous réalisez un film underground sans autorisation, vous devez un peu plus veiller à votre sécurité et filmer dans des endroits qui attirent moins l’attention, sans quoi vous n’arriverez jamais à terminer votre film“, dit Panahi. „J’ai pas mal d’expérience de ce genre de film sans autorisation. Donc, maintenant, je sais comment m’y prendre, même dans la rue. Et si vous n’êtes pas vigilant, ils vont créer des difficultés, voire carrément vous empêcher de faire votre film.“
Une quinzaine de civils aurait embêté l’équipe deux jours avant la fin du tournage.
„On a vite camouflé nos appareils. Ils ont fouillé, ils n’ont rien trouvé. Trois jours après, c’était le second tour des élections présidentielles. Leur calcul était simple: si l’information devenait importante et connue de tous, cela pourrait tourner un peu mal pour eux. Ils nous ont fait attendre pendant 4-5 heures dans la rue“, se rappelle Panahi. „Finalement, ils nous ont relâchés, mais ils ont demandé à quelques-uns de l’équipe d’aller se présenter le lendemain pour un interrogatoire. Plus question de continuer à travailler avec ‚Panahi’ sous peine de graves problèmes. J’ai arrêté pendant un mois puis j’ai tout repris en un jour, avec une équipe beaucoup plus réduite.“

Quand on lui demande si une Palme le stigmatise encore plus ou le protège d’un régime qui l’a plusieurs fois condamné, Panahi affirme d’une voix grave, mais que le farsi a le pouvoir de rendre douce et chantante, tel qu’on l’entend dans ses films: „J’ai déjà eu beaucoup de prix, la question n’est pas là. Mais évidemment, cette récompense a de l’influence.“
Sur l’expérience en prison
Nourri par sa propre expérience en prison, mais surtout par celle de ses amis ayant passé plus de temps que lui derrière les barreaux, Jafar Panahi fait des geôles du régime le ressort de „Un simple accident“, à nouveau tourné clandestinement: „L’expérience de la prison est le point de départ du film. Quand vous avez les yeux bandés et que vous êtes souvent soumis à un interrogatoire, ce qui m’est arrivé pendant huit heures parfois, vous vous dites que la seule chose que vous retenez, c’est la voix. Parce qu’un jour vous allez reconnaître ce personnage. Cette expérience, tous les prisonniers politiques l’ont. En tant que cinéaste, je suis peut-être plus sensible à cela. Lors d’un des interrogatoires, je leur ai dit, un jour, que vous le veuillez ou pas, vous rentrerez dans mes films. C’est arrivé dans ‚Taxi Téhéran’ (2015).“
Critique du pouvoir, le cinéaste a été incarcéré à deux reprises en Iran: 86 jours en 2010 et près de sept mois entre 2022 et 2023. Il avait entamé une grève de la faim et de la soif pour obtenir sa libération.
Quand vous avez les yeux bandés et que vous êtes souvent soumis à un interrogatoire, vous vous dites que la seule chose que vous retenez, c’est la voix. Cette expérience, tous les prisonniers politiques l’ont.
Ces années de prison laissent des traces, des blessures, assurément. „En prison, vous êtes obligé de supporter la situation, mais tous les problèmes reviennent à la famille. C’est elle qui doit courir à gauche, à droite, trouver un avocat, tous les ennuis sont pour elle. Quand vous êtes à l’hôpital, vous ne vous rendez même pas compte que vous êtes malade. Mais votre famille souffre beaucoup, à l’extérieur. C’est un peu la même situation en prison. Une fois que vous êtes là, vous vivez une vie, mais la famille qui vit à l’extérieur est épouvantée.“
Codes et futur

Au début du film, la petite fille assise à la banquette arrière du véhicule dit „on fait attention aux voisins et personne ne vient chez nous“. Jafar Panahi s’empresse de nuancer: „Dans chaque famille, il y a des codes. Quand la voiture écrase le chien, la fille est triste. Pour la maman, ‚c’est le vœu de Dieu, ce n’est pas la faute de ton papa’. Donc on voit que c’est une famille religieuse. Quand la fille dit qu’elle peut juste appeler son papa et personne d’autre, cela montre qu’il y a quand même des camouflages, des cachotteries, et vous, en tant que spectateur, vous commencez à vous demander si c’est vraiment l’interrogateur ou pas. Nous avons essayé de donner des codes pour montrer un peu de quelle catégorie de famille il s’agit. Les gens vivent librement chez eux“, poursuit-il. „Simplement, ils ont des restrictions auxquelles ils se sont habitués, un peu comme, peut-être, vos restrictions à vous. Content ou pas content, finalement, vous vous habituez à une certaine condition de vie.“
Vu de l’Occident, peut-on nourrir l’espoir que l’Iran est en train de changer dans le bon sens?
„Ce sont les gens qui ont fait reculer le pouvoir après le mouvement Femme, Vie, Liberté: les femmes ont enlevé leur foulard et n’ont plus voulu le remettre, même au prix de lourdes amendes. De toute façon, les gens n’ont plus envie de retourner dans ce passé. Le régime craint terriblement de commettre quelque chose et que la rue se soulève de nouveau. L’inflation a atteint des sommets incroyables, néanmoins le prix de l’essence est ridiculement bas. Mais le pouvoir n’ose pas l’augmenter, de peur qu’il y ait une émeute. Le régime craint plus la population que la population craint le régime. Ce n’est pas lui qui donne la liberté. Il est obligé de reculer sous la pression du peuple.“
„Un simple accident“ de Jafar Panahi. Avec Vahid Mobasseri, Maryam Afshari. Avant-première le 24 septembre au Kinepolis Kircherg, à 20h, en présence de Jafar Panahi. En salles le 1er octobre.
De Maart
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