Naturellement, cette mésentente trans-méditerranéenne a aussi bien d’autres sources récentes, sans remonter à la terrible guerre d’indépendance qui avait fait, dans les deux camps, tant de victimes, et laissé, dans les deux camps aussi, tant de blessures morales. Mais ce refus obstiné de l’Algérie d’accorder à ses propres ressortissants le laissez-passer consulaire qui, à défaut de passeport, leur permettrait de regagner leur propre pays lorsqu’ils sont condamnés par la justice française, pour entrée illégale dans l’Hexagone et/ou surtout pour des violences parfois meurtrières ou des appels à la haine raciale, est devenu au fil des années une pomme de discorde particulièrement lancinante pour la France.
C’est d’autant plus vrai que les derniers ministres de l’Intérieur, Gérald Darmanin (devenu ministre de la Justice) puis Bruno Retailleau, ont tendu à faire une affaire personnelle de la lutte contre l’immigration illégale, et certaines de ses conséquences particulièrement préoccupantes, heureusement fort minoritaires mais redoutables, comme le terrorisme islamiste et ses expressions les plus violentes.
Le Rassemblement national, d’ailleurs, ne se prive pas, tout en acquiesçant avec ironie les excellentes intentions de ces ministres, de souligner leur insuccès chronique sur le terrain, faute de pouvoir faire exécuter ces fameuses OQTF, dont moins de 8% sont suivies d’effet; ce qui signifie qu’après un court séjour en centre de rétention administrative, ceux qui en font l’objet sont remis en liberté et peuvent récidiver, comme à Mulhouse voici quelques jours.
Du Sahara occidental à Boualem Sansal
Plusieurs autres facteurs sont venus, ces dernières semaines, dégrader encore l’image de l’Algérie dans l’opinion française, dont tous les sondages s’accordent désormais à montrer qu’elle attend du gouvernement une attitude de plus grande fermeté vis-à-vis du régime. L’arrestation à Alger, pour „trahison“, de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, très populaire dans les milieux intellectuels, âgé et atteint d’un cancer, a en particulier scandalisé, tout particulièrement lorsqu’on a appris qu’on supprimait son protocole de soins et lui interdisait d’autre part de faire appel à un avocat juif. Le rôle d’influenceurs algériens particulièrement virulents dans leurs appels à la violence anti-française ou antisémite sur les réseaux sociaux ne cesse également de choquer.
Fin juillet déjà, Alger, de son côté, s’était exaspéré du revirement du président Macron, lorsqu’il avait affiché son soutien à un „plan d’autonomie sous souveraineté marocaine“ au Sahara occidental, revendiqué par l’Algérie à travers le Front Polisario, et avait aussitôt rappelé son ambassadeur. Alors que jusque-là, le locataire de l’Elysée avait multiplié les amabilités à l’égard du président algérien Abdelmadjid Tebboune, les chaînes de télévision françaises se faisant aujourd’hui un malin plaisir de diffuser en boucle les images point si anciennes où Emmanuel Macron, lors d’une visite, l’embrassait et déambulait avec lui main dans la main …
La montée de la tension entre les deux pays s’est traduite, mercredi, par la tenue d’un conseil interministériel autour de François Bayrou, pour arrêter une ligne de conduite à l’égard du régime algérien, lequel a lancé de son côté une campagne de presse particulièrement virulente dans „ses“ journaux, en prêtant comme toujours à Paris, en surfant sur ce qu’on appelle ici la „rente mémorielle“, des nostalgies coloniales et une soumission aux thèses de l’extrême droite.
Ultimatum de quatre à six semaines
Cette réunion s’est principalement conclue par une demande au gouvernement algérien que ce dernier devait percevoir comme un ultimatum. Le premier ministre a en effet déclaré qu’il allait lui transmettre „une liste d’urgence de personnes qui doivent pouvoir retourner dans leur pays et considérées comme particulièrement sensibles“, ajoutant: „S’il n’y avait pas de réponse au bout du chemin, d’ici quatre à six semaines, il n’y a pas de doute que c’est la dénonciation des accords franco-algériens de 1968 qui serait la seule issue possible, même si ce n’est pas celle que nous souhaitons.“
Ces accords, souvent évoqués, accordent aux Algériens en général, et aux dignitaires du régime tout particulièrement, un certain nombre de facilités d’entrée en France et d’établissement éventuel très supérieurs à ceux dont bénéficient les ressortissants d’autres pays hors UE. „Je le dis sans volonté de faire de l’escalade ni de la surenchère, mais il est de la responsabilité du gouvernement français de dire que les refus de réadmission des ressortissants algériens dans leur pays sont une atteinte directe aux accords que nous avons avec les autorités algériennes, et que nous ne l’accepterons pas“, a conclu le premier ministre.
Cette prise de position énergique, aux conséquences concrètes encore incertaines, embarrasse cependant, en toute discrétion bien entendu, le Quai d’Orsay, où, par tradition générale et plus particulièrement dans le cas de l’Algérie, on préfère la négociation à bas bruit à la manière forte et affichée. Quant à l’Elysée, on n’y a pas entendu pour l’instant exprimer de réaction, s’agissant d’un domaine qui, dans les usages de la Ve République, appartient plutôt à son domaine. Il est vrai que sur le terrain diplomatique, M. Macron a en ce moment, comme les autres dirigeants européens, des soucis plus planétaires que la bonne exécution des OQTF.
De Maart
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