Montag10. November 2025

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L’histoire du temps présentLes falsificateurs de l’histoire: l’ADR et le „Klëppelkrich“

L’histoire du temps présent / Les falsificateurs de l’histoire: l’ADR et le „Klëppelkrich“
Le monument du „Klëppelkrich“ au Nikloseck, érigé en 1972 sur initiative de l’éditeur François Mersch. Le monument a dû être déplacé pour raisons de travaux et sera intégré dans l’allée de la mémoire du cimetière Notre-Dame. Photo: Tageblatt

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Le grand historien luxembourgeois Gilbert Trausch, qui nous a quittés en 2018, aurait fêté ses 90 ans il y a quelques mois.

Il avait commencé sa carrière d’historien dans les années 1960 avec une déconstruction rigoureuse et brillante d’un des grands mythes de l’histoire luxembourgeoise: le mythe nationaliste entourant le soi-disant „Klëppelkrich“. Ses travaux et ceux d’autres historiens et auteurs tels que François Decker, Alain Atten, Pol Tousch ou Marcel Bourguignon ont tiré un trait sur plus de cent ans d’interprétation nationaliste de cet événement historique mais aussi de comparaisons anachroniques.

En 1984, on pouvait lire dans la conclusion de son article scientifique de près de 80 pages dans le Rheinische Vierteljahrsblätter („Die Luxemburger Bauernaufstände aus dem Jahre 1798. Der „Klöppelkrieg“, seine Interpretation und sein Nachleben in der Geschichte des Großherzogtums Luxemburg “, S. 161-237): „Das Tauziehen um den Luxemburger Bauernaufstand gehört der Vergangenheit an. In den letzten zwanzig Jahren ist es den Historikern gelungen, auf Grund einer soliden Quellenbasis dem Klöppelkrieg sein wahres historisches Gesicht zu geben.“ Aujourd’hui, Gilbert Trausch doit se retourner dans sa tombe en voyant un parti populiste étendre sa stratégie de fake news sur l’histoire du Luxembourg, tout en étant soutenu par des médias nationaux comme RTL. Il serait également indigné de voir des députés populistes abuser des questions parlementaires pour falsifier l’histoire.

Un mythe nationaliste

Dans une question parlementaire, Fernand Kartheiser, membre de l’ADR, écrit: „Am Joer 1798 hu Baueren am Eislek sech géint d’franzéisch Besatzungstruppen gewiert, dëst am sougenannte Klëppelkrich.“ Il évoque 30 „Lëtzebuerger Widerstandskämpfer“ condamnés à mort et exécutés. Dans un reportage sur RTL, un autre membre de l’ADR, Fred Keup, reprend cette terminologie. Tout comme les journalistes de RTL qui ne remettent pas en cause cette falsification de l’histoire, et qui soulignent aussi que la langue, la culture et l’histoire sont importantes pour ce parti. La télé de l’ADR en rajoute. Là, on apprend que les troupes révolutionnaires françaises voulaient imposer aux gens de l’Oesling des „idées totalitaires“. De nouveau, Fred Keup parle du „Widerstand géint franzéisch Okkupante“. Des fake news sont également propagées par un autre député de l’ADR, Roy Reding. Il affirme que le monument du „Klëppelkrich“ au Nikloseck à Luxembourg-ville aurait été érigé en 1972 grâce à un „effort de toute la société“. Faux: en fait, ce monument est une initiative privée de l’éditeur François Mersch, soutenu par l’architecte Paul Retter. En plus, contrairement à ce qui a été insinué par les députés du parti populiste, ce monument, comme me l’a encore une fois confirmé hier Robert Philippart, expert notamment pour l’art funéraire de la ville de Luxembourg, n’est aucunement menacé de disparition, mais sera intégré, après restauration et fin des chantiers, dans une allée de la mémoire du cimetière Notre-Dame.

Il est important d’opposer à cette falsification de l’histoire les faits historiques établis grâce à un travail minutieux sur les sources. Comme l’écrit Gilbert Trausch, le „Klëppelkrich“ représente une série de soulèvements paysans dans la région des Ardennes du Département des Forêts, donc de l’ancien Duché de Luxembourg (c.-à-d. non seulement dans l’Oesling mais encore dans l’Eifel ou la région francophone de Neufchâteau). Un événement court, limité à quelques jours, fin octobre, début novembre 1798. Le nom „Klëppelkrich“ fait principalement référence à l’armement rudimentaire des quelque 4.000 paysans qui étaient impliqués: quelques dizaines de fusils, fourches, gourdins avec faux emmanchées. La révolte était dirigée contre la politique du Directoire. Ce n’était nullement un soulèvement „national“ mais une révolte spontanée et désorganisée qui s’est effondrée aussi rapidement qu’elle a surgi. Des soulèvements paysans contre-révolutionnaires semblables ont lieu au même moment dans le Brabant et en Flandre.

Les „Klëppelmänner“ n’étaient pas des „Lëtzebuerger Widerstandskämpfer géint franzéisch Besatzungstruppen“. Premièrement, il n’existait à l’époque ni un Etat luxembourgeois ni un sentiment national luxembourgeois. Deuxièmement, en 1798, le changement de souveraineté de la Maison d’Autriche, dont dépendait le duché de Luxembourg au 18e siècle, à la République française a été accepté sans difficultés par les Etats (Stände) du duché tout comme par le Magistrat de la ville de Luxembourg. Par le Traité de Campo Formio de 1797, l’empereur d’Autriche François II renonce officiellement au duché de Luxembourg. Parler de résistants et d’occupants est anachronique et a pour seul but d’établir un lien direct avec les résistants luxembourgeois de la Seconde Guerre mondiale qui ont lutté contre l’occupation nazie.

RTL ferait bien de ne pas confondre promotion de l’histoire du pays avec la falsification de cette histoire à des fins politiques. Voilà ce que RTL a permis au ADR. En tant que parti populiste, il instrumentalise l’histoire pour, comme dans d’autres domaines, construire la fiction d’un peuple homogène de Luxembourgeois – ici les „Lëtzebuerger Widerstandskämpfer“ de 1798 – qui se bat contre un méchant ennemi – ici „déi franséisch Besatzungstruppen“.

Cette falsification de l’histoire et sa diffusion par une partie de la presse est d’autant plus inacceptable que le „Klëppelkrich“ est très bien documenté par la recherche. Et cela depuis des décennies déjà. On se croirait revenu au temps des inepties du Manuel d’histoire nationale clérical et nationaliste qui apprenait aux élèves luxembourgeois jusque dans les années 1970 que la „résistance était générale“ en 1798 et qui encensait le „grand mouvement de rébellion qu’on a appelé le Klöppelkrieg“.

Au cas où, contrairement au ADR, vous vous intéresseriez vraiment à cet épisode important de l’histoire du pays, je voudrais en esquisser brièvement le contexte. Trois grands complexes causaux ont conduit au soulèvement des paysans de 1798: militaire, religieux et social. D’abord, en septembre 1798, la conscription générale est introduite. La deuxième raison et la plus importante, c’est la politique anticléricale et en partie antireligieuse du Directoire. Si la pratique de la religion catholique est tolérée, les ordres religieux et les couvents sont supprimés. Les signes extérieurs de la foi sont interdits: plus de processions, plus de sons de cloches, plus de croix, etc. Chaque membre du clergé devait prêter serment à la République, avec des sanctions telles que la déportation ou la confiscation des biens pour ceux qui refusaient de prêter serment. Troisièmement, d’importants droits collectifs ont été retirés aux habitants des villages des Ardennes matériellement déjà mal lotis – petits agriculteurs, ouvriers, petits artisans – comme la vaine pâture ou le droit d’usage dans les forêts.

Fausses comparaisons

Pour reprendre les mots de Gilbert Trausch: contrairement à la période de l’occupation nazie de 1940-1944, il ne s’agit aucunement d’une résistance nationale mais d’une „jacquerie de pauvres paysans poussés à bout par un régime centralisateur à outrance“, un soulèvement éphémère où s’entremêlent des préoccupations religieuses, le refus du service militaire et des problèmes sociaux. En 1801, trois ans après les soulèvements, le Premier consul Bonaparte tient compte des préoccupations religieuses de la population catholique en signant le Concordat avec le pape Pie VII. La réconciliation de la République avec l’Eglise permet un ralliement au nouveau régime. Même les paysans des Ardennes acceptent désormais la conscription et le nombre de déserteurs n’est pas plus élevé dans le département des Forêts que dans les départements français de l’intérieur.

Même la dure répression du „Klëppelkrich“ – 30 paysans exécutés sur le Glacis – n’est pas comparable à la répression du Standgericht nazi de 1942 qui a condamné à mort 20 grévistes, sans droit à la défense, après un simulacre de procès, en pleine nuit, et les a exécutés, 20 grévistes exécutés immédiatement à Hinzert. Un vingt-et-unième gréviste, Henri Adam, est exécuté quelques jours plus tard à Cologne. En 1798, en revanche, il y eut d’abord une enquête judiciaire de plusieurs mois. Les jugements se réfèrent au degré de responsabilité des individus (ont-ils directement attaqué les gendarmes et les soldats français?). Un tribunal criminel examine le cas des accusés non condamnés par le tribunal militaire. Des jurys populaires composés d’habitants du département des Forêts acquittent leurs compatriotes qui sont immédiatement remis en liberté. En 1942, ceux qui ne sont pas exécutés seront remis à la Gestapo et envoyés dans des camps de rééducation, des prisons, des camps de concentration.

Le tapage fait par l’ADR autour du déplacement du monument du Nikloseck n’a malheureusement rien à voir avec un intérêt sincère pour l’histoire. Il s’agit d’un détournement de l’histoire à des fins de propagande politique. L’histoire comme science humaine se situe à l’opposé de telles manipulations: elle ambitionne d’écrire un récit critique et véridique sur le passé à travers une analyse scientifique des sources écrites, visuelles, matérielles, etc., et une discussion contradictoire des résultats de la recherche.

La falsification manifeste, au service du nationalisme et du rejet de l’autre, d’un événement historique comme le „Klëppelkrich“ par les députés de l’ADR montre encore une fois que la lutte contre les fake news devrait aussi être le quotidien des historien-ne-s et des enseignant-e-s d’histoire. Nous le devons non seulement à des historiens comme Gilbert Trausch mais aussi à notre démocratie qui est menacée dans ses fondements mêmes par une désinformation systématique croissante.

DanV
9. Februar 2022 - 12.38

Merci fir di interessant Geschichtslektioun. Et liest sech zwar gutt,

mee mat esou engem Artikel kritt Der keng fake news aus der Welt, well - in der Kürze liegt die Würze. D'Grënn vum Klëppelkrich kënne bestëmmt och an e puer prägnante Sätz opgezielt ginn.

A vu dass d'ADR op Lëtzebuergesch kommunizéiert, sollt d'Richtegstellung och op Lëtzebuergesch oder op d'mannst op Däitsch gemaach ginn.