Berlinale„Le hijab, on ne le porte pas pour dormir!“- „My Favourite Cake“ de Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha

Berlinale / „Le hijab, on ne le porte pas pour dormir!“- „My Favourite Cake“ de Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha
  Photo: AFP/Ronny Hartmann

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„My Favourite Cake“, film de Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha en compétition pour l’Ours d’Or, replace l’Iran et le combat des femmes iraniennes au cœur du festival du film de Berlin.

En cette matinée du 16 février 2024, ce n’est pas le duo de réalisateurs iraniens Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha qui fait face aux journalistes durant la traditionnelle conférence de presse au Grand Hyatt de la Potsdamer Platz de Berlin, mais une photo imprimée, qu’on a pris soin de caler contre les micros et les petits ours dorés dont ils sont décorés. Cette photo montre Moghaddam et Sanaeeha, allongés côte à côte sur un lit, dans une attitude heureuse et décontractée – lui, les mains derrière la tête, elle, les cheveux rouges et lâchés, tenant le clap de leur film „My Favourite Cake“. Ils fixent l’objectif d’un air serein, confiant. On les devine en plein tournage.

Ils ignorent encore que „My Favourite Cake“ sera sélectionné en compétition officielle pour l’Ours d’Or de la Berlinale. Ils ignorent encore que le régime iranien confisquera leur passeport afin de les empêcher de se rendre à Berlin pour présenter leur film au public. Ils ignorent encore que la police des mœurs pénétrera chez eux pour saisir des rushs du film, et qu’ils risqueront de passer devant le tribunal pour être, à nouveau, jugés à cause de leur art. Ils ignorent encore qu’ils seront punis par un régime dictatorial et obscurantiste pour avoir voulu raconter, par leur film, la vérité de leur pays aimé – une réalité que l’on n’a pas vue à l’écran depuis 45 ans, depuis la Révolution de 1979.

C’est Lily Farhadpour, l’actrice principale du film, également autrice et journaliste, qui se charge de porter la parole de Moghaddam et Sanaeeha aux journalistes réunis à Berlin. Émue, de sa belle voix posée, Lily Farhadpour lit la lettre que le duo de réalisateurs a rédigée à l’attention du public, de la presse et de l’équipe de la Berlinale: „Aujourd’hui, le film que nous avons passé trois ans de nos vies à réaliser, va voir le jour à vos côtés. Malheureusement, sans nous. Comme des parents à qui l’on interdit de poser les yeux sur leur nouveau-né, il nous a été interdit de partager le plaisir de regarder notre film avec vous, le public averti de cet important festival. (…) Cette fois, nous avons décidé de passer outre toutes les lignes rouges de la restriction et d’accepter les conséquences de notre choix de brosser le portrait réel des femmes iraniennes (…).“

Les „lignes rouges“ de la censure

„My Favourite Cake“ s’ouvre en effet sur une image qui pourrait paraître absolument banale pour tout spectateur occidental, mais qui, en Iran, n’a pas été vue depuis l’arrivée des mollahs au pouvoir: une femme d’un âge certain, endormie chez elle, sur son lit. Sans voile. Interrogée par la presse, l’actrice Farhadpour s’exclame: „Le hijab, on ne le porte pas pour dormir!“ Elle poursuit, en détaillant les aspects par lesquels le personnage de Mahin qu’elle interprète à l’écran passe outre les „lignes rouges“ de la censure imposée par la dictature. Dans „My Favourite Cake“, Mahin ne porte un foulard que lorsqu’elle n’a pas d’autre choix, c’est-à-dire dans les endroits publics tels que le marché, la rue et les taxis. Passé le seuil de sa cour, de son jardin ou de son appartement, elle ôte le morceau de tissu imposé. Et Farhadpour de marteler que, depuis près d’un demi-siècle, les images qui nous viennent d’Iran sont faussées, déformées, témoignent d’une réalité qui n’existe pas: celles de femmes constamment voilées, qui ne dansent pas, qui ne chantent pas, qui ne célèbrent pas la vie, ne prennent pas un homme par la main pour l’entraîner sur un morceau de musique, ne l’invitent pas chez elle pour partager des tranches de pêche, un bon dîner, ou boire du vin produit chez soi secrètement, en toute illégalité, fermenté dans des bouteilles que l’on a enterrées dans le jardin pour échapper à la police des mœurs. Cette police religieuse, qui est censée veiller au strict respect du code de conduite et du code vestimentaire islamique, apparaît dans le film lors d’une scène marquante: comme le personnage de Mahim souffre de la solitude, elle se rend dans un parc de Téhéran pour tenter d’y faire une rencontre, espérant y croiser un vaillant septuagénaire qui serait venu y faire son jogging. Mais il est midi bien sonné, et le balayeur municipal apprend à Mahim que les retraités font la sieste, à cette heure. Déçue, Mahim perçoit soudain des altercations au loin, et s’approche. Deux jeunes femmes sont aux prises avec les forces de la brigade des mœurs, qui veut les embarquer au prétexte que leurs voiles colorés laissent apercevoir leurs cheveux. Mahim s’interpose, mais l’une des jeunes femmes, dont la chevelure est teinte en rose, est arrêtée. Lorsque la camionnette qui l’emporte s’éloigne, on ne peut que penser, le cœur serré, à l’assassinat de Mahsa Amini, qui périt sous les violences de cette même police des mœurs, en septembre 2022, pour quelques mèches apparentes.

Pourtant, Farhadpour nous apprend que le tournage du film a commencé avant ce meurtre. Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha avaient fait le choix de leur histoire et de leur film avant que le mouvement „Women, Life, Freedom ; Femme, Vie, Liberté“ ne naisse et n’emplisse les rues de Téhéran et du monde entier. C’était écrit, décidé: avec „My Favourite Cake“, Moghaddam et Sanaeeha passeraient outre les lignes rouges de la restriction, du mensonge et de la propagande religieuse pour s’approcher de la réalité, pour représenter leur pays de manière juste et non plus faussée, pour porter haut ses valeurs. Leur film est un drame empli de vie, d’amour, de comédie, de rire. Une ode à la vie, et à tous ses plaisirs. Aujourd’hui, Moghaddam et Sanaeeha se disent „tristes et fatigués“, mais ils ne sont „pas seuls“. Contraints à l’absence, vivant sous la menace des autorités, ils nous écrivent cependant être „fiers de dédier la première projection [de leur film] aux femmes honorables et courageuses de [leur] pays, qui se sont engagées sur le front de la lutte pour le changement social, qui tentent d’abattre les murs de croyances dépassées et fossilisées, et qui sacrifient leur vie pour faire advenir la liberté.“

L’actrice Lily Farhadpour (d.) et l’acteur Esmail Mehrabi à la Berlinale 2024 
L’actrice Lily Farhadpour (d.) et l’acteur Esmail Mehrabi à la Berlinale 2024  Photo: AFP/Ronny Hartmann