Donnerstag16. Oktober 2025

Demaart De Maart

FranceLe débat budgétaire s’annonce chaud

France / Le débat budgétaire s’annonce chaud
Le premier ministre Sébastien Lecornu n’avait rien à craindre jeudi: les deux motions de censure contre son gouvernement ont échoué Photo: Stéphane de Sakutin/AFP

L’Assemblée nationale n’a pas adopté les deux motions de censure visant le gouvernement de Sébastien Lecornu qui lui étaient soumises, l’une par La France Insoumise, l’autre par le Rassemblement national de Marine Le Pen, cette dernière étant nettement plus rejetée que celle des mélenchonistes. Pour autant, bien des problèmes, des arrière-pensées et des inquiétudes demeurent dans tous les camps.

Le débat parlementaire sur le projet de loi de finances pour 2026 va donc pouvoir s’ouvrir; ce sera chose faite le 24 octobre prochain, avec l’ambition, encore atteignable selon les spécialistes, d’une clôture le 31 décembre. Mais en échappant, de relativement peu dans le premier cas, à la chute dont il devait être préservé par le refus du PS de voter la censure, depuis l’annonce du premier ministre que la très controversée réforme des retraites allait être suspendue jusqu’au début de 2028, le gouvernement aura tout de même senti passer le vent du boulet, s’agissant du moins du texte présenté par l’extrême gauche.

Cette motion a en effet recueilli les suffrages de 271 députés sur 577, soit 47% de l’effectif total du Palais-Bourbon, n’échouant que de 18 voix dans sa tentative de renverser le gouvernement. Elle a été soutenue par la totalité des membres du groupe LFI, ainsi que par les écologistes sauf trois d’entre eux, les communistes sauf deux, mais aussi par le RN et la petite formation d’Eric Ciotti alliée à celle de Marine Le Pen. Les groupes du bloc central (Renaissance, MoDem, Horizons), Les Républicains (LR), le Parti socialiste (PS) et le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) ont voté dans leur grande majorité contre la censure, même si sept députés socialistes et une élue LR ont au contraire voté pour, en dépit de la ligne définie par leur parti.

C’est dire qu’il s’en est fallu de relativement peu que le gouvernement Lecornu ne puisse poursuivre sa route. Il est vrai que la motion lepéniste l’a nettement moins menacé, avec seulement 144 votes, soit le quart de l’hémicycle, même si elle était soutenue par la totalité des lepénistes et des amis de M. Ciotti, ainsi que par trois députés LR sur 50, tous les autres élus la rejetant. Petite curiosité: à l’origine, La France Insoumise s’était engagée à voter toute motion de censure qui serait soumise à l’Assemblée, quelle qu’en fût l’origine, le but essentiel étant de parvenir à une nouvelle crise qui ouvrirait la voie à une dissolution, et donc à de nouvelles élections législatives. Il n’en a finalement rien été, la formation d’extrême gauche ne tenant manifestement pas à permettre à sa rivale d’extrême droite d’enregistrer un score qui aurait pu concurrencer le sien.

Le gouvernement sous surveillance étroite

Il n’empêche: sauvé pour l’instant, et donc libre d’engager le débat budgétaire, le gouvernement ne peut ignorer – plusieurs orateurs le lui ont d’ailleurs rappelé, chez les socialistes comme du côté des LR – qu’il restera placé sous la surveillance étroite de ces deux formations qui l’ont épargné jeudi, sans parler de l’hostilité méthodique et permanente du reste de l’opposition. Avec, tout de même, une deuxième curiosité, qui fait se demander à certains observateurs si le premier ministre n’a pas tendu une sorte de piège au PS avec sa suspension de la réforme des retraites.

Car cette suspension doit être inscrite, sous forme d’amendement qui aurait la bénédiction du gouvernement, dans ce que l’on appelle en jargon parlementaire le „PLFSS 2026“, autrement dit le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour l’année à venir. Ce qui signifie concrètement que, pour que ladite suspension soit officialisée par le Parlement, l’ensemble de ce projet de budget de la Sécurité sociale devra l’être aussi. Ce qui supposera que Les Républicains (LR), le bloc central et le PS se mettent d’accord sur un même texte, faute de quoi le total des oppositions pourrait bien parvenir a le repousser, jetant, selon la formule anglo-saxonne consacrée, le bébé avec l’eau du bain …

Sans même entrer dans ces méandres procéduraux, les partis ayant voté en vain la censure jeudi restent persuadés qu’en sauvant de justesse Sébastien Lecornu, le PS a commis une erreur stratégique (et morale, ajoutent certains) majeure. Et qui lui coûtera cher lors des prochains scrutins, surtout si dans le courant du débat budgétaire le gouvernement est mis en échec à répétition, ce qui pourrait, imaginent les mêmes, pousser Emmanuel Macron à dissoudre l’Assemblée.

LFI, dont le projet de destitution du chef de l’Etat avait été rejeté par le bureau des députés, en a en outre déposé une nouvelle jeudi, sans plus de chance de réussite mais pour maintenir la pression. Au-delà, le parti mélenchoniste tente manifestement, à la faveur des tout derniers événements, de regagner le terrain qu’il a perdu face au PS, naguère encore tenu en respect (en laisse, disaient même les plus sévères) par La France Insoumise, et contraint de fermer les yeux et les oreilles sur la dérive antisémite de sa direction.

Caprices croisés chez LR

La situation n’est pas plus brillante à droite, où l’on a choisi de soutenir le gouvernement malgré l’interdiction lancée à ses membres par le président des LR Bruno Retailleau d’y participer, ce qui n’a pas suffi à dissuader cinq d’entre eux de rejoindre la nouvelle équipe de Sébastien Lecornu. Cependant que Laurent Wauquiez, qui était depuis le début hostile à une telle participation, se découvrait résolument pour, au contraire, dès lors que son rival Retailleau était contre, ne supportant pas qu’on lui ait caché la nomination d’Eric Le Maire au ministère de la Défense. Caprices croisés de vieux gamins qui risquent de décourager beaucoup d’électeurs, bientôt ou un peu plus tard …

Mais le RN ne sort finalement pas grandi non plus de ces grandes et petites manoeuvres parlementaires. Il comptait bien que les républicains, face aux hésitations et au jeu ambigue de leur parti, seraient nombreux à le rejoindre, directement ou par l’intermédiaire de M. Ciotti, qui a été un temps, après tout, président de LR. Si ce n’était en changeant d’engagement, du moins en se ralliant à la motion de censure lepéniste. Le résultat, pour le moins, n’est pas à la hauteur de ces espérances: certes puissant, à l’Assemblée comme dans l’opinion, le Rassemblement national n’en est pas pour autant devenu l’aimant irrésistible qu’il espère être sur l’ensemble de la droite.

Sans recours possible à l’article 49-3, puisque M. Lecornu s’y est engagé, mais avec un calendrier devenu très serré, et une menace pesant toujours sur le gouvernement même s’il a échappé jeudi à un renversement immédiat, le débat budgétaire va en tout cas prendre un aspect que l’on ne connaissait pas encore sous la Ve République. Et cela d’autant plus que lorsque l’on entrera dans le détail des mesures d’économies pour les finances publiques préconisées par l’exécutif, dont beaucoup étaient déjà plus ou moins présentes dans le dispositif imaginé par François Bayrou et si vigoureusement rejeté au Palais-Bourbon, la discussion pourrait bien prendre, ou reprendre, une vivacité que la très relative détente actuelle ne pourra sans doute masquer longtemps.