Tageblatt: Christian Petzold, les traumatismes personnels des personnages vous ont-ils donné l’idée de toute l’histoire racontée dans „Miroirs No.3“?

Christian Petzold: Au début, je ne pensais pas à une histoire de fantômes ou quelque chose de ce genre. Mais, pour moi, le cinéma, c’est toujours une histoire de fantômes. Je pense que dans toutes les biographies au cinéma, quand quelqu’un sort de prison, perd son travail, son amour, un enfant … ce sont des fantômes parce qu’ils ne font plus partie de notre société. J’aime les histoires de gens qui sont hors du monde et qui veulent revenir dans notre communauté. Ils veulent se reconstruire. Et par conséquent, „Miroirs No.3“ est une affaire de fantômes. Il raconte l’histoire d’une jeune femme qui s’était perdue et d’une famille totalement déconstruite, détruite. Les deux femmes veulent se reconstruire à un moment donné. Ce processus de reconstruction est au centre du film. Quand j’étais à la table de montage, le monteur m’a dit: „Tout le monde répare des choses ici. Vous avez des voitures qui doivent être réparées, des clôtures qui sont peintes.“ Donc tout le monde parle de réparation.
Une question politique?
Oui, je pense que la réparation est une question politique parce que nous vivons dans un monde où nous avons tout jeté. Le cinéma, ces dernières années, a aussi tout jeté, tout détruit comme dans les films de James Bond. J’ai donc le sentiment que les longs métrages détruisent le monde. Le documentaire montre comment nous pouvons réparer, comment nous pouvons sauver trois poissons alors que nous bombardons les océans. Et donc, je pense que dans „Miroirs No.3“ il y a une idée de comment réparer le monde: réparer des constructions, des pianos, des clôtures. Mais aussi comment nous pouvons réparer nos communautés, nos âmes, nos esprits. C’est un désir de réparation. Et ça, je pense, c’est une question politique.
À propos de „Miroirs No.3“
Dans „Miroirs No.3“, les choses se passent tout simplement. Entre des gens qui travaillent, réparent un vélo, dépannent un lave-vaisselle, repeignent une clôture de jardin … Ils et elles éprouvent des sentiments abîmés, rarement apaisés. Betty (Barbara Auer) et Laura (Paula Beer), deux femmes de milieux et d’âges différents vont faire un bout de chemin ensemble. Avant cela, un échange de regard appuyé semble annoncer quelque chose. Laura, jeune pianiste en petite forme, perd son mari dans un grave accident de voiture. Sauvée miraculeusement, elle est recueillie par une inconnue, Betty, solitaire dans sa vieille maison, au milieu de la campagne est-allemande. Laura décide de rester en convalescence dans ce havre de paix. Sous l’apparence de la tranquillité, le chagrin. Les deux femmes vivent un deuil que chacune tente de surmonter. Elles vont se soutenir le temps d’un été. Une parenthèse enchantée jusqu’au jour où le mari et le fils de Betty apparaissent, peu convaincus d’un tel arrangement. Christian Petzold livre un conte étrange, lent, très lent, sur le deuil et la réparation possible. Comme s’il fallait qu’une personne disparaisse pour que l’histoire commence.
Que signifie pour vous, dans le contexte politique allemand, de faire des films en ce moment?
J’ai le sentiment que la société allemande est fatiguée. Et toutes les sociétés le sont. Cette situation est dangereuse parce que, quand on est fatigué, les fascistes ouvrent la porte. C’est un fait. Mais j’aime les gens fatigués. Je pense que le cinéma et son histoire ne parlent que de gens fatigués. Je pense que Paul Newman l’est dans tous ces films. Et Tom Cruise est usé même s’il fait des cascades dans le ciel. Quand on le voit, insupportable misogyne et pourtant tellement touchant dans „Magnolia“, on sent qu’il fait tellement de choses avec son corps parce qu’il est vraiment épuisé. La fatigue est quelque chose que je comprends complètement. J’aime les héros fatigués et les situations d’épuisement. Une voix intérieure – ou pas – vous dit: „Vous devez vous réveiller maintenant.“ Donc, je dois prendre une douche froide, une arme. Je dois combattre les fascistes. Mais après, je veux me recoucher et dormir. Cette situation existe dans la société allemande. Nous sommes très fatigués, je pense que nous devons faire quelque chose maintenant.
Êtes-vous confiant?
Oui. Mai 68 est une vraie réponse. Parce que les Allemands ont fait deux guerres. Ils ont détruit l’humanité. Mais cette destruction était basée sur une société de militaires, de pression et sur l’idéologie catholique. Donc, depuis la révolte étudiante, 68 et son héritage ont marqué la conscience collective en Europe et dans le monde, à la manière d’un mythe dont le souvenir a été sans cesse ravivé par le cinéma. Des années 70 à aujourd’hui, des films allemands (et français) narrent des histoires personnelles, ces destins qui se croisent pour former l’Histoire avec un grand „h“. Pour les Allemands, 68 évoque le conflit des générations, la libération de la parole autour du passé nazi, mais aussi le début des „années de plomb“. Nous comprenons quelque chose de ce qui s’est passé. Et donc ça ne se reproduira plus comme ça. Le nouveau fascisme n’est pas, ne serait pas le même que l’ancien fascisme comme à Weimar ou autre. Mais je pense que nous sommes plus forts. Parce que nous pouvons rire, nous avons de l’humour et nous avons de meilleurs films.
„Miroirs No.3“ marque votre quatrième collaboration avec Paula Beer.

Oui et, maintenant, nous pensons à la cinquième. Et vous savez, en Allemagne, les Allemands ont perdu toutes leurs révolutions, de 1848, de 1918. Mais dans chaque ville allemande, vous avez un théâtre. Et tous ces théâtres sont bien meilleurs que toutes les scènes anglaises ou américaines. Ce sont vraiment des parlements, des lieux de démocratie. La bourgeoisie va au théâtre pour (se) donner un sens sur la vie, avec Tchekhov, Goethe, Schiller … Et donc, le théâtre est plus important en Allemagne que le jeu pour la caméra. Nous avons beaucoup, beaucoup d’acteurs en Allemagne qui viennent de la scène. Et on ne peut pas les utiliser pour les films. La plupart de ces acteurs ne savent pas conduire de voiture, ne savent pas fumer de cigarettes, ne savent pas ouvrir une fenêtre sans faire quelque chose avec leur visage. Les Américains peuvent ouvrir une fenêtre et c’est juste ouvrir une fenêtre. Pas plus. Quand un Allemand fait le même geste, c’est un monologue sur toute sa biographie. Pour revenir à Paula Beer: Elle vient de la danse et c’est complètement différent. Elle n’a jamais fait partie d’une école d’art dramatique. Perfectionniste, Paula avoue s’énerver quand les choses lui résistent. Plutôt que de farfouiller dans ses tripes pour traquer des situations qu’elle n’a pas forcément vécues, elle se fie à son intuition.
Le titre „Miroirs No.3“ vient d’une pièce pour piano de Maurice Ravel. Pourquoi ce choix?
Quand j’ai proposé ce titre, tout le monde était contre. Alors j’ai menacé d’appeler le film „Chanel no 5“! J’écoutais cette troisième pièce des „Miroirs“ de Maurice Ravel durant l’écriture du scénario. Elle porte comme sous-titre „Une barque sur l’océan“. C’est cette image-là qui m’est restée. Notamment pour la toute première scène du film où Laura, au bord du fleuve, croise un rameur sur un paddle. Le miroitement de l’eau, les reflets entre les personnages du film sont directement issus de cette musique impressionniste. Je voulais faire du Renoir. Il enchante, ré-enchante le monde, en le peignant. Il y a là un rapport avec le cinéma. La musique de Maurice Ravel a quelque chose à voir avec la peinture de Renoir.
„Miroirs No.3“ de Christian Petzold. Avec Paula Beer, Barbara Auer. En salles au Luxembourg à partir du 10 septembre.
De Maart
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