BerlinaleL’architecture dessine et détermine nos comportements

Berlinale / L’architecture dessine et détermine nos comportements
„Architecton“: une véritable méditation épique et poétique Photo: 2024 Ma.ja.de. Filmproduktions GmbH, Point du Jour, Les Films du Balibari

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„Architecton“, documentaire épique, philosophique, poétique et méditatif sur la façon dont l’architecture influence nos mœurs et nos vies, mériterait de remporter l’Ours d’argent de la contribution artistique à la Berlinale.

Le réalisateur russe Kossakovsky ouvre son documentaire „Architecton“, en compétition pour l’Ours d’or à la Berlinale, par un plan aérien sur une région dévastée de l’Ukraine. Les immeubles sont encore debout, mais ils sont éventrés, ravagés, vides. Le seul bruit qu’on entend est le battement d’ailes des pigeons apeurés à l’approche du drone qui survole la désolation causée par la guerre.

Co-produit par la France, l’Allemagne et les États-Unis, le documentaire s’attache à suivre une première ligne narrative qui suit l’architecte italien Michele De Lucchi alors qu’il supervise la pose de belles pierres, par des paysagistes, dans son jardin. De Lucchi veut créer un cercle, comme un espace sacré, dans lequel nul homme ne pénétrera plus. Un endroit qui devra durer toute la durée de sa propre vie, dans lequel la nature puisse reprendre ses droits et l’herbe pousser comme bon lui semble, intouchée par les appareils électriques, robotiques et sans fils qui sillonnent par ailleurs le jardin.

L’autre fil narratif est une exploration visuelle et auditive absolument magnifique, un travail artistique d’infinie qualité, porté par la photographie de Ben Bernhard et le travail du son d’Alexander Dudarev – une invitation à ressentir, par nos sens décuplés, le propos par lequel Michele De Lucchi concluera le film: la pierre est vivante, elle fait partie du cycle de la vie, à l’image du cercle sacré que l’architecte italien fait construire dans son jardin. Bernhard et Kossakovsky créent ensemble des images inédites et révèlent la vie inhérente au minéral, par opposition au ciment, matériau le plus utilisé sur Terre après l’eau, qui gangrène nos villes et nos existences modernes.

Une forme de big-bang

Un très gros plan sur des pierres lors d’une explosion boueuse et extrêmement ralentie provoque une sorte d’hallucination auditive et visuelle: le crépitement des cailloux, des pierres qui s’entrechoquent, le grondement, le vrombissement causé par l’explosion que l’on admire au ralenti, dont on perçoit la terrible puissance, créent une expérience „ASMR“ („réponse autonome des méridiens sensoriels“ – une réaction de bien-être qui s’approche de l’hypnose lorsque certains sens sont sollicités d’une certaine manière). Les pierres semblent soudain animées, elles apparaissent comme de véritables créatures, des êtres bondissants, à la peau humide et visqueuse qui rappelle celle des batraciens.

Lors d’un travelling latéral, on découvre une succession de falaises aux différentes strates de couleurs – de l’ocre au jaune, du gris au violet en tirant sur le pourpre. Le ralenti de l’explosion est tel que l’on croirait assister à une forme de big-bang, d’explosion originelle. Les paillettes grises et argentées de la roche, ses éclats dorés scintillent sur un arrière-plan ténébreux, qui rappelle l’espace intergalactique. Mais soudain, une poussière blanche apparaît, gagnant de la densité et recouvrant petit à petit l’image: nous ne sommes pas dans l’espace, mais dans une carrière de minerais bien terrestre. On pourrait penser par moments au travail de Salgado que Wim Wenders présentait dans „Le Sel de la Terre“. Par contraste, le ciment frais coulant d’une machine rappelle davantage la déjection. „Pourquoi construit-on des bâtiments qui durent 40 ans, sont moches et ennuyeux, alors que l’on sait construire de magnifiques bâtisses qui durent des milliers d’années?“, demande Kassovsky à De Lucchi.

„Architecton“ est un documentaire philosophique autour de la façon dont l’architecture contribue à déterminer nos comportements et nos existences d’êtres humains. Une véritable méditation épique et poétique qui mériterait à nos yeux de décrocher l’Ours d’argent pour une contribution artistique exceptionnelle.

Zoom sur la génération Z

„Langue étrangère“, de la Française Claire Burger, également présenté à Berlin en compétition officielle et qui sortira dans les salles à l’automne prochain, pourra intéresser le public luxembourgeois, en cela qu’il s’attache à faire le portrait d’une jeunesse européenne issue du „couple franco-allemand“, à travers la relation de deux correspondantes: Fanny (Lilith Grasmug) habite à Strasbourg avec sa mère française (Chiara Mastroianni) et son père d’origine arabe (Jalal Altawil) qui travaillent tous les deux pour le Parlement européen. Elle se rend à Leipzig pour passer une semaine chez une lycéenne allemande, lors d’un programme d’échange rendu possible par l’Union européenne. Mais Lena (Josefa Heinsius, lumineuse) n’a aucune envie d’accueillir chez elle cette étrangère qui parle à peine sa langue. Malgré les protestations de sa mère (Nina Hoss, excellente), Lena encourage Fanny à rentrer chez elle.

Après des débuts compliqués, les deux jeunes filles vont se confronter ensemble à quantité de questions politiques, sociales et intimes: changement climatique et Fridays For Future, féminisme et véganisme, héritage et poids du passé, injustice, racisme, identité sexuelle, santé mentale, harcèlement scolaire … On pourrait reprocher à Claire Burger de vouloir traiter absolument tous les sujets qui travaillent ou angoissent la génération Z, au risque de n’en creuser aucun. La fascination qu’exerce la jeunesse sur Burger transparaît davantage dans le film que le propos de la réalisatrice sur son sujet, mais le jeu des quatre actrices principales, la justesse des dialogues et des scènes (Nina Hoss s’en prenant à son ex lors d’un déjeuner familial et dominical), et le rythme bien mené du film nous permettent de passer un moment très plaisant, et d’apprécier la couleur et le réalisme de ce portrait-mosaïque des moins de vingt ans dans l’Europe d’aujourd’hui.