Sans doute la croissance de l’abstention est-elle devenue, au fil des ans et des élections, une tendance de plus en plus lourde, en France comme dans d’autres pays occidentaux. Mais elle tranche tout de même avec deux constantes que l’on pouvait observer jusqu’à présent dans l’Hexagone. La première était une passion forte pour la politique, volontiers brouillonne sans doute, pas toujours très solidement argumentée, mais enfin, oui, une passion. La seconde était un vif intérêt pour l’élection du chef de l’Etat, depuis qu’avec la révision constitutionnelle de 1962 le général de Gaulle en avait remis la clef au suffrage universel.
Depuis, cette élection, considérée comme la „mère de toutes les batailles“, réveille traditionnellement, même en période de relative atonie de la vie publique, le goût des Français pour la chose publique et son cortège d’affiches, de réunions, de débats télévisés et d’apostrophes véhémentes. Or cette année, force est de constater qu’il n’en est rien, ou presque.
Les frissons d’antan
Sans doute les meetings des principaux candidats continuent-ils d’attirer du monde; mais dans un climat blasé ou chacun vient surtout vérifier qu’il ressemble bien à son voisin idéologique, cependant que les journalistes qui s’y pressent guettent, le plus souvent en vain, la petite phrase qui sera reprise sur Internet et dans les journaux, ou parfois, comme une gâterie, l’incident de séance. Mais où sont passés les frissons d’émotion d’antan?
De sorte que le taux d’abstention que les sondages laissent prévoir pour ce dimanche 10 avril du premier tour risque, avec quelque 30% des inscrits, d’être le plus fort enregistré pour l’élection présidentielle sous la Ve République. Ce chiffre n’était que de 20,5% pour l’élection de François Hollande en 2012, et de 22,2% pour celle d’Emmanuel Macron en 2017.
Cette situation, qui tracasse très fortement les états-majors électoraux, est d’autant plus préoccupante sur le fond, les Français assurent rester très attachés à cette faculté qui leur a été donnée voici soixante ans de choisir eux-mêmes leur chef d’État. Et que l’élection présidentielle est traditionnellement le scrutin qui mobilise le plus les électeurs … Ce n’est donc apparemment pas le mode de scrutin qui, dans son principe, fait fuir les électeurs – mais alors, de quoi s’agit-il ?
Pourquoi?
La première cause pourrait bien être celle qui est le moins susceptible d’être reconnu par l’ensemble de la classe politique: la relative médiocrité de l’offre électorale. Sans doute M. Macron n’est-il pas un personnage „médiocre“; mais enfin, il n’est pas non plus de ceux qui déclenchent les grandes passions politiques. Et ses adversaires de l’opposition pas davantage, en dehors de personnalités qui brillent surtout par leur extrémisme tribunitien, comme Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour.
Deuxième cause possible de ce désamour pour l’élection des 10 et 24 avril: le sentiment qu’entre la pandémie du Covid et l’invasion russe en Ukraine, sans parler d’innombrables circonstances où le pouvoir français doit au mieux ruser, au pire plier, avec les décisions de Bruxelles, les vrais enjeux du monde, et même tout simplement de la vie quotidienne des Français, ne se jouent plus du tout à l’Elysée. D’ailleurs, le locataire sortant du palais présidentiel s’est au mieux résigné, au pire employé, à réduire à presque rien la campagne devant conduire à son éventuelle reconduction.
A quoi s’ajoute l’idée que si les présidents passent, les problèmes demeurent – intacts, hélas!, pensent beaucoup d’électeurs. Ce qui incite nombre d’entre eux, y compris jeunes, à se poser cette triste question: „Voter, à quoi bon?“ Et puis il reste peut-être aussi, dans cette distanciation croissante des électeurs à l’égard de la politique, une question que la Ve République ne pourra sans doute pas éluder éternellement: celui de la représentation parlementaire des minorités, parfois considérables, en particulier à l’extrême droite, quasiment privées de députés par le système majoritaire.
Ce pourrait certes être une raison supplémentaire, pour les électeurs lassés d’un système qui a eu son heure de gloire mais qui affiche aujourd’hui ses limites, de renouer avec la politique. Mais les estimations actuelles n’en donnent guère l’espoir.
De Maart
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