Être l’observatrice de son temps, s’en indigner, trouver le moyen de résister, de créer du lien, de la solidarité, poser un regard sur les exclus, les gens à la dérive, les mondes parallèles, souvent cachés ou ignorés. C’est par son regard et sa saisie photographique que Paz Errázuriz s’engage et vit dans des communautés particulières, immersion faite d’un infini respect et d’une profonde humanité. Institutrice, elle commence sa carrière en autodidacte en 1970. Elle écrit à ce propos: „Mes débuts de photographe professionnelle correspondent à ceux de la dictature. La photographie m’a permis de m’exprimer à ma façon et de participer à la résistance. C’est étrange de constater à quel point les périodes hostiles et dangereuses peuvent stimuler les artistes. Toute cette énergie créatrice s’exprime alors par la métaphore. C’était le cas au Chili, dans les années 1980.“
Une révolte par l’image
Les miséreux qui s’endorment face au ciel, ou recroquevillés sur le sol, qui se servent de bancs comme de lits, et qui s’écroulent de fatigue, sont pleins de cette humanité que la plupart ne veulent pas voir. Ces êtres ont un visage, des façons, dont l’ultralibéralisme se moque. Constat cruel des sociétés en déroute, où les signes les plus infimes, un regard, un sourire, une dignité redonnée, n’interpellent plus. Une révolte par l’image, un enregistrement cruel de la réalité, plus que jamais nécessaire. Paz Errázuriz a choisi son camp. La série, „Los dormidos“ (1979-1980/Les endormis) s’est faite dans les rues surveillées de Santiago, sous la dictature de Pinochet. Les endormis s’évadent de l’injustice par l’ivresse ou un sommeil lourd. En 1981, à Santiago, Paz Errázuriz cofonde l’Association des photographes indépendants, qui avait pour objectif de proposer un espace d’échange et de protection, notamment lors des reportages photo, pendant les manifestations sous la dictature.
Paz Errázuriz est également allée dans l’est du Guatemala, à Sepur Zarco, pour une série de portraits de femmes. Ces portraits en pied sont d’une grande sobriété. Des femmes bien habillées, plutôt pauvres, fixent l’objectif, debout devant un mur chaulé de blanc. Cette série „Sepur Zarco“ (2016) expose des femmes autochtones qui, durant le conflit guatémaltèque, ont été violées et réduites en esclavage par des militaires. Entre 2015 et 2016, quinze survivantes ont porté plainte devant la Cour suprême du Guatemala. Deux anciens officiers ont été condamnés pour crime contre l’humanité. Des mesures de réparation ont été prononcées en faveur des victimes. Ces abuelas, terme affectueux qui veut dire grand-mères, posent avec dignité. Nous imaginons les visages d’autrefois, une jeunesse asservie. Les photos cadrées au plus près nous permettent de nous attarder sur chacune d’elles, sur la préciosité pour certaines de leur mise, la délicatesse d’un souffle. Paz Errázuriz a choisi le noir et blanc pour ne pas distraire le regard par les vêtements chamarrés. Les motifs géométriques, les lignes de ces vêtements, répondent aux rides des visages. Il faut savoir que pendant la durée du procès, ces femmes ont gardé leur visage caché, de crainte de représailles. Elles nous font maintenant face, depuis le drame dont elles ont réchappé.
Les archives de la mémoire
Le regard pris par le temps d’une photo est précieux, il nous fait accéder aux abîmes de l’être, à sa part insondable, au mystère de la condition humaine, à sa complexité. C’est ainsi que Paz Errázuriz fréquente des milieux pour des histoires longues et inachevées, elle crée des amitiés, des relations empreintes de respect avec des êtres à la marge. Ceux des petits cirques pauvres et pleins de fantaisie – toujours ces clichés en noir et blanc qui saisissent l’essentiel –, les coulisses des boxeurs, avec leurs familles, leur équipement, si pauvres que, au lieu d’avoir les mains protégées sous les gants, les boxeurs semblent porter des pansements d’infortune.
Ce sont toujours des images au plus près, grain de la peau, regard noirs et mystérieux, ceux de „La Manzana de Adán“ (1990), maison close où des travestis vivent en communauté. Il y a les hôpitaux psychiatriques, ce besoin qu’ont ces exilés d’avoir un contact physique, comme une réassurance face à une vie en déséquilibre, également les femmes en prison. Chaque photo est un appel à l’humanisme, une rencontre comme jamais. Et parmi ce temps saisi, ce temps du témoignage, ces archives de la mémoire, Paz Errázuriz a photographié son fils, dans l’évanescence du moment, pendant trois ans. Outre le désir de capter une présence, de retenir l’instant, il s’agit de redécouvrir ce dont nous sommes faits, cette égalité des âmes, dans le flux de l’histoire.
Le travail de Paz Errázuriz est reconnu internationalement. La photographe a reçu de nombreux prix, sa quête inlassable et son empathie sont précieuses.

Infos
Paz Errázuriz, Histoires inachevées
Jusqu’au 20 décembre 2023
Maison de l’Amérique latine
217, boulevard Saint-Germain
75007 Paris
www.mal217.org
De Maart
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