Koyo Kouoh, récemment nommée commissaire de la 61e Biennale de Venise 2026, a conçu l’importante exposition „When We See Us“ à voir actuellement – pendant six mois – à Bozar, à Bruxelles. Son titre n’est pas anodin. Il fait référence à la célèbre mini-série américaine „When They See Us“ d’Ava DuVernay (2019) basée sur des faits réels: l’arrestation et l’emprisonnement à tort de jeunes adolescents dans le quartier de Harlem.
„J’aime imaginer des titres d’exposition qui vous attendent de par le monde“, explique Koyo Kouoh au Club privé bruxellois TheMerode. „C’est ma façon d’obtenir des références. J’ai donc fondamentalement renversé le travail d’Ava (DuVernay). Il s’agit vraiment de nous libérer de la prison qui a enfermé l’imaginaire noir, de nous émanciper de l’esclavage, du colonialisme, du néo-colonialisme. Donc, en faisant vraiment ce ,retournement‘ de ,They‘ à ,We‘, nous réclamons cet espace d’auto-action qui nous appartient. Je connais la littérature militante des années 60 et 70 venant du continent africain. L’idée persiste que vous devez constamment montrer à vous-même ou au récit dominant que vous n’êtes pas ce qu’ils pensent que vous êtes. Et donc, utiliser ,When We See Us‘, c’était vraiment aussi se parler à nous-mêmes et prendre ce pouvoir.“ Appropriation. Le mot sert de fil rouge au voyage. Dès la première partie, „Le quotidien“, le principe de ce regard sur soi et des continents entend sortir des habitudes et redonner de la substance à „Un siècle de peinture figurative panafricaine“.
Générations et pays différents
Originaire du Cameroun, Koyo Kouoh (née en 1967) dirige depuis 2019 le Zeitz Museum Art Africa (Zeitz MOCAA) du Cap (Afrique du Sud). C’est sur les cimaises sud-africaines que „When We See Us“ fut déployée en 2022 et 2023 puis exposée à Bâle. Maintenant à Bruxelles, elle rassemble 150 œuvres et 120 artistes de différentes nationalités africaines et de la diaspora. Chaque tableau dialogue avec les principaux penseurs, écrivains et poètes noirs. A ce propos, la „chronologie“ – 1804-2020 – propose une documentation, un contexte permettant de mieux comprendre l’élaboration de l’exposition et, dans la foulée, appréhender ce qui a façonné l’histoire de l’art noir.
Sont ainsi juxtaposés des artistes de pays et de générations différents qui abordent des thèmes avec des sensibilités similaires. Par exemple, Chéri Samba (né en 1956, en République démocratique du Congo) et Barkley L. Hendricks (1945-2017, Etats-Unis) expriment des moments de réjouissances collectives. Ces artistes, comme tous les autres à Bozar, n’avaient jamais été exposés ensemble. La volonté de la commissaire est de retracer l’histoire à partir des généalogies de pratiques et des influences artistiques figuratives panafricaines, du début du 20e siècle à nos jours.
Nous avons voulu bouleverser le regard du visiteur et l’amener à découvrir et explorer l’auto-représentation des Noirs (d’Afrique et d’ailleurs) de leur existence et de leur quotidien
Aucune chronologie, ni géographie exclusive. A Bozar, l’exposition confronte les générations et les continents pour sortir des clichés et des hiérarchies. Heureux connaisseur celui qui pourrait distinguer ce qui a été peint il y a un demi-siècle et ce qui l’a été ces deux ou trois dernières années. De même, il est difficile de faire la différence entre ce qui a été créé en Afrique, aux Etats-Unis ou en Europe. „Nous avons voulu bouleverser le regard du visiteur et l’amener à découvrir et explorer l’auto-représentation des Noirs (d’Afrique et d’ailleurs) de leur existence et de leur quotidien“, relève Koyo Kouoh. L’exposition souligne les échanges incessants entre les artistes. C’est en tout cas le parti pris de la commissaire. La mise en parallèle est riche. Le jeu des correspondances troublant.
„When We See Us“
A Bozar, Bruxelles, jusqu’au 10 août 2025, plus d’infos. bozar.be
Le parcours est décliné en six thèmes: „Le quotidien“ („The Conversation“ (2020) de la jeune artiste sud-africaine Zandile Tshabalala, „The Gardener“ (1991) du Sud-Africain George Pemba); „Repos“ (la représentation de la femme allongée: „Sundials and Sonnets“ (2019) de l’artiste kényane Wangari Mathhenge, Moustapha Souley (Sénégal) et Chemu Ng’ok (Kenya), fascinés par la coiffure, „11pm Friday“ (2010) de Lynette Yiadom-Boakye)*; „Triomphe et Emancipation“ („Portrait of a Woman Wearing a Gold Dress“ (1967) du Nigérian Ben Enwonwu); „Sensualité“ („Bellyphat“ (2016) de la jeune américaine Tschabalala Self); „Spiritualité“ („Genesis Creation Sermon“ (1989) de l’artiste américain Jacob Lawrence). Le chapitre „Joies et réjouissances“ termine le voyage dans l’allégresse et la gaieté.
Pour preuve: „The Birthday Party“ (2021) d’Esiri Erheriene-Essi (Nigeria) montre un groupe d’amis posant pour une photo lors d’une fête d’anniversaire. L’homme au centre n’est autre que le militant anti-apartheid Steve Biko célébrant l’anniversaire de sa nièce qui se tient à sa droite. Une image informelle, joyeuse et festive de Steve Biko, icône de la résistance après avoir été assassiné par des agents des services de sécurité de l’Etat en 1977. Ici aussi, cette peinture fait fi des clichés habituels, avec humour, et résume l’esprit de l’exposition: „Pendant longtemps, j’ai été opposée à l’idée de gaieté noire parce que je trouvais cette notion assez difficile surtout sur le plan anthropologique, ethnographique où beaucoup de nos cultures ont été diminuées ridiculisées par cette puissance même de nos cultures à célébrer“, confie Koyo Kouoh.

„Cela m’a pris beaucoup de temps de m’approprier cette force et de la revendiquer, de la représenter et la voir vraiment comme un catalyseur de discours et de transcendance. C’est seulement ces dix, quinze dernières années que je travaille vraiment de manière explicite à partir de ce point de vue. Parce que j’ai pris conscience que tout ce qui a été ridiculisé dans notre culture est en fait notre plus grande force. L’état du monde aujourd’hui et la manière dont le modèle américain est en train de faire faillite prouvent qu’on n’a pas voulu entendre l’humain. On a mis le profit au centre de la vie. Beaucoup de gens retournent vers cet espace holistique de soi où la célébration est une activité essentielle et fondamentale de la vie. Ce n’est pas juste pour rire et danser: c’est vraiment pour comprendre le catalyseur de la vie et l’échange entre les personnes qui passent aussi par cette joie et allégresse.“
Des plus petites aux immenses – „Obama Revolution“ du peintre congolais Chéri Chérin –, les œuvres, très variées, sont présentées dignement. Une sobriété qui n’a pas son pareil pour faire ressortir la dynamique des couleurs, la profondeur des personnages, l’énergie du geste artistique. Chaque œuvre procure étonnement et charme irrésistible. On est véritablement – heureusement – plongés dans l’univers panafricain contemporain rarement montré jusqu’à présent. Une invitation à la beauté.
* En 2022, le MUDAM a consacré une importante rétrospective à l’œuvre de la jeune artiste britannique d’origine ghanéenne Lynette Yiadom-Boakye (1977, Londres). „Fly In League With The Night“ avait réuni 67 peintures et couvert vingt années de création.
De Maart
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