L’AtelierLa nuit n’a pas de fin: Faithless ou l’insomnie sur le dancefloor

L’Atelier / La nuit n’a pas de fin: Faithless ou l’insomnie sur le dancefloor
Sister Bliss avec Maxi Jazz, le chanteur décédé en 2022  Photo: Chris Dewhurst/FKP Scorpio

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Groupe emblématique de la dance music dans les années 1990, Faithless est toujours là en 2024. Si Maxi Jazz, le chanteur charismatique, a disparu en 2022, le groupe anglais continue son chemin, avec Sister Bliss et Rollo, ses deux membres fondateurs. Faithless est en concert ce dimanche à l’Atelier. Flash-back euphorique.

Un groupe peut-il continuer d’exister alors que son chanteur est mort? La question mérite d’être posée. Dans l’histoire de la pop, la réponse n’a pas toujours été la même. Bien sûr, il y a les coverbands, ceux qui reprennent les morceaux, mais aussi le flambeau d’un groupe éteint depuis peu ou depuis bien trop longtemps. Mais sinon, comment une formation peut-elle continuer d’avancer sans son frontman?

Pour The Doors, l’histoire est connue. Lorsque Jim Morrison passe l’arme à gauche, c’est Ray Manzarek qui s’empare du micro; le claviériste est d’autant plus légitime, puisqu’il est le cofondateur du groupe. Il n’y a alors pas à chercher midi à quatorze heures. Suite au décès de Michael Hutchence, il y a, en revanche, pour INXS, à chercher le chanteur. Les Australiens mettent en place un show télévisé, façon „Star Academy“, nommé „Rock Star: INXS“. Quinze candidats, enfermés dans un manoir, se disputent le titre de „nouveau chanteur d’INXS“. C’est J.D. Fortune qui remporte le jeu. Sauf que, contrairement au nom du show, ce J.D. Fortune ne devient pas tout à fait une star – du moins, pas à la même hauteur que Michael Hutchence. De toute façon, on connaît la chanson: un groupe sans son chanteur d’origine, ce n’est plus le même groupe. Et c’est le cas de Joy Division, au sens strictement littéral, puisque, suite au décès d’Ian Curtis, le groupe anglais change de nom et de son, avec New Order.

Dans le cas de Faithless, l’affaire est un peu différente. La formation anglaise commence sans Maxi Jazz et continue sans Maxi Jazz. À l’origine, Faithless est incarné par la DJ et multi-instrumentiste Ayalah Deborah Bentovim, alias Sister Bliss, ainsi que par le producteur Rowland Constantine O’Malley Armstrong, alias Rollo. Faithless devient Faithless, à savoir le groupe qu’il est, avec Maxi Jazz – mais aussi Jamie Catto. Mais, en 2020, à la recherche de nouvelles pistes sonores, le chanteur quitte le navire, après vingt-cinq ans de bons et loyaux services, pour former Maxi Jazz & The E-Type Boys. Mais, non, Faithless ne s’arrête pas: il y a des guests, et Sister Bliss trouve par exemple, en Suli Breaks, un poète slameur, une nouvelle voix, donc, au groupe, une nouvelle voie. En revanche, là où une partie de la vie de Faithless s’éteint, c’est en 2022, c’est indéniable. Quand Maxi Jazz meurt.

Maxi Jazz pour toujours

Maxi Jazz, quelques années avant sa mort en 2022
Maxi Jazz, quelques années avant sa mort en 2022 Photo: Valentin Flauraud/Keystone/dpa

Au milieu des années 1990, le rôle des membres de Faithless est bien réparti, selon les codes évidents de l’harmonie. Pendant que Sister Bliss, tentaculaire, compose, armée de son violon, de son piano, de sa basse ou de son saxo, Maxi Jazz, lui, chante, rappe, fait dans le spoken words; il semble faire à sa sauce, il fait une espèce de freestyle vocal, mais qui ne soit ici pas strictement liée au rap, il porte le morceau sur ses épaules, grâce à sa voix grave et profonde, qui paraît connectée à son regard. Pendant ce temps, la production est assurée par Rollo Armstrong, sémillant DJ, et, pour l’arbre généalogique, frère aîné de Dido, la chanteuse ayant, au passage, participé à l’aventure Faithless (écouter „Postcards“).

Le style de Faithless? Du trip-hop mixé à la house, du rap frappé au dub, de la soul électronique qui, cinq ans avant les années 2000, ressemble à un portrait, sonore, du futur; une vibration cousine de Massive Attack, mais avec une accélération des bpm, quoi qu’il en soit dans l’air du temps, c’est-à-dire post-moderne. Faithless, ce sont des basses puissantes à s’en étourdir, jusque dans les jambes, mais aussi cet écart, effectué avec souplesse, entre feeling hip-hop et esprit rave parties. Le rap et l’électronique, c’est une vieille histoire d’amour; il n’y a qu’à retourner s’enivrer à la source, dans les années 1980, avec des combos vivaces, robotiques et fantaisistes, tels que Jonzun Crew, Cybotron ou Mantronix. Si Faithless incarne une espèce de relève de cet alliage crépitant, cela serait alors plutôt dans le sillage d’Underworld ou des Chemical Brothers, ces bandes qui, en fait, façonnent de l’électronique comme elles feraient du rock.

De Faithless, on se souvient, à jamais, de „Reverence“ (1995) avec, sur la pochette, les mains de Maxi Jazz fermées sur son visage (alors que sur le single d’„Unfinished Sympathy“ de Massive Attack, en 1991, on pouvait voir une main … ouverte). Et des morceaux faramineux. „Don’t Leave“ à base de chœurs gospel qui pleurent „Ne pars pas“; „If Loving Is Wrong“ et son beat vertical qui ne tient qu’à un fil; le dub „Dirty Ol’ Man“. Cette alternance entre phrasé rugueux et lyrisme, parfois dégoulinant, et puis ce „message“ d’unité qui glisse entre les deux. Sans oublier „Salva Mea“, ses relents acid house, au ralenti, avec du rap toujours, ainsi que des tourbillons synthétiques piquants. En fait, un melting-pop impressionnant, indémodable et si précieux, en qu’il nous replonge dans ce qu’était la modernité à la fin du siècle dernier.

Quant à „Salva Mea“ ou „God Is a DJ“, les danseurs s’en souviennent. Ou, plus encore, „Insomnia“, avec ce beat qui s’étire, comme un compte à rebours. Un classique pour qui ne trouve pas le sommeil sur la piste. „I can’t get no sleep“, „Je ne peux pas ne pas dormir“, voilà une litanie que les clubbers accaparent, façon formule magique ou étendard ironique. Maxi Jazz le disait: „Si j’avais reçu une livre à chaque fois que quelqu’un s’est approché de moi en souriant et m’a dit ‚I can’t get no sleep’, je serais un homme riche et je vivrais probablement dans ma propre station spatiale.“ Enfin, Faithless, c’est aussi Ibiza, après la fête, autrement dit quand c’est encore la fête. Disons alors de la musique flottante, downtempo, celle qui scintille en prenant des bains de lever du soleil dans les vapes, quand Morphée ne tarde pas à ouvrir ses bras, mais pour encore danser. La nuit ne s’arrête jamais. Faithless non plus.

Faithless

Ce dimanche, 9 juin à partir de 19.00 h à l’Atelier (54, rue de Hollerich, L-1740 Luxembourg)