Or, par la voix de son premier secrétaire et député Olivier Faure, le PS a confirmé à la tribune du Palais-Bourbon la rumeur qui courait depuis une ultime réunion du bureau politique de son parti: les socialistes ne voteraient pas la censure, fût-ce avec la plus grande circonspection pour la suite. Et M. Faure d’expliquer, à l’adresse de M. Bayrou: „Vous avez ouvert la possibilité d’une alternative, et accepté notre demande de ne pas différer le débat sur la réforme des retraites. Nous allons donner toutes ses chances à la négociation; mais si nous avons le sentiment que le débat est verrouillé, nous déposerons une motion de censure.“ Ajoutant: „Nous avons choisi de ne pas pratiquer la politique du pire, parce qu’elle peut conduire à la pire des politiques, c’est-à-dire l’arrivée de l’extrême droite.“
Allusion transparente à la stratégie de La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon, dont l’orateur désigné pour ce débat, Manuel Bompard, devait multiplier à nouveau les attaques contre ce que LFI et son chef regardent comme une „trahison“ des socialistes, que leur „servilité“ a conduit selon eux à „collaborer“ avec le pouvoir – référence à peine masquée aux „collaborateurs“ qui, durant l’occupation, ont servi l’occupant nazi. Les mélenchonistes en sont là en effet, à l’intérieur de ce que l’on n’ose plus appeler „l’union de la gauche“, face au PS, auquel sa volonté d’entamer le dialogue, fût-il méfiant, vaut un déluge d’insultes de la part de LFI.
Mais hier, M. Mélenchon est allé plus loin encore (hors des bancs de l’Assemblée, puisqu’il n’en fait plus partie depuis les dernières législatives): il a explicitement menacé les élus socialistes, et d’une manière plus générale tous ceux qui, à gauche, se refuseraient à censurer dès maintenant le gouvernement Bayrou, de trouver sur chemin de leur réélection, lors du prochain scrutin législatif, un de „ses“ candidats.
Faure: „Nous restons dans l’opposition, mais …“
Le bruit en courait en effet, mais beaucoup pensaient que le leader de LFI n’oserait tout de même pas afficher publiquement un tel chantage: il l’a fait. Sans parvenir à empêcher la gauche modérée de se tourner vers le dialogue, sans faiblesse („Nous restons dans l’opposition“, a aussi dit M. Faure) mais en le préférant à l’anathème perpétuel. Le score particulièrement modeste de leur motion de censure a d’ailleurs rendu les orateurs mélenchonistes particulièrement haineux contre les socialistes après l’annonce du résultat …
Cela dit, M. Bayrou, pour arracher aux socialistes leur décision de ne pas le censurer dans l’immédiat, n’avait pas hésité ces derniers jours à les gratifier de concessions qui ressemblaient fort à des cadeaux, sur les fonctionnaires en général et ceux de l’Education nationale en particulier – forte réserve de voix pour le PS – ou sur le réexamen de la réforme des retraites, à commencer par le point si controversé de l’âge de 64 ans auquel on pourrait y prétendre, et beaucoup d’autres décisions de détail prises par les gouvernements précédents.
Il était donc évident que le locataire de Matignon, même si le scrutin d’hier ne le menaçait normalement pas, attachait un très grand prix à cette abstention socialiste; et cela pour trois raisons au moins. La première est qu’en tant que centriste „historique“, il a philosophiquement besoin que son entreprise repose aussi sur une jambe gauche, même si c’est sa jambe droite, notamment le tandem Retailleau (Intérieur) et Darmanin (Justice), qui garantit le mieux l’existence, pour précaire qu’elle soit, de son gouvernement, du moins vis-à-vis de l’opinion.
Le jeu de Bayrou
En second lieu, il ne peut ignorer que, largement sauvé hier, il devra très certainement affronter dans les semaines qui viennent une ou plusieurs autres motions de censure, lors du vote du budget en particulier. Et que le fait d’avoir établi un contact même temporaire avec le PS ne saurait lui nuire face à de telles échéances. Enfin, en offrant à ce dernier une succession de „victoires“, certaines symboliques mais d’autres relativement importantes, il lui facilitait le chemin de son indépendance par rapport à la férule implacable de Jean-Luc Mélenchon. Lequel eût au contraire triomphé si, finalement, les socialistes s’étaient eux aussi ralliés à son projet de motion de censure. En obtenant concession sur concession de la part du gouvernement, tandis que LFI se murait dans son refus hargneux de tout dialogue, le PS donne corps à cette récente formule de son premier secrétaire sur „la gauche qui travaille“ face à la „gauche qui braille“.
Il n’empêche: tout reste à faire. La mise en œuvre, puis l’exercice sur un trimestre, de la procédure esquissée par François Bayrou dans sa déclaration de politique générale de mardi (voir Tageblatt du 15 janvier), et à laquelle la gauche modérée et les syndicats, acceptent de participer – autrement dit ouvrir (enfin!) des négociations sur la réforme des retraites, „sans aucun tabou“ a-t-il assuré – ne sera certes pas un chemin de roses. Et quoi qu’en dise aujourd’hui l’exécutif, on voit mal comment ce dernier pourrait, en cas d’échec, en revenir tranquillement à la loi actuelle, jamais vraiment discutée, jamais vraiment votée, et jamais adoptée par l’opinion.
Reste que M. Bayrou, qui, avant ces derniers épisodes, estimait dans le scepticisme général qu’il „y a un chemin pour sortir de cette crise“, a fait hier, sur cette voie encore bien incertaine, et certes au prix de reculades importantes, quelques premiers pas qui ne le sont pas moins. Et sans doute pas seulement pour lui-même: le sentiment général hier soir était que le PS, sans rien renier de ses analyses, était peut-être en train de revenir dans le cercle des partis de gouvernement, auquel il manquait singulièrement ces dernières années.
De Maart
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