Au Luxembourg occupé, les désertions d’enrôlés de force ne commencèrent à se multiplier qu’à la fin du printemps 1943, comme l’écrivit le Gauleiter Gustav Simon au général Friedrich Fromm, le chef de l’Ersatzheer – la composante de l’armée de terre allemande chargée de la formation des mobilisés. Entre mai et septembre 1943, le nombre de Luxembourgeois poursuivis pour désertion passa ainsi de trois à 2211).
Selon Simon, ce phénomène s’expliquait bien sûr par la situation militaire préoccupante de l’Allemagne, tant en Afrique du Nord que sur le Front de l’Est, par le bombardement incessant des villes du Reich, qui avait un impact très fort sur l’opinion et par l’incapacité des sous-marins allemands à remporter la bataille de l’Atlantique. Bien des Luxembourgeois s’interrogeaient sur la capacité de l’Allemagne de gagner la guerre.
Le doute s’installe chez les pro-allemands
Ce qui inquiétait le plus le Gauleiter était que ce défaitisme, jusque-là nourri par la partie de la population qui s’était toujours montrée hostile au Reich, était désormais partagé par certains pro-allemands. „Infolgedessen, écrivait-il à Fromm, neigen auch solche Bevölkerungskreise zur Billigung der Desertion, die ein Großdeutsches Reich und den Nationalsozialismus an sich bejahen, aber aufgrund der augenblicklichen Lage jeden Einsatz dafür für vergeblich halten.“
Selon Simon, cet état de fait ne pouvait s’expliquer que par l’activité pernicieuse d’un mouvement de résistance („einer Widerstandsbewegung“) qui s’était donné pour but de soustraire le plus grand nombre de recrues luxembourgeoises au service militaire allemand en leur fournissant des faux papiers et en leur permettant de passer en France. Il estimait qu’il était temps de faire preuve de fermeté, les tribunaux militaires allemands ayant fait preuve, à son goût, d’une trop grande mansuétude:
„Fest steht jedenfalls, dass innerhalb weiter Bevölkerungskreise Luxemburgs die Ansicht vertreten ist, dass die Desertionen ein unfehlbares Mittel für jeden Wehrpflichtigen darstellen, den Gefahren der Front zu entgehen. Dieser Mentalität entsprechend hat es auch die […] Widerstandsorganisation verstanden, sich um die Söhne politisch absolut zuverlässiger Familien heranzumachen, um sie zur Desertion zu verleiten. Es kann gar kein Zweifel darüber bestehen, dass die milde Rechtsprechung gegen luxemburgische Deserteure und ferner auch die in einzelnen Fällen vorgekommene Umwandlung der Todesstrafe in eine Freiheitsstrafe der Desertion einen regelrechten Auftrieb gegeben hat.“
L’érosion du pouvoir nazi
Accuser un mouvement de résistance, fantomatique et omniprésent, était un aveu d’impuissance. Après le recensement avorté d’octobre 1941 et les mouvements de grève de septembre 1942, les désertions massives de la dernière phase de l’occupation furent le désaveu le plus criant et le plus massif de la politique du Gauleiter.
Le premier événement lui avait coûté le soutien de ceux qui avaient d’abord accepté de s’adapter à son régime, le second celui de tous ceux qui s’en étaient accommodés. Mais les accommodements n’étaient plus de circonstance pour les Luxembourgeois à l’heure où leurs enfants couraient le risque d’être sacrifiés à une cause perdue. Sur plus de 10.000 mobilisés, près de 3.500 finirent par déserter, soit le tiers.
Le plus impressionnant fait de résistance accompli au sein de la société luxembourgeoise de l’époque est d’avoir réussi à faire passer une partie de ces déserteurs et réfractaires, en Belgique ou en France; d’en avoir caché des milliers d’autres sur un territoire d’un peu moins de 2.600 km2, au nez et à la barbe de l’occupant ; de les avoir logés, nourris et soustraits aux recherches des autorités allemandes, pendant plus d’un an pour certains.
Punir les familles
Par une circulaire du 10 juillet 1943, le Gauleiter fit savoir que les familles de déserteurs et réfractaires seraient transplantées („umgesiedelt“) dans d’autres régions du Reich. La charge de désigner les foyers qui devaient être frappés devait revenir aux cadres politiques de la Volksdeutsche Bewegung (VdB).
Près de deux semaines plus tard, il nuança cependant son ordre et émit une nouvelle circulaire dans laquelle il précisait que les familles ayant au moins un autre fils de la classe d’âge 1925/1926 ne seraient pas transplantées, s’il était établi que celui-ci était prêt à remplir ses obligations militaires2). Dans une troisième circulaire, émise le 27 novembre 1943, le Gauleiter insisterait de nouveau sur la nécessité de ne pas frapper indistinctement les familles de déserteurs et réfractaires:
„Wie ich schon des Öfteren betont habe, lege ich allergrößten Wert darauf, dass von der Möglichkeit der Umsiedlung in sparsamster Weise Gebrauch gemacht wird. In der Gegenwart sollen nur solche Familien umgesiedelt werden, aus denen ein Wehrpflichtiger desertiert ist. Sofern aber feststeht, dass die Eltern die Desertation weder veranlasst noch unterstützt haben, sondern im Gegenteil politisch zuverlässig sind, muss die Umsiedlung unterbleiben. […] In Zukunft sind alle Fälle, bevor sie meiner zuständigen Dienststelle in Luxemburg (Beauftragter für die Festigung deutschen Volkstums) zur Erledigung übertragen werden, mit dem Landesleiter der VdB Prof. Kratzenberg durchzusprechen. Solche Fälle, von denen Landesleiter Prof. Kratzenberg eine Umsiedlung nicht gutheißt, sind mir vom Kreisleiter zur Entscheidung vorzulegen.“3)
Un nouveau rôle central pour la VdB
Ces mises au point montrent à quel point le désir initial du Gauleiter de frapper sans pitié fut érodé par la complexité de la situation. Celle du 26 juillet indique que Gustav Simon avait pris conscience que frapper indistinctement serait contre-productif. Mieux valait convaincre les familles qui avaient plusieurs fils d’en donner au moins un à l’Allemagne.
La circulaire du 27 novembre révélait quant à elle que c’était probablement à ce moment que le Gauleiter avait compris que les désertions touchaient aussi les familles considérées comme fidèles au régime. La nécessité de ne pas frapper indistinctement allait donner un nouveau rôle – un rôle extrêmement important – à la VdB. Les collaborateurs luxembourgeois allaient devenir des rouages indispensables à la politique d’„Umsiedlung“. C’était à eux que reviendrait le rôle de décider qui devait être transplanté.
1) Archives nationales de Luxembourg (ANLux), Fonds Microfilms divers (FMD) 001, rapport du Gauleiter Simon du 8 février 1944 (Betr.: Behandlung luxemburgischer Deserteure) adressé au Generaloberst Fromm
2) ANLux, Fonds Affaires politiques (AP) SP 515, circulaire du 26 juillet 1943, Ergänzung meiner Anweisung vom 10. Juli
3) Idem, circulaire du 27 novembre 1943
De Maart
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