Samstag1. November 2025

Demaart De Maart

L’histoire du temps présentJuillet 1943: Le piège se referme sur les Italiens du Luxembourg

L’histoire du temps présent / Juillet 1943: Le piège se referme sur les Italiens du Luxembourg
L'hôtel de ville d'Esch sous l’occupation nazie Photo: Musée national de la Résistance

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Il y a exactement 80 ans, les troupes alliées débarquaient en Sicile. Leur invasion rapide de l’île provoqua la première chute de Mussolini, précipita l’Italie dans la guerre civile et eut également de graves répercussions pour la population italienne du Luxembourg.

L’Italie fasciste de Benito Mussolini était la principale alliée de l’Allemagne nazie en Europe. Cela ne signifiait pas pour autant que l’administration civile allemande dirigée par le Gauleiter Gustav Simon voyait d’un bon œil la présence au Luxembourg de 7.500 de ses ressortissants ainsi que de 4.500 Luxembourgeois d’origine italienne. Les nazis les percevaient comme un corps étranger, implanté au milieu d’une population de pure souche germanique et comme un germe de désordre politique.

„Die im Escher Bezirk lebenden Italiener sind zu einem hohen Prozentsatz antifaschistisch eingestellt“, écrivait ainsi un agent du Sicherheitsdienst (SD) en décembre 1941: „Sie sind aus einem nicht geringen Teil aus Italien wegen ihrer politischen Haltung emigriert.“1 Population majoritairement ouvrière, les Italiens étaient en effet nombreux à militer à gauche, voire à l’extrême gauche.

Les auxiliaires du régime nazi

La réinstallation des Italiens hors du Luxembourg était donc chose entendue. Elle fut simplement remise à l’après-guerre en raison de la pénurie de main-d’œuvre – leur travail dans les mines de fer et les aciéries était tout bonnement indispensable et le devint davantage encore à partir du moment où leurs jeunes collègues luxembourgeois furent mobilisés dans la Wehrmacht.

Pour être sûr que les Italiens continueraient de travailler sans créer de problèmes, le régime nazi pouvait compter sur le parti fasciste italien. Celui-ci était implanté au Luxembourg depuis la fin des années 1920 et jouissait d’un appui sans faille de la Légation d’Italie, dont il était en quelque sorte une extension. S’il avait déjà joué ce rôle de surveillance avant l’invasion, le cadre de la démocratie luxembourgeoise avait toutefois limité son emprise.

L’occupation allemande changea la donne. Le contrôle du consulat et du parti se renforcèrent, leur permettant de devenir les auxiliaires de la politique du Gauleiter au sein de la population italienne, tout comme la Volksdeutsche Bewegung et les organisations nazies annexes l’étaient au sein de la population luxembourgeoise.

La mise au pas de la communauté italienne

Les représentants au Luxembourg de l’Etat fasciste aidaient notamment leurs alliés à identifier et interpeller les opposants. Dès la fin août 1940, les Allemands avaient ainsi pu procéder à une vague d’arrestations d’antifascistes et d’anciens combattants des Brigades internationales, qui avaient combattu du côté républicain durant la guerre civile espagnole, grâce à une liste fournie par la Légation2.

Durant toute la période d’occupation, les cadres du parti fasciste furent quant à eux chargés de contrôler l’attitude de leurs compatriotes, aussi bien dans les quartiers où ils résidaient que sur leur lieu de travail. Les ouvriers fascistes les plus fanatiques étaient choisis comme „hommes de confiance“ (Vertrauensmänner) par le Deutsche Arbeitsfront (DAF), le syndicat unique du Troisième Reich. Remo-Romolo-Augusto B. était de ceux-là3.

Ce lamineur devait garder à l’œil 166 des Italiens qui travaillaient à l’aciérie de Dudelange, s’assurer qu’ils respectaient les cadences de production imposées, veiller à ce qu’ils assistent aux manifestations politiques et s’y tiennent correctement. C’était à lui aussi qu’incombait le soin de distribuer les bons d’habillement, étant entendu que seuls ceux qu’il considérait comme politiquement fiables en recevaient. Remo-Romolo-Augusto B. resta fidèle à son engagement bien au-delà de juillet 1943, quand commença pour les Italiens la plus éprouvante phase de la guerre.

Pris au piège

Le débarquement des troupes alliés en Sicile, le 10 juillet 1943, plongea l’Italie dans le chaos. Le 25 juillet, Mussolini fut destitué puis arrêté. Le roi Victor-Emmanuel III, qui était resté le chef nominal de l’Etat italien tout au long de la dictature fasciste, confia alors au général Pietro Badoglio le soin de former un nouveau gouvernement – et d’entamer des pourparlers secrets avec les Britanniques et les Américains.

Le 8 septembre 1943, le royaume d’Italie signa un armistice avec les Alliés, mettant fin à sa collaboration avec l’Allemagne nazie. Celle-ci réagit cependant prestement en occupant le nord et le centre de l’Italie et en y créant la République sociale italienne, également appelée République de Salò, un Etat fantoche dirigé par Mussolini qui, entre-temps, dans un autre coup de théâtre, avait été libéré par un commando allemand.

L’Italie se retrouvait occupée, divisée et plongée dans la guerre civile. Les Italiens du Luxembourg étaient quant à eux piégés en plein milieu de l’Europe sous domination allemande et plus que jamais à la merci du pouvoir fasciste. La Légation s’était sans hésiter rangée du côté de la République de Salò.

La mobilisation forcée des Italiens

Le hasard avait voulu que le ministre résident d’Italie au Luxembourg, Antonio Tamburini, serviteur zélé du régime fasciste et admirateur de l’Allemagne nazie, ait été remplacé en juin 1943. Son successeur, Antonio Cantoni Marca, se montra toutefois tout aussi fidèle au Duce. Le passage de relai de l’un à l’autre fut probablement facilité par la présence de la véritable cheville ouvrière profasciste du consulat, le secrétaire de Légation Marino Fratini.

Fils d’un commerçant italien qui s’était installé à Esch au début du 20e siècle, Fratini avait étudié en Allemagne et obtenu un doctorat à l’Université d’Oldenbourg. Très engagé dans différentes organisations italiennes, il avait été en 1927 l’un des fondateurs de la section du parti fasciste au Luxembourg.

Lorsque les Allemands avaient imposé le service militaire obligatoire au Luxembourg, Fratini avait décidé de mobiliser ses compatriotes, quoi qu’ils en pensent, au service de l’effort de guerre commun. En 1942, trois à quatre classes d’âge de jeunes Italiens du Luxembourg furent enrôlées. Pensant être mobilisées de façon régulière, les recrues découvrirent en Italie qu’elles étaient considérées comme des volontaires.4

Après l’instauration de la République de Salò, la mobilisation forcée, tout comme la répression des opposants, furent poussées plus loin encore. Les Italiens mobilisables, en particulier ceux qui avaient déserté après l’armistice et étaient parvenus à rejoindre leur foyer au Luxembourg, furent contraints de rejoindre l’armée fasciste. Ceux qui refusèrent furent déportés en Allemagne.5


1 Archives nationales de Luxembourg (ANLux), Fonds Chef der Zivilverwaltung (CdZ), SD 031, rapport du 9 décembre 1941.

2 ANLux CdZ SD 026, rapport du 29 août 1940.

3 ANLux, Fonds Affaires politiques (AP) B149.

4 ANLux, AP G93, lettre du comité centrale de l’Union antifasciste italienne à l’adresse du ministre de l’Epuration, datée du 26 avril 1945.

5 Idem, témoignages de Sismo B./Louis L./Toni S., recueillis par l’Union antifasciste italienne et remis au ministre de l’Epuration le 6 décembre 1945.