4. Dezember 2025 - 7.29 Uhr
Forum de Renata SantiniJeux d’armes: l’enfance en ligne de mire
En effet, l’apparente légèreté des images filmées lors de la journée portes ouvertes de l’armée luxembourgeoise rappelle, à première vue, celle des kermesses d’antan au cours desquelles les élus s’adonnaient à une partie de pêche aux canards. Sauf qu’à défaut de palmipède en plastique, c’est un fusil d’assaut de type militaire qui est brandi fièrement sous le regard amusé du général de l’armée luxembourgeoise. D’autres photographies mettent en scène de très jeunes enfants, vêtus d’uniformes militaires, posant sur des chars d’assaut.

En aucune manière, de telles images ne sauraient être interprétées comme un gage de paix. Bien au contraire, elles dénotent une vision profondément troublée de la paix, comme l’a énoncé sans retenu la ministre de la Défense, Mme Yuriko Backes: „si on veut la paix, préparons la guerre. Malheureusement …“. Et d’y ajouter „je dois faire en sorte qu’on soit prêts pour une guerre“.
Or, ces images ne montrent pas des armes que la magie de l’instant aurait rendues inoffensives. Elles communiquent un message résolument martial. De fait, derrière cette forme de romantisation de l’armement, se dissimule une réalité très préoccupante: sous couvert de sécurité collective, le pays adopte pas à pas les logiques de l’OTAN, aboutissant à une hausse des budgets militaires, à un renforcement de l’arsenal et à un recrutement de la jeunesse. Mais comment justifier qu’en démocratie, des choix aussi décisifs pour l’avenir du pays soient pris sans débat public, alors même qu’ils engagent notre modèle économique, notre culture politique et nos valeurs éthiques?
Sans compter que le message paraît difficilement audible car, dans un monde partagé entre les superpuissances militaires dotées de sous-marins nucléaires et autres missiles hypersoniques, l’image d’un Luxembourg à la pointe de l’armement avec un simple fusil a de quoi déconcerter.
Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes et des femmes, c’est dans l’esprit des hommes et des femmes que doivent être élevées les défenses de la paix
Mais surtout, d’un point de vue éducatif qui est le nôtre, n’est-ce pas là faire montre d’une forme d’irresponsabilité que d’exposer sciemment de telles images, nonobstant leur impact profondément délétère sur le public, en particulier les jeunes enfants et adolescents. Lors de cet événement en apparence festif, un double glissement iconographique s’est opéré avec d’un côté, des adultes et responsables politiques véhiculant des valeurs militaires, et, de l’autre côté, de très jeunes enfants mis en scène, assis sur des chars d’assaut, comme si la familiarisation précoce avec la guerre relevait d’un simple divertissement. Ici, l’utilisation des registres de l’imaginaire et du symbolique semble porter une dynamique ayant pour objectif premier de faire oublier le réel de la guerre.
Par ailleurs, préparer des enfants à jouer en terrain militaire n’est pas une tactique nouvelle: en effet, le marketing publicitaire a, depuis longtemps, été utilisé pour inviter les plus jeunes à rejoindre les forces armées. Avec une militarisation progressive et „normalisée“ de l’enfance. Quant à ceux qui n’ont pas encore l’âge de s’engager, ils sont conviés à des jeux de guerre, de poursuite, de bataille, avec une césure toute manichéenne entre le bien et le mal, le gentil et le méchant. A d’autres époques, les plus jeunes jouaient au gendarme et au voleur.
Combat contre la militarisation des enfants
Aujourd’hui, ils jouent à celui qui tuera le plus de monde. L’imaginaire associé à la guerre possède une force de séduction que nous pourrions qualifier de phallique au sens où il en appelle à la force, au courage, à la puissance et à la maîtrise. Bref, au fait d’être un homme, un vrai. Or, devenir des hommes, n’est-ce pas ce dont rêvent la plupart des petits garçons? En utilisant l’espace militaire comme terrain de loisirs, de jeu et donc d’éveil, c’est vers la légitimation du militarisme que l’éveil en question se fait.
Dans ce contexte, inconscients des enjeux qui les entourent et du rôle de vecteurs d’une propagande militaire que les dirigeants leur font jouer, les enfants sont placés dans la posture de petits soldats, ce qui légitime et valorise l’institution militaire dans l’espace public. Cependant, il convient de rappeler que la valorisation de comportements guerriers chez des enfants contrevient aux principes fondamentaux des organisations internationales engagées en faveur de la paix et des droits de l’enfant. En effet, depuis des décennies, les Nations unies, par le biais de l’Unicef et de l’Unesco, combattent toute forme de militarisation des enfants, en interdisant explicitement l’exposition des mineurs à des environnements militaires y compris sous des formes symboliques ou représentatives, et leur enrôlement.
Depuis 1993, en tant qu’Etat membre des Nations unies, signataire de ces conventions, le Luxembourg s’est engagé à respecter, faire respecter et promouvoir les droits des enfants ainsi que le principe de protection de ces derniers. Dès lors, il paraît difficilement justifiable que Madame la ministre de la Défense fasse abstraction des engagements internationaux que le Grand-Duché a librement ratifiés. Ce décalage entre le respect proclamé des conventions et leur violation manifeste, soulève donc des questions légitimes sur la cohérence et la crédibilité des politiques publiques.
Sur un plan psychologique, l’imitation est un phénomène central du développement cognitif, social et affectif chez l’être humain. Les recherches soulignent que chez les enfants, l’imitation constitue le pilier de développement identitaire, social, et de construction de soi.
La question du choix
Chez l’adolescent, elle prend d’autres formes et fonctions, souvent lié au développement de l’identité, à l’intégration sociale et à la quête d’autonomie identitaire. Les jeunes ont tendance à imiter les comportements des adultes, en particulier ceux véhiculés par des figures d’autorité ou de notoriété. En outre, le désir d’affiliation pourrait également constituer un facteur motivant l’imitation. Par ailleurs, l’imitation est en lien avec les rapports sociaux et les relations entre les individus en interaction. Hormis ce fait, la question de l’affirmation de soi au sein du groupe de pairs représente également un facteur essentiel dans les processus d’enrôlement. En effet, „l’adolescent cherche une identité dans et par le groupe“ répondant à divers besoins, tant éducatifs que personnels et sociaux. L’objectif serait notamment de se découvrir, s’affirmer et construire une représentation de soi ainsi qu’une identité personnelle et collective.
Enfin, cette recherche identitaire est d’autant plus marquée que l’adolescent se trouve engagé dans un processus d’„autonomie relationnelle“ (Metton, 2006), lui permettant une liberté totale dans le choix de ses amis, de ses fréquentations, et par conséquent dans les attentes et les engagements qu’il noue à leur égard. Notons l’expression „totale liberté“ qui pose question: les enfants et jeunes adolescents sont-ils réellement libres du choix de leurs amis et, au-delà, du choix de faire ou non la guerre?
La banalisation de la guerre, des armes, de la violence, de la mort expose les enfants à des images militarisées alors même que leurs mécanismes d’identification sont encore en formation. Ce qui, au final, peut favoriser l’émergence de comportements agressifs. Ces dernières décennies, le nombre d’événements tragiques survenus dans les écoles américaines, liés à la généralisation des armes, illustre les dangers de cette culture. D’ailleurs, les armées savent combien les jeunes sont psychologiquement malléables, voire vulnérables. Cette fragilité a déjà été exploitée par les autorités militaires pour transformer de jeunes gens perdus en exécutants patriotiques, comme ce fut le cas des sinistres kamikazes. Faut-il alors vraiment reproduire aveuglément ces dérives?
Repenser ce que signifie agir en politique
Le professeur en sciences de l’education et chercheur, Pascal Plantard (2024) soulève ce qui apparaît comme l’enjeu central de cette discussion: „La violence surgit là où il n’y a pas de paroles, pas de pensées.“ De là, l’introduction subtile et progressive de la culture militaire dans l’univers symbolique des enfants, par le biais d’images raillant toute forme de culture de paix, constitue une chute vertigineuse et une banalisation de la violence, de l’arme et du „je te tue“ (p. 21).
En somme, la question qui se pose est celle du choix. Ou plus précisément, de la liberté de choix. Le choix d’embrasser ou non, une carrière militaire, un comportement martial reposant sur l’affrontement. Et au-delà, le choix pour tout enfant de grandir dans la paix, la sécurité et la dignité.
Or, les politiques actuelles semblent s’accorder à faire de la guerre une réalité possible, pour ne pas dire inévitable, mettant au rébus les messages et les actes de paix. Le brouillage entre espace civil et espace militaire, entre jeu et conditionnement, entre paix proclamée et guerre suggérée, marque un tournant silencieux mais significatif.
De là, une question s’impose à la classe politique: les dirigeants peuvent-ils à la fois incarner une responsabilité politique et oublier les engagements internationaux qui placent la protection de l’enfance au cœur du droit humanitaire? De même, peuvent-ils banaliser l’image d’une arme létale sans mesurer l’impact de ces représentations sur les plus jeunes, si perméables aux images, aux gestes et aux postures?
Lorsque la logique de guerre devient un objet de fascination, lorsqu’elle s’invite jusque dans les cours de récréation, il paraît d’autant plus important de rappeler le rôle fondamental du politique. Sa mission première est de rétablir les conditions du dialogue. Mais elle consiste aussi, plus profondément, à réapprendre à confronter les idées, à débattre sans violence, à faire place à la pensée au lieu de l’effacer.
N’est-il alors pas devenu impératif de repenser ce que signifie agir en politique, de mesurer la portée réelle de la parole prononcée et de retrouver ce socle commun sans lequel ni l’intérêt général ni le vivre-ensemble ne peuvent être institués durablement?
Anmerkung
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De Maart
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