Tageblatt: La „vraie“ maison abandonnée vous habite depuis l’âge de 13, 14 ans jusqu’à maintenant.
Jean-Baptiste del Amo: Absolument. J’en ai même rêvé de temps à autre pendant quasiment plus de 30 ans. Jusqu’à l’écriture de „La Nuit ravagée“, je rêvais que je retournais dans cette maison. En fait, l’âge où je l’ai connue et au moment où on y est entré, cela a sans doute représenté quelque chose pour nous, un événement plus important que ce qu’on a pensé sur le moment, puisque ça a continué de m’habiter, de vivre avec moi. Donc ça, ça a été un des points de départ du roman.
Comment expliquez-vous que vos jeunes personnages soient attirés par cette bâtisse?
Il y a à la fois un élément purement fantastique et narratif, qui est cette espèce d’emprise que la maison exerce sur eux avant même qu’ils y entrent. Ils vont s’apercevoir que tous en rêvaient déjà depuis longtemps. Et puis, une fois qu’ils auront passé la porte, la maison va exercer sur eux une forme de fascination parce que, finalement, ils peuvent y projeter leurs peurs et leurs désirs les plus profonds, les plus secrets, les plus inavouables. Un espace où ils vont penser qu’ils peuvent réaliser tous leurs fantasmes sans que ça n’atteigne leur réalité. Très rapidement, la fascination va devenir une addiction pour eux. Ils vont presque préférer l’expérience intense qu’ils peuvent vivre dans cette réalité alternative à celle de leur propre vie. Souvent, la mise en scène de leurs peurs ou de leurs désirs les plus secrets, ils ne vont pas la partager les uns avec les autres. C’est aussi ce secret-là qui va commencer à les diviser, à les éloigner les uns des autres. Les parents se rendent compte que quelque chose ne va pas. Mais bien évidemment, cette incommunicabilité fait que les enfants ne partagent pas ce qu’ils vivent à l’intérieur. Ce qui se cache dans la maison, cette espèce d’univers de réalité parallèle qui est aussi une forme de réalité organique, va vraiment exercer sur eux une forme de fascination qui va leur interdire de vouloir divulguer ce secret ni même en parler entre eux parce qu’ils vont vouloir préserver cette expérience-là. Jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’en réalité, ça représente aussi une menace véritable pour eux.

Aucune famille n’est heureuse, finalement.
Ces enfants, souvent, ils se débattent avec des familles qui sont plus ou moins dysfonctionnelles, qui cachent des secrets, des blessures, des silences. Et ils font face aussi à une forme d’incommunicabilité avec leurs parents. Comme si le lien s’était rompu quelque part et que les parents ne pouvaient pas entendre véritablement la solitude et la détresse de leurs enfants. Par ailleurs, ce sont aussi des enfants qui sont destinés à reproduire le même schéma de vie que leurs parents. Ils ont, pour certains, des rêves et de l’ambition, mais il y a une forme de déterminisme social qui les oblige à ne pouvoir se projeter que dans la répétition de la vie du modèle parental. Alors qu’ils rêvent sans doute, ils ont d’autres aspirations, mais en sachant qu’elles ne leur seront pas permises. Certains rêvent de fuir. Mais ils ne le font pas. Il y a quelque chose qui les retient, mais au-delà de la maison hantée, je pense que c’est vraiment cette question du plafond de verre et des déterminismes qui font qu’ils sont englués dans un modèle de vie. Les personnages sentent une forme de pression, d’empêchement peser sur eux. Il y a quelque chose qui les bloque, sans savoir exactement ce que c’est pour eux. Chacun se débat véritablement avec quelque chose qui l’empêche d’exister pleinement: une famille dysfonctionnelle, une brute au lycée, un beau-père violent.
Qu’est-ce qui vous attire dans le roman horrifique?
Ce qui m’a donné véritablement envie d’écrire un roman horrifique, c’était avant tout le désir de parler des années 90 et d’une génération qui est la mienne. La façon la plus honnête de le faire, pour moi, c’était justement d’utiliser le genre. Parce que le genre a représenté, pour moi, dans les années 90, une forme d’échappée possible, d’évasion, de représentation de mes peurs aussi, de mon sentiment d’étrangeté. Je crois que je n’aurais pas pu traiter de ces années-là et de ma génération si je n’avais pas eu le soutien du genre. Il est tellement codifié qu’il y a déjà une base très solide. Quand on commence à écrire un roman de genre, et surtout quand on se confronte presque à la mythologie de la maison hantée, il y a déjà des choses qui préexistent. Il y a des codes, des personnages, des règles que j’aurais pu considérer comme un obstacle. Mais pour moi, au contraire, c’était vraiment un cadre et un soutien qui me permettaient de projeter une histoire tout en sachant que la base existait déjà. C’est mon premier roman qui s’inscrit pleinement dans le genre horrifique. Cependant, je crois que dans tous mes romans, il y a déjà des évocations plus ou moins fantastiques ou des thématiques assez sombres qui sont à explorer et qui sont plutôt le propre du roman de genre.
Êtes-vous nostalgique des années 90?
Je ressens plutôt une forme de mélancolie. Je ne sais pas si je peux véritablement regretter ces années-là, mais quand j’y pense, j’ai aussi conscience de la chance que nous avions, justement de ne pas avoir les réseaux sociaux ni de téléphone portable et d’avoir la possibilité de nous ennuyer. Ce constat est important dans le livre. Ce qui nous laissait aussi la possibilité d’inventer des histoires. Et ça, je crois que pour des enfants et des adolescents, c’est finalement très précieux. Même si nous, par moments, on détestait ces moments-là et qu’on avait envie de vivre quelque chose de beaucoup plus intense. Le fait est que, rétrospectivement, je vois aussi combien ça nous a donné un temps à nous, pour nous développer. L’amitié est très importante pour moi dans le livre parce que prendre le temps de déployer les relations entre ces personnages et les enjeux personnels pour chacun d’entre eux, c’était une façon aussi de faire en sorte que l’horreur ne soit pas gratuite quand elle advient.
J’avais conscience que, par exemple, une des faiblesses du genre horrifique, c’est parfois d’avoir des personnages qui sont trop schématiques, des enjeux intimes qui sont quasiment absents pour les personnages. Et au contraire, moi, je voulais que ces personnages existent dans l’imaginaire du lecteur, qu’on s’y attache, qu’on comprenne ce qui les guide, ce qui les porte. Et que, quand ils passent la porte de cette maison, finalement, l’horreur qu’ils vont y trouver va se nourrir véritablement de l’intimité de chacun.
Parce que ce que les adolescents vont trouver dans la maison va se nourrir de leurs problématiques intimes et personnelles. J’avais conscience que, par exemple, une des faiblesses du genre horrifique, c’est parfois d’avoir des personnages qui sont trop schématiques, des enjeux intimes qui sont quasiment absents pour les personnages. Et au contraire, moi, je voulais que ces personnages existent dans l’imaginaire du lecteur, qu’on s’y attache, qu’on comprenne ce qui les guide, ce qui les porte. Et que, quand ils passent la porte de cette maison, finalement, l’horreur qu’ils vont y trouver va se nourrir véritablement de l’intimité de chacun.

Vous êtes-vous imposé des limites dans le désir de „faire peur“ au lecteur?
Non, jamais. C’est quand éventuellement c’est trop horrible que ça devenait excitant, justement. Effectivement, je pense qu’il y a une façon de représenter l’horreur en littérature, parce que les codes de l’horreur ne sont pas les mêmes dans un livre que dans un film de cinéma. Au cinéma, par exemple, vous allez surtout utiliser ce qu’ils appellent le jump scare, c’est-à-dire quelque chose qui va susciter le sursaut, le coup d’effroi avec la musique, le montage, des apparitions brutales. Dans un roman, vous ne pouvez pas avoir recours à cela. Donc, c’est plutôt dans des ambiances, dans des descriptions que vous allez réussir à susciter le sentiment d’effroi chez le lecteur. Il fallait avant tout entraîner suffisamment le lecteur pour qu’il ne puisse plus s’échapper lui non plus de cette maison et qu’il soit obligé d’aller jusqu’au bout parce qu’il veut connaître la fin. Et qu’il prend une forme de plaisir.
De Maart
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