La guerre à Gaza et ses multiples implications depuis le 7 octobre 2023 dépassent, aujourd’hui, le seul cadre régional du Proche-Orient et pèsent de plus en plus sur l’ensemble des relations internationales.
Comment est-on arrivé à une telle situation de déconstruction „méthodique“ de l’ordre international?
La légitimité de l’ONU et de ses instances mise à rude épreuve
Les récents avis, résolutions et décisions de l’Assemblée générale de l’ONU et de la Cour internationale de Justice (CIJ) concernant le conflit israélo-palestinien, à savoir
– l’ordonnance de la CIJ du 26 janvier 2024 sur l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza,
– l’avis consultatif de la CIJ du 19 juillet 2024 sur les conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et de l’illicéité de la présence d’Israël dans le Territoire palestinien occupé,
– la résolution de l’AG de l’ONU du 18 septembre 2024 à la suite de l’avis consultatif de la CIJ du 19 juillet 2024,
restent actuellement sans grand effet, conséquence de leur ignorance pure et simple par le gouvernement israélien, du support inébranlable des États-Unis à Israël et du silence honteux de la grande majorité des pays de l’UE.
La décision de la Cour pénale internationale (CPI) du 21 novembre 2024 de délivrer des mandats d’arrêt internationaux contre Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant a, elle, provoqué des déclarations contradictoires de la part de nombreux gouvernements occidentaux, ces derniers affirmant soutenir le travail de la Cour tout en refusant de s’engager clairement à procéder à l’arrestation des personnes incriminées en cas d’entrée sur le territoire national. Ces tergiversations des pays occidentaux risquent, à terme, d’éroder l’autorité de la Cour.
S’y ajoutent les déclarations du Premier ministre israélien à l’égard de l’ONU et des institutions lui rattachées (CIJ, CPI, UNRWA, …), dont voici quelques exemples tirés de son discours du 27 septembre 2024 devant la 79e Assemblée générale de l’ONU:
– „Israël est accusé de génocide de manière mensongère alors que nous nous défendons actuellement contre des ennemis qui tentent de commettre un génocide à notre encontre,
– le procureur de la CPI accuse, de manière absurde, Israël d’affamer délibérément les Palestiniens de Gaza,
– la mise à l’écart du seul et unique État juif continue d’être une souillure morale sur les Nations-Unies et a rendu cette institution méprisable aux yeux des honnêtes gens du monde entier,
– pour les Palestiniens, cette maison des ténèbres de l’ONU est un terrain de jeu,
– tant que ce bourbier antisémite ne sera pas asséché, les esprits impartiaux, dans le monde entier, ne verront dans les Nations-Unies qu’une farce digne de mépris“.
Il est stupéfiant de constater que ces déclarations, aussi mensongères et nauséabondes qu’elles puissent être, sont restées sans la moindre réaction de la part de la plupart des pays occidentaux.
Le résultat en est que, pour une partie croissante de l’opinion publique, l’ONU et les autres institutions onusiennes, tout comme l’ordre international en général, sont en voie de délégitimation, augmentant ainsi le danger de voir s’effondrer la confiance dans une résolution pacifique des conflits mondiaux.
Le „deux poids, deux mesures“ s’imposera-t-il définitivement?
Une des premières choses qu’un enfant apprend est que la vie en commun implique que certaines règles de base soient respectées. Toutefois, tout système fondé sur des règles ne peut fonctionner qu’en appliquant ces dernières de manière non sélective.
C’est tout le contraire que nous observons dans le cadre du conflit israélo-palestinien. Alors que la réponse des pays occidentaux à la guerre en Ukraine a montré au monde ce qui est possible quand un État, en l’occurrence la Russie, viole ses obligations internationales – sanctions, asile facilité pour les réfugiés, soutien des enquêtes de la justice internationale, … , tout le contraire s’observe dans la réponse de ces mêmes pays à la guerre à Gaza.
La guerre à Gaza renforce, en effet, le sentiment d’un ordre international
– qui n’accorde pas la même importance à la vie humaine en fonction du ou des pays impliqués et
– où la proportionnalité, en matière d’autodéfense ou d’action militaire, n’entre plus en considération1.
Les dirigeants de nos soi-disant „pays démocratiques“ sont, aujourd’hui, en train de mener l’ordre international à sa perte, Israël par sa brutalisation des conflits, les États-Unis et l’UE par leur laissez-faire et leur complicité honteuse, soutenant ou, à minima, tolérant la violence génocidaire qui s’est abattue sur la population gazaouie et, aujourd’hui aussi, sur celle en Cisjordanie.
Un nombre croissant de pays reprochent ainsi aux Occidentaux de leur faire la leçon sur le droit international et humanitaire alors qu’eux-mêmes „regardent les standards internationaux comme un menu à la carte“2. Nombreux risquent d’être les pays qui, à l’avenir, tireront profit des ambiguïtés de l’Occident sur les valeurs qu’il dit porter en matière de droits humains, au péril de provoquer de nouveaux conflits, crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Le silence des responsables politiques, des entreprises et des populations occidentales
Alors que nous vivons aujourd’hui le premier génocide diffusé en temps réel, la question se pose du pourquoi de l’atonie des responsables politiques, des entreprises et des populations occidentales face au carnage qui se déroule devant leurs yeux.
Ainsi, il est possible d’exterminer, chaque jour, depuis plus de 15 mois, des dizaines de femmes, d’hommes et d’enfants prisonniers d’un territoire minuscule, de les déchiqueter, de les mutiler, de les ensevelir sous les décombres de leurs habitations, de les priver délibérément d’eau potable, de nourriture, de produits d’hygiène élémentaires et de soins médicaux, de leur imposer des déplacements incessants, de dévaster de manière irréversible leur patrimoine historique et tous leurs lieux de vie, sans que les responsables politiques, les entreprises et les populations occidentales, dans leur grande majorité, ne brisent leur silence, voire continuent, pour les responsables politiques et les entreprises, à offrir leur complicité active et ouverte.
Pourquoi? Quelles en sont les raisons?
Y aurait-il une différence de gravité entre le meurtre de jeunes gens de bonnes familles assistant à un festival de musique et le meurtre de jeunes Palestiniens dont le sort serait plutôt une manifestation de leur ‘nature profondément mauvaise’, le tout combiné à des „préjugés anti-arabes et antimusulmans qui ont été si bien marqués et enfoncés dans les crânes qu’ils apparaissent désormais comme des vérités banales et évidentes3“?
Serait-ce parce que les femmes, les enfants, sans même parler des hommes palestiniens, sont perçus comme une masse indistincte et barbare, tous complices des crimes commis par le Hamas?
Serait-ce parce que les enfants, les femmes et les hommes palestiniens sont d’abord assimilés à une menace démographique, à des graines de terroristes, à des „animaux humains“4, et non à des enfants, des femmes, des hommes, … des êtres humains?
Serait-ce parce que les gouvernements occidentaux qui cautionnent les agissements israéliens „mettent en branle tout l’arsenal de la propagande de guerre afin de persuader le bon peuple qu’il ne voit pas réellement ce qu’il voit5“?
Serait-ce parce que le gouvernement israélien et ses lobbyistes instrumentalisent l’accusation d’antisémitisme, visant à criminaliser toute critique d’Israël?
Ou serait-ce tout simplement parce que, qu’importe le crime perpétué, ce sont invariablement les Palestiniens les coupables et invariablement les Israéliens les innocents?
Une inversion de la culpabilité qui laisse perplexe
Les valeurs fondamentales de nos sociétés seraient-elles en train de basculer? Une grande majorité de l’opinion publique ne réagit plus quand nos dirigeants politiques accordent toute liberté aux représentants d’un pays dirigé par un gouvernement d’extrême-droite condamné à de multiples reprises par la justice internationale, alors qu’en même temps, ces mêmes dirigeants essaient, par tous les moyens, d’intimider, voire de criminaliser les défenseurs des droits humains et de la paix dans le monde?
Même les formes de résistance pacifiques sont automatiquement critiquées, sanctionnées, sabotées, voire, selon les pays, brutalement réprimées.
De plus en plus, ceux qui n’acceptent pas ce qui se passe en Palestine, qui en sont profondément choqués et dégoutés et qui le font savoir, s’exposent à la répression policière, à la ruine de leur réputation, à la perte de leur emploi, voire plus. Est-ce là le monde dans lequel nous voulons vivre?
Conclusion
Le climat international actuel devient irrespirable. Le conflit israélo-palestinien soulève une multitude de questions sur la légitimité des actions militaires, sur le respect du droit international et sur l’hypocrisie des discours de nos gouvernements.
Alors que la violence et la souffrance des populations civiles persistent, il est impératif que tous, nous reconnaissons que la défense des droits humains ne peut être sélective. L’indifférence face aux atrocités commises, ainsi que le soutien tacite à des politiques d’occupation et de répression, mettent en péril non seulement la crédibilité des institutions internationales, mais également les valeurs mêmes que nos États occidentaux prétendent défendre.
Il est crucial que la communauté internationale prenne conscience de cette dérive et agisse avec cohérence et intégrité. Une paix durable au Proche-Orient et dans le monde ne pourra être atteinte que si toutes les voix sont entendues et que les droits de tous les peuples, y compris ceux des Palestiniens, sont respectés. La lutte pour la justice et l’égalité doit transcender les intérêts géopolitiques et les préjugés, afin de construire un avenir où la dignité humaine est au cœur des relations internationales.
* Jules Barthel est président du Comité pour une Paix juste au Proche-Orient
1 15 mois de bombardements sans relâche, plus de 50.000 morts et 110.000 blessés dont une large majorité de civils, une terre et un patrimoine complètement dévastés, est-ce cela qu’on peut appeler de la „légitime défense proportionnée“?
2 Tirana Hassan, juriste australienne, directrice exécutive de l’ONG Human Rights Watch, dans une interview accordée au journal Le Monde, édition du 23 décembre 2024
3 Mona Chollet: Petit traité de déshumanisation des Palestiniens – La Revue du crieur 25 / La Découverte
4 Yoav Gallant, ministre israélien de la Défense en fonction le 7 octobre 2023
5 Idem 3
De Maart
"tous complices des crimes commis par le Hamas?" aha, awer leider Schutzschëlder fir "Gottesanbeter" an op der anerer Säit dann die Gottesmänner mat den Trëtzen.
Esou guer en neien Präsident den vu Gott beruff gouf...... ët ass nët ze "GLEEWEN"
"Ou serait-ce tout simplement parce que, qu’importe le crime perpétué, ce sont invariablement les Palestiniens les coupables et invariablement les Israéliens les innocents?"
Non, responsables, les idéologies d’un côté comme de l’autre.
On ne peut que se rallier a l analyse pertinente des faits exposee par M.Barthel.
Monsieur Barthel, juste une remarque. Ce que vous décrivez ne se passe pas que depuis le 7 octobre 2023. Mais depuis des décennies.En plus de ça l'Europe et les USA sanctionnent la Russie en partie pour des faits qu'Israel fait pendant des décennies sans sanctions. Ils se sont également felicités que 140 pays cautionnent ce qu'a fait la Russie mais ignorent que 170 pays cautionnent ce que fait Israel et continuent de soutenir ce pays sans condition