Cette journée du 18 septembre devait être marquée par une grande retrouvaille de tous les syndicats pour manifester contre le (futur) budget du (futur) gouvernement, entre autres cibles du mécontentement allant de la politique de Netanyahou à la fin de la ristourne des pharmaciens sur les médicaments génériques, en passant par le tracé de telle autoroute ou le rachat de telle entreprise par des capitalistes chinois ou américains, et l’on en passe.
Prudemment, le nouveau premier ministre Sébastien Lecornu s’était employé, la veille, à recevoir à Matignon les partis d’opposition représentés au Parlement. Mais sans leur dévoiler pour autant, fût-ce dans les grandes lignes, ses plans pour sortir la France de l’impasse. Ni donc – encore moins, même – ouvrir avec eux la moindre négociation, en particulier sur le prochain budget pour l’adoption, où il aura pourtant le plus grand besoin que l’un au moins des deux plus grands groupes parlementaires en dehors de la „majorité“ gouvernementale et de La France Insoumise, autrement dit le RN et le PS, s’abstiennent lors du vote de censure qui ne manquera certainement pas de se produire.
Cette circonspection du chef de ce nouveau gouvernement dont aucun autre membre n’est encore nommé s’explique sans doute par le souci de voir de nouvelles idées, même encore embryonnaires, taillées en pièces par les manifestants. Lesquels, du moins pour ceux dont l’objectif était de critiquer la politique du précédent premier ministre et de son ancien schéma budgétaire, et qui constituaient une large majorité des protestataires, auraient donc pu se contenter de conspuer une équipe démissionnaire et un projet de budget qui n’était plus.
„Les prix prennent l’ascenseur, les salaires l’escalier“
Mais les cortèges et les prises de parole des grévistes ont clairement montré que quatre à cinq cent mille contestataires recensés (un million, même, n’a pas craint d’affirmer la CGT) entendaient surtout lancer à l’exécutif un avertissement pour l’avenir, à l’évidence dans la perspective de la prochaine discussion budgétaire, et même de la prochaine „déclaration de politique générale“ de Sébastien Lecornu devant l’Assemblée nationale lors de la rentrée parlementaire d’automne. Il est vrai que, les grèves sont, en France, de plus en plus souvent préventives.
De toute façon, les critiques, souvent très virulentes, sur ce qui a été fait sous la présidence d’Emmanuel Macron allaient bien au-delà d’une remise en cause de „l’austérité“, en fait bien relative, des ambitions budgétaires de feu le gouvernement Bayrou pour commencer à combler un peu le déficit des finances publiques. Manifestement, qu’il s’agisse de l’Education nationale ou de la Santé, voire dans une certaine mesure de la Justice, les dotations de crédits n’ont pas suivi l’évolution des besoins, et ce n’était pas, hier, une des moindres racines de la colère qui s’exprimait par les grèves et dans les rues.
Et puis, à écouter hier les manifestants, on voyait bien qu’il y avait deux autres causes majeures et lancinantes à la colère populaire telle qu’elle s’exprimait dans un peu toute la France urbaine. La première est celle du pouvoir d’achat. Sans doute est-elle, comme on dit, vieille comme le monde, et dans une certaine mesure universelle. Mais deux facteurs en sont venus, ces dernières années, aggraver et légitimer le sentiment: dans beaucoup de secteurs, les salaires n’augmentent (presque) pas, contrairement aux prix. Les syndicats ont pour cela une formule imagée: „Les prix prennent l’ascenseur, et les salaires l’escalier.“
Deuxième facteur d’exaspération chez les salariés: le sentiment que „les riches“ (en fait les très, très riches, mais cette nuance n’est pas consolante) paient proportionnellement moins d’impôts que les contribuables moyens – sachant que, tout de même, 54% de foyers modestes n’en paient pas du tout en France. D’où le succès, qui selon un sondage existe aussi massivement dans l’électorat de droite, de la „taxe Zucman“, du nom de cet économiste qui préconise de prélever 2% du capital, outils de travail compris, de titulaires d’une fortune (même immatérielle) de cent millions d’euros ou plus.
Sens des responsabilités
Sur un plan plus directement politique, on aura noté aussi que parmi les revendications exprimées publiquement hier, il y avait celle de voir le président Macron démissionner. Et cela très au-delà de ce qui est de tradition dans les grandes manifestations de l’opposition. D’autres réclamaient une nouvelle dissolution de l’Assemblée, ou les deux. Mais c’est la très forte impopularité personnelle du chef de l’Etat qui était inlassablement soulignée par les slogans. Même si certains dérapages verbaux ont eu lieu du côté politique: Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, a ainsi assuré que le prochain budget ne serait pas l’œuvre du Parlement, mais se ferait „dans la rue“, une analyse que l’on ne doit pas partager au PCF dont son syndicat est proche.
Reste la question des violences, qui étaient extrêmement redoutées. Non pas seulement par les habitants des grandes villes, mais aussi par la police, et par les syndicats. Ces derniers redoutaient de voir leur démonstration de force, qui n’était déjà pas tout à fait à la hauteur de leurs attentes mais est restée aussi longtemps que possible d’une irréprochable dignité, finalement détournée, pervertie, salie même, en termes d’image, par les actions des Black Blocs. Des contacts avaient d’ailleurs été noués entre les responsables des centrales et ceux de la police, pour assurer la sécurité des manifestants et isoler les casseurs et pillards, face à des boutiques qui, sur le passage des cortèges, étaient d’ailleurs souvent protégées par des panneaux de bois.
Quant au ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, il pouvait, en fin d’après-midi, se féliciter de constater que ni la marée humaine annoncée par les syndicats, ni surtout la tant redoutée furie incendiaire et destructrice des Black Blocs et autres vandales, n’ont eu lieu. Ces derniers ayant sans doute été un peu dissuadé par l’ampleur du dispositif policier – plus de 80.000 hommes et d’importants moyens techniques, dont quelque mille drones – mais aussi par le sens des responsabilités des syndicats eux-mêmes.
De Maart
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