Donnerstag25. Dezember 2025

Demaart De Maart

Littérature„Goss“ de Guy Rewenig: le journal d’un menteur

Littérature / „Goss“ de Guy Rewenig: le journal d’un menteur
Portrait de l’auteur Guy Rewenig Photo: Editpress/Didier Sylvestre

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Qu’en est-il de „Goss“ de Guy Rewenig? Regard sur la dernière publication de l’auteur luxembourgeois iconique.

Né en 1947, Guy Rewenig est un auteur luxembourgeois polygraphe et plurilingue dont l’œuvre, très conséquente, se compose notamment de romans picaresques. Il s’est déjà illustré dans ce genre littéraire (narrant de façon générale, sur le mode autobiographique, l’histoire de héros (voire d’anti-héros) – généralement des jeunes gens – vivant des aventures souvent extravagantes et pittoresques) en 2001 par la publication d’une trilogie intitulée „Trilogie’ vum klengen Hellegen“. La parution de „Goss“ (qui est le dixième livre paru aux éditions Binsfeld et en même temps la 104e publication de Guy Rewenig) marque son retour sur la scène littéraire et en particulier dans le genre picaresque en fictionnalisant les aléas de l’existence d’un personnage nommé Sascha Rink, un jeune homme de vingt-quatre ans, cocasse, attachiant, fourbe, borderline, dont on ne saisit qu’au fil des pages et des expériences de vie toute la personnalité complexe.

Le copieux roman de Guy Rewenig s’articule en soixante-trois chapitres plutôt courts, organisés chronologiquement, qui s’enchaînent de façon fluide et dans un style enlevé. La quatrième de couverture soulève un certain nombre de questions concernant le profil psychologie du protagoniste: est-il une bombe d’intelligence ou un vantard mythomane? Un esprit agile ou un opportuniste raffiné? Un cynique ou un hédoniste? Autant de pistes confondantes qui ne sauraient décevoir le lecteur … Le premier chapitre intitulé „Curriculum“ est, à plusieurs égards, programmatique. Il donne, avec verve et truculence, le ton pince-sans-rire de l’ensemble du roman. L’action débute „in medias res“ par un dialogue de sourds entre Sascha Rink (qui se voit refuser un prêt bancaire relatif à son idée commerciale) et sa mère (qui travaille dans un salon de coiffure et qui ne comprend décidément plus rien à la jeunesse!) s’agissant d’un CV demandé par un banquier, Monsieur Rutenschneider, mais que le principal intéressé rechigne à fournir. L’exposition se poursuit: quelque peu philosophe, Sascha veut devenir comédien (parmi les nombreuses autres choses qu’il a tentées). Habitant à „Kresch“, il est surtout un oxymore sur deux jambes: il est un menteur sincère! Sa philosophie: celui qui ne ment pas ne peut s’en prendre qu’à lui-même! Sa petite amie Barbara est d’ailleurs costumière au théâtre.

Une expérience anamnestique

„Normaliser“: voilà bien un terme que Sascha ne supporte pas, contrairement à l’œuvre intitulée „Fratres“ du compositeur Arvo Pärt (qui est aussi le morceau favori du docteur Dantz). En plus de préoccupations pécuniaires (comme le souligne le titre de l’ouvrage), Sascha Rink pense à la mort depuis le premier jour de sa vie. La nécrophilie est aussi l’affaire d’un des clients du „Salon Anika“, Monsieur Thoss. Sascha a l’imagination fertile, à commencer par le moment où il fait semblant de faire ses devoirs dans le salon de coiffure de sa mère. Ses parents étant séparés (et ne s’adressant plus la parole depuis lors), il a pour ainsi dire deux maisons, ce qui ne rend pas toujours la situation aisée, au quotidien comme à l’école. Le père de Sascha travaille auprès d’une compagnie d’assurance. Notre héros se sent comme prisonnier de sa mère. D’autres personnages peuplent par ailleurs le récit: Monsieur Gilbertz, Jasmin Roth et son intelligence supérieure, le gigolo Monsieur Taramelli, Nicolay, tante Sarah, oncle Eric, la jeune fille au pair Destiny, etc. – autant de figures qui permettent à l’auteur d’aiguiser son art consommé du portrait (qu’il agrémente d’heureuses formules gnomiques) ainsi que son analyse des mécanismes sociaux/sociétaux et des ressorts de la psyché humaine. Guy Rewenig transforme ainsi les petits moments du quotidien en expérience poétique et anamnestique.

Couverture du livre de Guy Rewenig, „Goss“, Editions Guy Binsfeld, 2024
Couverture du livre de Guy Rewenig, „Goss“, Editions Guy Binsfeld, 2024 Source: Editions Guy Binsfeld

En outre, Sascha entretient, depuis sa préadolescence, un rapport pécuniaire avec ses parents vivant chacun de son côté (la mère ayant un nouveau compagnon, „Lemmy“) – ce qui en dit long sur le mode de communication intergénérationnelle. Il a d’ailleurs l’impression d’avoir la famille la plus misérable de tout le Luxembourg! La question de l’argent de poche, par exemple, donne l’occasion à Sascha de faire l’expérience de ses premiers arrangements avec la vérité … Va-t-il, de façon marginale, devenir un critique-flegmatique-simulateur? En tout cas ni coiffeur ni agent d’assurance! L’auteur trempe sa plume dans le cocasse et parfois le burlesque pour croquer avec brio des tranches de vie et des relations interpersonnelles (entre autres familiales). Sascha Rink est ainsi un personnage anticonformiste et multistratique, volontiers anomique et provocateur, un garçon ouvert d’esprit et sujet aux montagnes russes émotionnelles. Et ce durant tout son parcours (scolaire) le conduisant notamment dans une école professionnelle fréquentée par beaucoup de jeunes filles – dont Mounia avec qui il se rend à un spectacle de capoeira, et qui sont autant de sources d’inspiration pour lui!

Un roman de formation

Dans ce roman initiatique, Guy Rewenig n’hésite pas à jouer, à plusieurs reprises, la carte de la couleur locale, et ce pour l’agrément du lecteur sensible aux variations de tons et de langage que l’on observe par exemple chez la jeune fille au pair américaine (venant du Massachusetts, et qui finira par y retourner), Destiny, qui s’exprime dans un français parfois poussif, mais souvent savoureusement retranscrit. Il en va de même de la langue luxembourgeoise que l’auteur manie comme un orfèvre créatif, ce qui donne une épaisseur supplémentaire au tissu textuel, qui s’enrichit de la langue souple et inventive qu’il emploie. Le déroulement des nombreux chapitres constituant la trame narrative en est ainsi facilité: l’on s’intéresse ainsi avec une curiosité renouvelée à l’évolution chronologique des aventures diverses et multiples, aux réflexions que Sascha Rink formule au sujet de son existence, comme une sorte de voix off nous éclairant sur son sens, son fonctionnement, les écueils à éviter, les conseils à suivre, les opportunités personnelles et professionnelles à saisir, ses déplacements entre autres au Bodensee, etc. Le protagoniste-narrateur, qui est un adepte du hasard, des coïncidences (heureuses) – thématique que l’on retrouve par exemple souvent chez feu l’écrivain américain Paul Auster, n’hésite à fonder, en s’appuyant sur des bases philosophiques, le SICK („Simulanten Center Kresch“) et le LACK („Liar’s Academy Kresch“). Cela l’empêchera-t-il d’obtenir un prêt (pour lequel ledit CV était nécessaire) et ainsi de réaliser son rêve? De réintégrer une réalité plus terre à terre? De structure circulaire, le roman de Guy Rewenig invite par conséquent le lecteur à pénétrer dans l’univers mental (souvent déconcertant, et cependant toujours rafraîchissant) d’un personnage composite et peut-être représentatif d’une partie de la jeunesse actuelle.