Mittwoch19. November 2025

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30 ans de Centre national de littérature du LuxembourgGermaine Goetzinger et Nathalie Jacoby font le bilan de trois décennies

30 ans de Centre national de littérature du Luxembourg / Germaine Goetzinger et Nathalie Jacoby font le bilan de trois décennies
Lors des festivités du 30e anniversaire du CNL (d.g.): Claude D. Conter, ancien directeur, Nathalie Jacoby, directrice depuis 2020, Germaine Goetzinger, première directrice, et Eric Thill (DP), ministre de la Culture, coupent le gâteau Photo: Boris Loder/CNL

Créé en 1995, le Centre national de littérature (CNL), installé à Mersch dans la Maison Servais, fête cette année son trentième anniversaire. L’occasion de revenir sur son histoire, ses missions et ses défis actuels, à travers le regard croisé de deux de ses directrices: Germaine Goetzinger, qui a dirigé le centre de 1995 à 2012, et Nathalie Jacoby, sa directrice actuelle.

En trois décennies, cette institution culturelle est devenue un acteur essentiel de la vie littéraire luxembourgeoise, à la fois lieu de mémoire, centre de recherche et espace de rayonnement pour les lettres du pays. L’histoire du CNL témoigne du patient travail de structuration du champ littéraire national, mais aussi de la vitalité d’une création toujours en dialogue avec l’Europe.

Des origines ancrées dans un projet collectif

L’idée d’un centre consacré à la littérature naît dans les années 1980. À cette époque, le ministre de la Culture Robert Krieps souhaite doter le pays d’un instrument durable de valorisation et de conservation du patrimoine littéraire. „Le ministre avait convoqué en 1985 un groupe de travail chargé de lui faire des propositions pour la promotion de la littérature“, se souvient Germaine Gœtzinger. „Le 6 février 1986, nous avons remis un mémorandum proposant notamment la création d’archives littéraires, inspirées du modèle de Marbach, en Allemagne.“ De ce projet collectif naît, quelques années plus tard, le CNL. „Mars Klein, alors responsable de la littérature au ministère, a élaboré un concept, et le projet a suivi son cours. En 1995, j’ai eu la chance de pouvoir prendre la direction du nouvel institut culturel.“ Dès sa création, le CNL s’inscrit dans une dynamique de modernisation culturelle, à un moment où le Luxembourg se dote d’infrastructures nouvelles et repense son identité artistique.

Première directrice du CNL: Germaine Goetzinger
Première directrice du CNL: Germaine Goetzinger Photo: Christof Weber/CNL

Le contexte littéraire est alors marqué par un souffle de renouveau. „La littérature voulait devenir plus critique et moins provinciale“, explique Germaine Gœtzinger. „Avec Hannert dem Atlantik de Guy Rewenig et la trilogie de Roger Manderscheid (Schacko Klack, De Papagei um Käschtebam, Feier a Flam), a commencé l’époque du nouveau roman luxembourgeois.“ Ce vent de liberté favorise la naissance d’un lieu où la littérature nationale puisse être conservée, étudiée et valorisée dans toutes ses langues. Les débuts du CNL furent cependant marqués par de nombreux défis: „Il fallait faire connaître cette nouvelle offre culturelle, montrer que la maison était ouverte à tous et gagner la confiance du public“, se souvient-elle. „Nous avons organisé lectures, conférences et expositions, et nous sommes allés sur le terrain, par exemple aux ‚Walfer Bicherdeeg’ ou à des congrès internationaux. Il fallait montrer que les archives littéraires n’étaient pas un lieu poussiéreux, mais un espace vivant.“

L’indépendance institutionnelle fut aussi une étape décisive: „Au départ, le CNL était rattaché aux Archives nationales, avant d’obtenir sa propre base légale et son budget autonome. Nous avons commencé à quatre personnes, et avec si peu, on ne va pas loin“, raconte-t-elle avec humour. Dès ses premières années, cette institution s’attache à inscrire la littérature luxembourgeoise dans un réseau international. „Lorsque le CNL a ouvert ses portes, la littérature luxembourgeoise était peu présente sur la carte européenne. Nous voulions changer cela, (…) nous avons organisé des expositions communes, comme Norbert Jacques à Sarrebruck et Luxembourg, intégré des auteurs dans des projets transfrontaliers, et fait connaître le Luxembourg comme terre d’exil pour les écrivains persécutés des années 1930 avec l’exposition Exilland Luxemburg.“ Ces initiatives posent les bases d’un travail de longue haleine visant à inscrire les lettres luxembourgeoises dans une histoire et une géographie littéraires élargies.

Lorsque le CNL a ouvert ses portes, la littérature luxembourgeoise était peu présente sur la carte européenne. Nous voulions changer cela.

Germaine Goetzinger, première directrice du CNL

Trente ans plus tard, la mission du CNL reste fidèle à cet esprit d’ouverture. „Les missions essentielles sont restées les mêmes: la collecte, le catalogage et l’archivage de documents appartenant au patrimoine littéraire luxembourgeois; la recherche sur cette littérature, accompagnée d’un vaste programme de publications; et la promotion de sa visibilité à travers expositions, conférences et événements“, souligne Nathalie Jacoby, directrice depuis 2020. „De nombreux domaines sont venus s’ajouter, comme la bande dessinée, le théâtre ou la danse, mais nos missions fondamentales demeurent inchangées. Beaucoup des projets introduits par Germaine Goetzinger et Claude D. Conter constituent encore aujourd’hui une part essentielle de notre travail.“

Nouveaux défi : le numérique et la transmission

Aujourd’hui, le CNL doit faire face à de nouveaux enjeux. „L’une des grandes priorités pour tout centre d’archives est la numérisation“, explique l’actuelle directrice. „Il s’agit à la fois de convertir les documents analogiques et de collecter les documents nativement numériques, créés directement sous forme digitale. Depuis 2016, le CNL dispose d’une Digital Curator chargée de ces questions. Mais beaucoup d’aspects restent à définir, et des ressources supplémentaires sont nécessaires pour garantir la préservation du patrimoine littéraire numérique.“

Directrice du CNL depuis 2020: Nathalie Jacoby, ici en 2024
Directrice du CNL depuis 2020: Nathalie Jacoby, ici en 2024 Foto: Editpress/Alain Rischard

Autre priorité: la transmission. „J’aimerais que la littérature luxembourgeoise – dans ses différentes langues – trouve une place solide et reconnue dans le système scolaire du pays“, souligne Nathalie Jacoby. „Le caractère multilingue de la littérature luxembourgeoise représente une formidable opportunité pour toucher des publics variés, au Luxembourg comme à l’étranger. La recherche sur ce multilinguisme revêt dès lors une dimension internationale et contribue à redéfinir la place du Luxembourg dans le paysage culturel européen.“ Sur le plan international, le CNL poursuit et élargit ses partenariats: „De nombreux efforts sont entrepris pour faire connaître la littérature nationale à l’étranger – que ce soit par les éditeurs, les auteurs eux-mêmes, nos ambassades ou Kultur | lx, très active dans ce domaine“, précise-t-elle. Elle cite notamment la soirée „Poésie du Luxembourg“ à la Haus der Poesie de Berlin, ou encore la Résidence croisée avec l’Ambassade de France, l’Institut français et l’Université de Lorraine. „Il nous importe que ces projets ne soient pas de simples événements ponctuels, mais qu’ils fassent naître des liens durables, contribuant à la notoriété et au développement du secteur littéraire luxembourgeois.“

Trente ans après son ouverture, cette institution a profondément contribué à la reconnaissance de la littérature nationale. „Le CNL a accompli énormément pour la littérature luxembourgeoise. Aujourd’hui, il est un acteur incontournable de la vie culturelle du pays. Ici, la littérature est prise au sérieux d’une nouvelle manière“, affirme Germaine Goetzinger. Un objectif demeure toutefois à atteindre: „L’écriture d’une histoire de la littérature luxembourgeoise. Nous avons concentré notre énergie sur la création d’un lexique des auteurs, devenu une œuvre de référence, sur laquelle il est désormais possible de bâtir.“

Sous la direction de Nathalie Jacoby, cette mission se poursuit avec la même conviction: sauvegarder la mémoire littéraire du pays, encourager la création contemporaine et ouvrir la littérature luxembourgeoise à un monde plus vaste. En trois décennies, le CNL s’est imposé comme bien plus qu’un lieu d’archives: un espace vivant, tourné vers la recherche, la transmission et la découverte. Une maison de la littérature où se conjuguent la fidélité au passé et l’élan vers l’avenir.