ArtyFilip Markiewicz, artiste caméléon: Le monde est pop

Arty / Filip Markiewicz, artiste caméléon: Le monde est pop
Filip Markiewicz: „Lancer un morceau en live, c’est éphémère, alors qu’une peinture à l’huile, qui se travaille pendant des semaines, sera exposée plus longuement et obtiendra des retours très lents“ Photo: Dominique Weber

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Musicien au sein de Raftside, peintre, réalisateur, vidéaste ou performer, Filip Markiewicz est un artiste pluridisciplinaire, comme on dirait de quelqu’un qui parle plusieurs langues qu’il est polyglotte. Filip est avant tout un enfant de la pop culture, thème qu’il explore, en long, en large et en travers, sous toutes ses formes (artistiques) et coutures (conceptuelles). L’artiste ne vit plus à Luxembourg mais, si l’on veut faire un jeu de mots dadaïste, il habite dans la ville qui en retient les deux dernières syllabes, Hambourg. Ce jeudi, Filip Markiewicz revient sur ses terres puisqu’il performe au centre culturel Opderschmelz à Dudelange. Rencontre.

Tageblatt: „Live in the Factory“ a 20 ans déjà et ce disque, enregistré en public, est à l’image de vos débuts: une base pop, des compositions folk, une guitare, des mélodies à siffloter; en somme, des morceaux dépouillés.

Filip Markiewicz: Velvet Underground ou Sonic Youth faisaient partie de mes sources d’inspiration. Quand on écoute ce genre de musique, avec un esprit punk new-yorkais, beaucoup de possibilités s’ouvrent, car il s’agit souvent de bricolage musical; c’est en tout cas ce qui m’a donné envie de passer le cap de la pratique. Il y avait l’idée d’écrire sur la vie, le quotidien, la nightlife, c’est ce que j’ai fait, à l’époque où je vivais encore au Luxembourg, de façon un peu dadaïste, surréaliste. C’était compliqué de passer du studio, où j’expérimentais loops et samples, au live. Alors je me suis créé une sorte de personnage théâtral avec un esprit décalé et un son minimaliste, accompagné d’une loop station, un peu inspiré par Dominique A. Là où lui est très littéraire, chez moi c’était plus punk, mais davantage dans l’esprit qu’au niveau de l’esthétique.  

Vous avez ensuite amené votre pop ailleurs, vers des territoires plus biscornus.

Ça a évolué grâce à l’avancée technique. Je me suis permis d’aller vers l’électronique en expérimentant avec des synthés modulaires. Puis c’est devenu un groupe; nous étions cinq sur scène, nous avons enchaîné les tournées. J’ai arrêté pour me consacrer aux arts visuels, mon centre d’intérêt principal, à la base. Et puis c’est revenu. Il y a dix ans, je me suis remis à penser le live et à y inclure mon travail d’arts visuels. „Opinion Leader“, un album que j’ai enregistré avec le batteur Antoine Lejeune, possède une atmosphère très eighties, mais avec un son plus roots, plus analogique, soit un mix entre Joy Division et les Doors. Le dark étreint le solaire, pour déboucher parfois sur du downtempo. J’aime beaucoup de styles. Mais ce qui prédomine, c’est l’esprit do it yourself.  

Jouer en première partie de groupes, qu’ils soient cultes comme Wedding Present, ou représentants de la scène indie actuelle comme Deerhunter, c’est s’inscrire dans une filiation ou un courant. Mais votre travail, via les arts visuels ou la musique, va plus loin en embrassant la pop culture au sens large.

J’ai toujours trouvé intéressant le principe de concilier arts visuels, pop culture et contre-culture, comme spectacle, mais aussi en tant que message à propos de ce qu’est notre époque, via la consommation boulimique de films ou de séries. Je suis un enfant de MTV et j’aime avoir un regard critique là-dessus, quitte à aller vers la protest song. Je maintiens cette contradiction: critiquer en assumant le principe de faire partie de ce monde. 

Dans „Another Game“, vous chantez „MTV is my unique target“.

Il y a un double sens à cette phrase: ça peut être une cible, un but, à atteindre, ou bien une cible sur laquelle tirer, pour la tuer. On peut l’appliquer aujourd’hui à l’Eurovision ou à d’autres genres de spectacles très commerciaux, qui peuvent être alléchants mais qui, en même temps, détruisent une certaine naïveté créatrice.  

On retrouve l’idée de critiquer un système tout en en jouissant dans tout un pan de la littérature de ces dernières années, de Bret Easton Ellis à Virginie Despentes en passant par Frédéric Beigbeder – ce dernier parle à ce sujet de „moralistes libertaires“.

Bret Easton Ellis, je l’apprécie beaucoup, car il fait justement avancer la pop culture de façon non-naïve. Il déconstruit. C’est ce qui m’intéresse en musique et dans l’art en général: ne pas trop faire partie du système ou alors l’utiliser pour en faire un spectacle. 

C’est du détournement.

Voilà, hop, un hold-up.

Avec un morceau tel que „Fake Protest Song“ ou un disque comme „Ultrasocial Pop“, vous considérez-vous comme un artiste politique?

Oui et non. Je ne me verrais pas comme un artiste activiste, politiquement engagé dans une cause. Je suis peut-être plus proche du dadaïsme, un mouvement politique, mais plus ludique. „Ultrasocial Pop“, c’est avant tout un slogan, car l’album n’est pas très pop, ni social. A l’origine, il y avait l’idée de faire une expo portable en forme de concert, mais, avec la pandémie, je l’ai transformée en album. Je préfère jouer avec le monde et le spectacle politique, „la société du spectacle“ de Guy Debord, qui passe par les réseaux sociaux. On voit que la politique se trouve au même niveau que les influenceurs et les popstars. Ça m’intéresse plus que de dire que je suis de gauche ou de droite – enfin, de droite, certainement pas.

En tant que peintre d’icônes pop, actuelles (Billie Eilish), éternelles (Romy Schneider, David Bowie) ou fictives (Laura Palmer de „Twin Peaks“), quelle est votre vision de la popstar de ce début de siècle?

La popstar est devenue une entreprise. Il y a moins de romantisme qu’à l’époque de Bowie. Taylor Swift pourrait changer les élections aux Etats-Unis, si elle disait pour quel candidat voter. Aux Etats-Unis, c’est ce qui se trace, la musique est politique, et inversement: des artistes comme Beyoncé sont des popstars et en même temps des activistes, du moins elles sont proches de mouvements politiques, en l’occurrence Black Lives Matter dans son cas.

Vous qualifiez votre musique d’„electrovisual pop rock“. Vous composez pour le cinéma, il y a des références au septième art partout, de la chanson „Taxi Driver“ aux dessins de „Toy Story“, jusqu’à „Bluepop“ qui contient des extraits de votre film „Voyage au bout d’une identité“. Vous vous inspirez de l’image pour créer de la musique, et réciproquement?

Totalement. Quand j’écrivais les textes pour le film, je pensais déjà à la soundtrack. J’aime bien recycler les formes d’art. Parfois, en peignant, j’ai une idée de titre qui pourrait devenir un morceau. Et en écrivant certains textes, j’ai des concepts visuels qui m’apparaissent pour créer une exposition ou une pièce de théâtre. En ce moment, je bosse sur une mise en scène d’„Electre“, parallèlement j’enregistre un album et je prépare une expo. J’alterne les phases et forcément un art inspire l’autre et me permet de ne pas tourner autour du pot. Il y a le risque de faire des erreurs. Mais l’erreur est artistique.

Vous conjuguez plusieurs formes artistiques, qu’il s’agisse de la musique, des performances, des dessins ou des vidéos. Selon Filip Markiewicz, l’art est-il par définition total?

Je ne fais pas vraiment de différence entre musique et arts visuels. La différence est technique mais, au niveau de l’expression, je reste le même. J’aime bien changer de médium pour voir ce qu’il peut dire à travers telle ou telle forme. Selon le public aussi, qui n’est pas le même dans les différents champs. Lancer un morceau en live, c’est éphémère, alors qu’une peinture à l’huile, qui se travaille pendant des semaines, sera exposée plus longuement et obtiendra des retours très lents. Aujourd’hui il n’y a plus de barrières. Certes il y a des institutions qui forcent à faire du théâtre là où c’est conçu pour, mais le monde a changé; il y a, par exemple, de plus en plus de concerts dans des musées. Tout s’interchange, c’est beaucoup plus liquide; l’art n’est plus catégorisé dans une forme définie. Et j’aime bien creuser davantage ce sillon. Est-ce que c’est un concert ou une expo? L’importance, c’est le message.

Tout s’interchange, c’est beaucoup plus liquide; l’art n’est plus catégorisé dans une forme définie. Et j’aime bien creuser davantage ce sillon. Est-ce que c’est un concert ou une expo? L’importance, c’est le message.

Filip Markiewicz, artiste caméléon

Qu’en est-il alors de votre profil en tant que créateur caméléon?

Je me définirais comme un artiste ou un musicien conceptuel bien plus que comme un songwriter ou un peintre. Je me sens plus proche d’un concept qu’est Kraftwerk que d’Ed Sheeran. Moins dans le big market. Plus dans l’intime. Plus do it yourself. Mais toujours avec cette idée de voir ce que peut atteindre l’art si on mélange les disciplines. 

Dans quel ordre procédez-vous pour travailler?

La plupart du temps, je commence par écrire. Au crayon sur papier car, en écrivant au crayon, je suis très proche du dessin – et parfois je bascule. Papier, crayon, guitare, piano, c’est mon cosmos. Et ça me permet de changer vite de médium et de passer au dessin ou à la musique. Après, je passe du temps sur Ableton à construire des petits blocs, des mondes indéfinissables. Cette démocratisation de la technique permet de tout faire. 

En étant à la fois très productif et sur tous les terrains, ne créeriez-vous pas davantage que vous ne vivez?

C’est une question que je me pose. Mais c’est ma vie. Je ne peux pas vivre si je ne le fais pas. J’ai besoin de l’art pour exister.

Raftside est en concert ce jeudi 11 avril à 20 h au centre culturel Opderschmelz à Dudelange