Le 10 septembre 1944, alors que le Luxembourg était libéré par les Américains, l’„Unio’n vun den Letzeburger Freihétsorganisatio’nen“ était sortie au grand jour. Forte de 12 à 15.000 hommes, disposant de sa propre force paramilitaire, cette organisation issue de l’union des principaux mouvements de résistance était d’emblée devenue une interlocutrice incontournable des libérateurs. Se percevant comme le représentant naturel de la nation résistante, l’Unio’n n’avait pas caché son intention de prendre en main l’administration du pays et, qui sait, d’en déterminer la politique?
Elle estimait en tout cas qu’elle seule avait la légitimité de reconstruire le Luxembourg sur des bases nouvelles. Mais avant toute chose, il fallait l’„épurer“ de ceux qu’elle considérait comme des traîtres. Jusqu’à la fin du mois d’octobre 1944, la Miliz avait arrêté près de 3.000 hommes et entre 400 et 500 femmes. Il s’agissait de personnes accusées à tort ou à raison d’avoir soutenu le régime nazi, en occupant un poste à responsabilités dans l’une de ses organisations, en s’enrôlant dans ses forces armées ou en dénonçant des voisins. Parfois le fait d’avoir un conjoint allemand suffisait. Mais l’Unio’n ne comptait pas s’arrêter là. Elle voulait aussi punir les fonctionnaires et les cadres de l’économie qui avaient selon elle travaillé avec les Allemands par faiblesse ou opportunisme.
Les divisions de la libération
Autant dire, que le retour d’exil du gouvernement, un peu plus de deux semaines après la libération, n’avait pas eu lieu dans la sérénité. Alors que sa décision de fuir le pays le 10 mai 1940 lui était encore reprochée par de nombreux Luxembourgeois, il devait s’engager dans un bras de fer avec une organisation qui avait pour elle l’aura de la résistance à l’occupant. Le Premier ministre Pierre Dupong avait donc agi avec doigtée. Tout en prônant l’union nationale, il avait d’abord enrôlé une bonne partie des hommes de la Miliz dans la gendarmerie.
Il avait aussi fait mine de céder aux appels de l’Unio’n à faire le ménage dans les entreprises et les administrations en promulguant un arrêté autorisant le gouvernement à procéder à une enquête administrative. A ce moment-là, il avait toutefois commencé à se mettre à dos une bonne partie des fonctionnaires. Certes la plupart d’entre eux étaient restés en poste pendant la guerre, mais cela permettait au gouvernement de disposer d’un appareil administratif quasi intact. Il devait donc marcher sur des œufs.
Ces tensions furent un temps balayées par le retour brutal et inattendu de la guerre sur le territoire luxembourgeois aux mois de décembre 1944 et de janvier 1945. Mais une fois la bataille des Ardennes terminée, la trêve intérieure prit fin elle aussi et la discorde s’exprima de nouveau, de manière plus vive même, l’opinion étant chauffée à blanc par la peur, le deuil et les destructions des semaines écoulées.
„Nous exigeons un nouveau gouvernement!“
Le samedi 17 février 1945, l’Unio’n fit placarder à travers le pays le manifeste suivant:
„Fennef me’nt lâng hu mer d’regirong um wirk gesin. Wat huet se geléscht? An der epuratio’n huet se versot. Vill ze vill judâssen a collaborateuren mâchen sech nach brét. An der finanzfro huet se hir incapacite’t bewisen. Aplaz de krichsgewon me’glechst se’er anzeze’en an d’lâschte gleichme’sseg ze verdélen, go’f de klenge man ruine’ert, an dem handwirk, dem commerce a muncher industri d’financiell basis entzunn. Op wirtschaftlechem gebidd huet d’regirong glat neischt ferdeg bruecht. Et félt hir u competenz an un initiativ. An der reconstructio’nfro go’f neischt geplangt an neischt organise’ert. Elo wo’ no’t um man ass, get drop lassgewurschtelt an als folleg dervun d’reconstructio’n an d’längt gezun, wann net ganz compromette’ert. Wo’ bleift ons Chamber? D’vollek get net gehe’ert, d’land bewosst am onklore gelôss. De misär, d’onzefriddenhét an d’onro’ huelen zo’. D’regirong wosst neischt matt der begéschterong a mam gudde wëllen vum 10. september unzefänken. D’vollek ass wider de kapp gesto’ss, d’resistenz systematesch op d’seit gesat gin. Dat spil huet lâng genug gedauert. Mir verlângen eng nei regirong. Eng regirong de’ no de prinzipien vun der krimconferenz op bréder basis opgebaut ass an d’resistenz matt allen demokrateschen elementer emfâsst. Mir verlange solidarite’t a gerechtegkét op der ganzer linn. Mer wëlle we’ e freit vollek rege’ert sin!“
Un gouvernement remanié
Directement pris à partie, le gouvernement se devait de réagir. Démissionner, il ne s’y résolut pas. Il y avait d’autres manières de changer de gouvernement, sans vraiment en changer. Le 23 février 1945, un remaniement fut annoncé. Dans l’ensemble, le cabinet demeurait inchangé. Pierre Dupong était toujours à sa tête, Joseph Bech conservait les Affaires étrangères, Victor Bodson la Justice et Pierre Krier le Travail et la Prévoyance sociale. Pierre Frieden, le ministre de l’Éducation, était quant à lui entré au gouvernement en novembre 1944.
Il y avait cependant deux petits nouveaux: Guillaume Konsbruck, qui était nommé ministre de l’Agriculture, du Commerce, de l’Industrie, des Métiers et du Ravitaillement, et Robert Als, qui devenait ministre de l’Intérieur et de l’Épuration. Il s’agissait là de postes stratégiques, créés pour répondre aux craintes de la population tout comme aux critiques de l’Unio’n et confiés à des hommes nouveaux. En tout cas inconnus du grand public.
Konsbruck avait été l’aide de camp de la Grande-Duchesse Charlotte tout au long de la période d’exil. Als avait quant à lui connu l’occupation et ses affres. Avocat général jusqu’en 1941, il avait ensuite été soumis aux travaux forcés sur le chantier de la Reichsautobahn dans l’Eifel, comme beaucoup de fonctionnaires luxembourgeois que les Allemands considéraient comme récalcitrants, puis muté dans l’administration communale de Bitbourg.
Création de l’Assemblée consultative
Le choix d’Als était habile. Il permettait au gouvernement de démontrer qu’il se souciait de l’occupation en lui consacrant un ministère et de faire fi d’admettre que seul une personne qui avait fait l’expérience de l’occupation pouvait s’occuper d’une telle tâche. En réalité, il ne faisait que maintenir le statu quo. Procureur d’État depuis octobre 1944, Als était en réalité chargé de l’épuration depuis plusieurs mois déjà.
S’étant conféré un surcroît de légitimité exécutive, le gouvernement devait aussi s’occuper de sa légitimité parlementaire. L’Unio’n avait beau jeu de rappeler qu’il agissait dans un cadre fort peu démocratique. Le gouvernement continuait en effet à légiférer sur la base des pleins pouvoirs que lui avaient conférés les lois d’exception de 1938 et 1939, c’est-à-dire par arrêtés grand-ducaux. Il pouvait donc se passer entièrement de l’avis de la Chambre des Députés. Le 6 décembre 1944, il avait bien essayé réunir les députés, mais avait constaté que sur les 55 qui avaient siégé au moment de l’invasion, neuf étaient morts, dix étaient toujours entre les mains des Allemands et neuf autres étaient soupçonnés de collaboration.
Le temps des tergiversations était toutefois passé en février 1945. Il n’y avait plus de Chambre viable? Qu’à cela ne tienne. Le 22 février, le gouvernement créa par arrêté grand-ducal une Assemblée consultative, qui serait composée de représentants des partis politiques d’avant-guerre. Ce n’était toujours pas un rétablissement de la démocratie parlementaire, mais désormais l’Unio’n ne pouvait plus affirmer que le gouvernement légiférait dans le vide.
La situation au Luxembourg etait en gros assez similaire a celle en France ou en Belgique.
Une toute petite minorite de resistants renforces sans doute en derniere minute par des epureurs opportunistes .
Les gouvernements revenant de l etranger comme Dupong Besch ou meme de Gaulle leur ont fait comprendre qu il fallait rentrer dans le rang et revenir au business politique classique.