Dienstag4. November 2025

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La spoliation des biens juifs (13)Espion et trafiquant: le parcours complexe de Dante Vannucchi

La spoliation des biens juifs (13) / Espion et trafiquant: le parcours complexe de Dante Vannucchi
Photo du 53 avenue Hoche GoogleMaps

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Dans l’article du 21 janvier portant sur l’activité de marchand de l’architecte Jemp Michels pendant la Seconde Guerre mondiale, nous avions évoqué l’intérêt qu’il y avait à mettre en lumière certains acteurs oubliés de la spoliation et du pillage. L’un de ces acteurs fut Dante Vannucchi, évoqué par Paul Cerf dans son livre consacré à l’épuration au Grand-Duché1). Cerf indique notamment que la condamnation de Vannucchi à sept années de prison s’accompagna d’une amende de 5 millions de Francs, „la plus forte amende prononcée par un tribunal luxembourgeois pour collaboration économique“2). Qui fut donc ce personnage mystérieux, naviguant dans les eaux troubles de la collaboration?

Entre contre-espionnage et marché noir

Vannucchi naît à Esch-sur-Alzette le 29 mars 1903; son père tient un commerce de vins dans la capitale, rue de Rollingergrund. Après des études de commerce, sa maîtrise des langues – il parle l’italien, le français, l’allemand, l’anglais, l’espagnol et le néerlandais – lui permet d’obtenir un poste de secrétaire à la S.A. Columeta, centrale de vente de l’Arbed. Il n’y reste que brièvement, enchaînant les postes au sein de diverses sociétés avant d’acquérir en 1940 la Compagnie Commerciale Italo-Continentale (CCIC), basée à Paris. Parallèlement, il est recruté en septembre 1939 par le directeur de l’Abwehr à Trèves, Oscar Reile, avec lequel il conduit une collaboration fructueuse, en particulier à partir de juin 1940. Reile devient alors chef de la Section III – chargée du contre-espionnage – à Paris, et Vannucchi et ses proches, notamment André Gabison en France et André Folmer en Belgique, s’illustrent alors dans les deux secteurs d’activité dont l’Abwehr devient l’un des acteurs centraux: la lutte contre les réseaux de Résistance et le marché noir. Car si la fourniture de matières premières aux forces allemandes est l’une des missions de l’Abwehr, ses agents outrepassent largement cette mission et sont impliqués dans toutes sortes de trafics3). Nous y reviendrons dans un prochain article, qui évoquera de nombreux Luxembourgeois gravitant dans ces cercles.

La CCIC, désormais installée au 53 avenue Hoche, participe activement à cette activité, au profit de l’Abwehr, de l’organisation Todt et de la Kriegsmarine. La Kriegsmarine, dont la fonction d’origine est de répondre aux besoins de la marine allemande, est en réalité, elle aussi, une sorte de marché noir tentaculaire fournissant aussi bien les matières premières liées à la production militaire que des biens de luxe „n’ayant que peu de rapport avec les besoins des équipages4).“ Cette activité extrêmement lucrative profite aux agents de la CCIC, au premier rang desquels Vannucchi5). Cerf indique ainsi qu’alors que Vannucchi ne possédait pas grand-chose avant 1940, fin 1940 il déclare un revenu de 310.000 RM, de 1,2 million de RM fin 1941, et de janvier à octobre 1942 de 400.000 RM6). Cela lui permet de réaliser d’importantes acquisitions au Luxembourg – où il continue à résider et à payer ses impôts – notamment de biens immobiliers et d’entreprises.

Lier le local et l’international

Car bien qu’une grande partie des activités de Vannucchi s’opère au-delà des frontières du Luxembourg, elles restent étroitement liées à son pays de naissance. En 1942 il fait d’ailleurs appel à une entreprise locale, J.A. Welter, pour transporter des „meubles et objets de valeur“ d’une valeur de plus de 27.000 RM7). J.A. Welter, qui était déjà une entreprise importante au Grand-Duché avant la guerre, poursuit alors son activité et cherche d’ailleurs en avril 1942 à recruter des jeunes gens issus de familles „hautement respectables“ pour participer à des transports internationaux (voir image).

Or, deux mois plus tôt Vannucchi expliquait à la Devisenstelle Luxemburg vouloir exporter depuis le Luxembourg de nombreux biens de consommation dont „des meubles pour environ 100.000 Frs“8). Cette dynamique est similaire à celle évoquée dans l’article consacré à Jemp Michels, avec des acteurs d’implantation locale mais aux ambitions internationales, profitant à la fois de contacts établis parfois avant-guerre et de la situation particulière du Luxembourg à partir du 10 mai 1940. Cette évolution est également liée au fait qu’en février 1942 Vannucchi, désormais trop connu pour continuer son activité de contre-espionnage dans la France occupée, est remplacé à la tête de la CCIC par son ami André Folmer. Puis, au cours de l’année, l’évolution de la situation militaire et l’invasion de la zone Sud amènent Vannucchi et ses collègues à déplacer leurs activités vers le Sud du l’Europe. Folmer et Gabison se tournent vers l’Espagne; Vannucchi se rapproche de l’Italie. Il avait développé des liens avec les autorités fascistes dans les années 1930, soutenant des organisations comme „La Nuova Italia“ et faisant don en 1940 d’un musée cinématographique à Victor Mussolini, fils aîné du Duce, mais ses activités sur le marché noir en France lui avaient valu une expulsion du Parti National Fasciste9). La mise en place de la République Sociale Italienne (RSI) en septembre 1943 lui permet de retrouver les faveurs des autorités, au profit desquelles il reprend des activités de contre-espionnage et d’agent consulaire pour les régions de Monaco et Nice jusqu’à la fin de l’année 194410). Il se trouve ensuite à Milan, puis il disparait en juin 1945 alors qu’il se rendait en France; il est déclaré mort par les autorités italiennes en 1946.

Conclusion

Au-delà des questions épineuses que soulève le parcours personnel de Vannucchi, notamment celle du devenir de ses biens, cette trajectoire permet de mettre en lumière la variété des sources qu’il est nécessaire de mobiliser pour comprendre la dépossession des personnes considérées comme juives au Luxembourg pendant la Seconde Guerre mondiale11).

Institutions, professionnels, particuliers, pillages et spoliations mettent en mouvement toute une „galaxie“ de profiteurs12). La figure de Dante Vannucchi est représentative de ces acteurs qui opèrent alors dans l’ensemble des territoires occupés, au détriment notamment des „Juifs“ qui en disparaissent progressivement. Elle permet également de comprendre pourquoi l’étude des mécanismes de dépossession et la recherche de provenance ne peuvent se limiter ni aux œuvres d’art, ni aux frontières nationales.

Annonce Welter – Annonce n° B1118, Luxemburger Wort, 20.4.1942, p. 6, eluxemburgensia.lu
Annonce Welter – Annonce n° B1118, Luxemburger Wort, 20.4.1942, p. 6, eluxemburgensia.lu  

Série du Tageblatt: La spoliation des biens juifs au Luxembourg (13)

Le 27 janvier 2021, le gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg et les Communautés juives, représentées par le Consistoire israélite du Luxembourg, ont signé un accord relatif aux questions non résolues dans le cadre des spoliations de biens juifs liées à la Shoah. Dans ce cadre sont prévues e.a. une recherche universitaire indépendante sur la spoliation de biens juifs pendant la Seconde Guerre mondiale dans le Luxembourg sous occupation nazie et une recherche de provenance sur la présence éventuelle d’œuvres d’art et autres biens culturels spoliés aux Juifs, dans les institutions suivantes: Musée national d’archéologie, d’histoire et d’art (MNAHA), les collections de la Villa Vauban-Musée d’art de la Ville et la Bibliothèque nationale du Luxembourg (BNL).

1) Paul Cerf, De l’épuration au Grand-Duché de Luxembourg après la Seconde Guerre mondiale, Luxembourg, Saint-Paul, 1980, p. 151-152.

2) Paul Cerf, op. cit., p. 151.

3) Fabrizio Calvi et Marc J. Masurovsky, Le festin du Reich, Le pillage de la France occupée 1940-1945, Paris, Fayard, 2006; Fernando Castillo, Noche y Niebla en el Paris ocupado, s.l. Fórcola Ediciones, 2012.

4) Jacques Delarue, Trafics et Crimes sous l’occupation, Paris, Fayard, 1968.

5) D’après la Direction du Contrôle Economique, la valeur des opérations réalisées avec la Kriegsmarine de janvier 1941 à février 1942 se monte à près de 300 millions de francs. Voir la biographie d’André Gabison sur le site https://www.memoiresdeguerre.com/pages/LItalo_Continentale-5125617.html consulté le 28.2.2025, qui rejoint les éléments présents dans les sources luxembourgeoises (que nous ne sommes pas autorisés à citer).

6) Cerf, op. cit.

7) Archives Nationales du Luxembourg, CT-03-01-02413, document 388.

8) Archives Nationales du Luxembourg, CT-03-01-02413, document 47.

9) Maria Adriana Prolo, Storia del Cinema muto Italiano, Biblioteca Cinematografica – 4, Il Poligono, 2021 (2e éd.), p. 98.

10) Claudio Maria Mancini, Liste des archives du Ministère des Affaires étrangères de la République Sociale Italienne (RSI), p. 224; archives du Ministère des Affaires étrangères de la RSI, Busta 37*Monaco, Principato. [1943/1944] – Affari politici, dossier 156.

11) Vincent Artuso, „100 Millioune Frang am Honduras: den Dante V. an déi däitsch Abwehr“, intervention sur la radio 100,7 reproduite sur la page https://www.100komma7.lu/article/wessen/100-millioune-frang-am-honduras-den-dante-v-an-dei-daitsch-abwehr. Consultée le 28.2.2025.

12) Lucien Blau, Histoire de l’Extrême-Droite au Grand-Duché de Luxembourg au XXe siècle, op. cit., p. 367.