Tageblatt: Qu’est-ce qui vous fait courir: l’amour, toujours l’amour?
Emmanuel Mouret: Je ne me pose pas de questions. Ce n’est pas l’amour qui me fait courir, mais plutôt des situations de couple, de désir, de cas de conscience. Parce que dès qu’on discute de l’amour, personne n’est d’accord, et chacun a même plusieurs idées sur le sujet. Donc c’est quelque chose qui est assez indémêlable. Peut-être qu’on ne sait pas trop ce qu’est l’amour. En revanche, ce qui m’intéresse, c’est peut-être plus des situations d’engagement, de rêves, de malentendus, d’histoires aussi qui se terminent et qui ne sont pas forcément au même endroit.
Tout part du personnage de Joan qui se retrouve dans un conflit intérieur.
Elle est vraiment sincère dans le doute et, à côté de ça, elle a une certitude quand elle dit: „je ne suis plus amoureuse.“ Joan est à la fois déterminée et perdue. Les personnages sont tous de bonne volonté: ils essayent d’être des gens bien d’une certaine manière, c’est-à-dire soucieux de respecter les règles, les engagements, comme la plupart d’entre nous, je pense. Mais ce sont aussi des gens qui veulent être honnêtes avec ce qu’ils ressentent. Joan trouve son compagnon super. Elle aimerait respecter les engagements sauf qu’elle se sent malhonnête parce qu’elle ne ressent pas l’amour que Victor ressent pour elle. Et elle est prise à partir de ce moment-là dans un conflit: elle pressent que si elle le lui dit, il va mal le prendre. Elle se retient pendant des mois et, à un moment donné, elle ne peut plus parce qu’elle ne veut plus mentir et parce qu’elle a des scrupules.
Peut-être qu’on ne sait pas trop ce qu’est l’amour. En revanche, ce qui m’intéresse, c’est peut-être plus des situations d’engagement, de rêves, de malentendus, d’histoires aussi qui se terminent et qui ne sont pas forcément au même endroit.
Contrairement à son amie Alice …
L’amour n’intéresse pas Alice. A ses yeux, c’est un cauchemar, un enfer qu’elle refuse absolument de vivre. Et pour elle, son scrupule, c’est de bien mentir à son compagnon qu’elle croit très amoureux d’elle. Et donc, nos scrupules, qui sont aussi une façon pour chacun de se sentir honnête avec soi-même, ne sont pas les mêmes. Alors, plutôt que de conceptions de l’amour, peut-être qu’on n’a pas tous les mêmes scrupules.

Dès le départ, un narrateur présente les personnages. Qu’est-ce qui vous plaît tant dans la voix off?
Je l’ai déjà souvent utilisée. J’aime beaucoup la voix off parce qu’il y a quelque chose de très plaisant de prendre le spectateur par la main, mais aussi de le perdre, de jouer avec lui, de déborder l’image, d’accélérer le récit et de lui donner aussi de la chaleur. „Le roman d’un tricheur“ de Sacha Guitry m’avait absolument émerveillé dans ma jeunesse. Orson Welles utilise aussi la voix off. Ernst Lubitsch a réalisé „Le ciel peut attendre“ (1943) avec la voix d’un mort qui parle. Au purgatoire, il raconte sa vie pour qu’on tranche s’il doit aller au paradis ou en enfer. Il y a quelque chose de commun dont je me suis rendu compte, en finissant mon film. Mais, de toute façon, on ne s’inspire que des films qu’on aime inconsciemment, je crois. Dans ce registre-là, Billy Wilder, Blake Edwards, Woody Allen … sont des modèles. Mais aussi Chabrol, Renoir, Truffaut …
Vous sentez-vous proche du cinéma d’Eric Rohmer?
Eric Rohmer est mon maître. Je sais combien mes films sont aussi différents des siens. Il y a peut-être chez lui quelque chose de plus abrupt. Il ne cherche pas à rendre sympathiques ses personnages, ils le deviennent en fonction des situations. Je ne suis ni optimiste, ni pessimiste. Après, il y a, peut-être, dans mes films, quelque chose de plutôt mélancolique, mais chaleureux.
Votre film sonde aussi l’amitié.
C’est un film choral. J’avais envie de beaucoup d’histoires qui se traversent, qui s’entrelacent, qui se croisent, et qui aient des effets aussi les unes sur les autres. Et l’amitié m’amusait parce que, évidemment, le grand risque, le grand danger, c’est que quelque chose explose à un moment donné, et qui en même temps n’explose jamais. Une spectatrice m’a dit quelque chose de très joli: „Finalement, la plus grande preuve d’amour qu’il y a dans le film, ce n’est pas l’amour d’un homme envers une femme ou d’une femme envers un homme, mais c’est le geste de deux femmes envers l’homme, encore plus fort qu’un geste amoureux.“
Vous auriez pu faire un huis clos?
J’ai horreur des huis clos. Parce que j’aime que les choses circulent, qu’elles puissent venir de l’extérieur, qu’on puisse sentir la surprise poindre. J’aime les variétés de décors. Je suis peut-être cinématographiquement claustrophobe. Raison pour laquelle j’ai besoin de circulation et d’air.
J’avais envie de beaucoup d’histoires qui se traversent, qui s’entrelacent, qui se croisent, et qui aient des effets aussi les unes sur les autres. Et l’amitié m’amusait parce que, évidemment, le grand risque, le grand danger, c’est que quelque chose explose à un moment donné, et qui en même temps n’explose jamais.
La mort s’invite brutalement dans la vie des trois amies …
C’est la première fois que quelqu’un meurt dans un de mes films. C’était un événement, pour moi, à l’écriture du scénario. J’ai raconté quelque chose autour de la mort qui me tenait à cœur: ne pas appuyer sur la gravité de l’événement. J’aimais bien cette idée que le personnage qu’interprète Vincent Macaigne, un amoureux plutôt possessif, tendu, inquiet, soit presque libéré. Maintenant, il aime sa chérie d’un amour détaché. Il est plus tolérant, ouvert et soucieux. La possibilité que la mort l’avait complètement assagi et libéré me plaisait beaucoup.
On dialogue avec les morts?
Je crois que le cinéma permet de rendre visible cette réalité qui est psychologique, pour nous. C’est-à-dire que les morts ne disparaissent pas et qu’on entretient toujours une relation avec eux et qu’ils sont toujours là. Dans la réalité sensible, on ne les voit pas, mais au cinéma, on peut décider de les voir. Et finalement, il n’y a pas beaucoup de fantaisie à voir les disparus. C’est une réalité.
Pourquoi avez-vous tourné à Lyon?
C’est une grande ville que j’avais envie de connaître. J’y ai passé un certain temps avant de me décider. J’ai tourné à Lyon un peu comme un Américain à Paris. Comme un étranger. J’ai fait beaucoup de films à Paris et l’idée de changer d’environnement donne alors une nouvelle dynamique dans la façon de filmer. Et pour les spectateurs aussi, j’espère. (sourire)
„Trois amies“
Joan (India Hair) se désole de ne plus être amoureuse de son compagnon (Vincent Macaigne). Alice (Camille Cottin) se complaît dans un mariage sans passion, ignorant que sa meilleure amie Rebecca (Sara Forestier) entretient une liaison avec son mari … Emmanuel Mouret s’(nous) offre une nouvelle occasion de parler d’amours. L’amour passion se mesure à l’amour raison. Au-delà, c’est la mort qui s’invite dans la trajectoire des femmes de „Trois amies“, choquées par la disparition de Victor, le narrateur du film. Dans une construction narrative résolument „ouverte“, Emmanuel Mouret s’installe au niveau de ses spectateurs, et suscite ainsi une identification encore plus forte aux émois amoureux de ses personnages. Les dynamiques India Hair, Camille Cottin et Sara Forestier composent trois amies parfaitement „assorties“, excellentes dans le registre mélancolique. Emmanuel Mouret les „laisse vivre“ avec efficacité. Son empathie permet une mise en scène fluide au rythme des mots et des silences entrelacés. De très beaux intermèdes musicaux s’invitent entre les saynètes. L’expression „marivaudage“ est ici parfaitement illustrée.
„Trois amies“ d’Emmanuel Mouret. Avec India Hair, Camille Cottin, Sara Forestier, Vincent Macaigne, Grégoire Ludig, Damien Bonnard, Eric Caravaca. En salles à partir d’aujourd’hui, le 6 novembre 2024.
De Maart
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