ForumElections du 9 juin: l’Europe que nous voulons (1re partie)

Forum / Elections du 9 juin: l’Europe que nous voulons (1re partie)
 Photo: AFP/Alain Jocard

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Les élections européennes pointent à l’horizon. Au vu des déclarations à l’emporte-pièce qui se multiplient un peu partout et des sondages d’opinion qui prédisent un avenir radieux aux adversaires de l’Europe, il semble indiqué de rappeler, une fois n’est pas coutume, certains fondamentaux au sujet du pourquoi, du comment, du quand, de la construction européenne.

De temps en temps, il importe de rafraîchir la mémoire et de remettre quelques pendules à l’heure. Sans vouloir nier les problèmes de toute sorte qui peuvent persister sans aucun doute et qu’il faut régler, il faut savoir distinguer, à des moments cruciaux comme maintenant, entre l’important et le moins important, entre le nécessaire et l’accessoire, entre le futile et son contraire.

1) „Après l’Europe qui protège, protégeons l’Europe“, disait il y a peu le président de la République française, dans les murs chargés d’histoire de la prestigieuse Université de la Sorbonne, à Paris. Autre affirmation présidentielle: „L’Europe est mortelle ! L’Europe peut mourir !“ Ce faisant, il n’a en fait que quasiment répéter les mots de l’écrivain Paul Valéry, qui disait dès la sortie de la Première Guerre mondiale: „Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles“ (La crise de l’esprit, 1919).

Le soussigné s’en voudrait de ne pas relever, dans le même bouquin, une autre citation de cet auteur sur le même sujet: „L’Europe deviendra-t-elle ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire: un petit cap du continent asiatique, ou bien l’Europe restera-t-elle ce qu’elle paraît, c’est-à-dire : la partie précieuse de l’univers terrestre, la perle de la sphère, le cerveau d’un vaste corps?“ Ici l’angoisse de l’intellectuel dépasse largement l’horizon d’un après-guerre et d’un seul pays, fût-ce la France. Déjà à l’époque, ce cri d’alarme de Paul Valéry trouvait un très grand écho, bien au-delà des frontières françaises.

A méditer, aujourd’hui, surtout par les adversaires de la construction européenne.

Que serait le Luxembourg sans l’Europe?

Plus que jamais, à un moment délicat de la situation géopolitique générale, l’Europe doit être défendue, à un moment où son allié américain semble se désintéresser quelque peu de la défense de l’Europe. Dans ce cas de figure comme dans d’autres, ce n’est pas de moins d’Europe dont nous avons besoin, mais de plus, n’en déplaise à certains, malheureusement plus nombreux que jadis. Mais surtout situés très à droite sur l’échiquier politique. Au Luxembourg comme ailleurs.

Cela est vrai dans le contexte de l’exigence dans le domaine de la défense européenne autonome, vu la situation géopolitique aujourd’hui et la guerre de la Russie en Ukraine, et dans celui de l’économie, à un moment où les Etats-Unis et la Chine, deux superpuissances, ont „décidé de ne plus respecter les règles du commerce“, dixit E. Macron à la Sorbonne, en avril.

A défaut d’investir, ensemble, dans l’innovation, les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle et la décarbonisation, l’Europe risque de décrocher et de s’appauvrir collectivement, donc, par ricochet, également „nationalement“. Il en va de même du secteur de la défense, où, plus que jamais, il n’y a pas d’alternative à une Europe forte et unie. A moyen terme, il y va de notre indépendance, notamment vis-à-vis des Etats-Unis.

Mais l’objet majeur de ce papier n’est pas de formuler un énième programme électoral, mais de rappeler, à qui de droit, l’importance de la construction européenne pour notre continent en général, et pour le Luxembourg en particulier.

Voilà pourquoi je me permets de revenir un peu sur ce qui importe dans cette Union européenne, une construction politique unique, qui n’existe nulle part ailleurs, et dont le Luxembourg a su largement profiter au fil des décennies passées. Notamment du fait que nous avons su ou pu profiter d’une souveraineté plus grande, que nous avons certes dû partager avec nos partenaires. Mais que serions-nous aujourd’hui sans l’Europe? Un petit territoire à qui on aurait peut-être accolé l’adjectif de „national“, mais en permanence avec l’épée de Damoclès au-dessus de la tête, pour pouvoir exporter, ou importer, avec peut-être des droits de douane excessifs, des produits ou des marchandises taxés „nationalement“. Sans aucune emprise sur les événements internationaux, loin de toutes les tables ou instances de concertation, de négociation et de décision où nous sommes présents aujourd’hui. Je n’ose même pas y penser.

Voilà pourquoi je veux partager, ici et maintenant, avec vous, chers lecteurs, une analyse qui n’est certes pas nouvelle, vu qu’elle se base surtout sur mes propres écrits d’il y a quelques années déjà, mais qui garde, vu son caractère fondamental, ses idées de base, voire de principe, toute son acuité.

La majeure partie de ce texte trouve sa source dans un cours sur les institutions européennes que j’ai eu l’honneur de donner, il y a quelques années, à l’Université d’Avignon, dans le cadre d’un cursus appelé „Administration et culture(s) européennes“, menant à un Diplôme d’université éponyme. Ce même texte, retravaillé et mis à jour, introductif au cours précité, m’avait servi également, jadis, pour une conférence publique sur l’avenir de l’Europe dans une autre localité provençale. Finalement, une bonne partie du texte en question a été reprise dans un livre que j’ai publié il y a quelques années déjà, intitulé „L’Europe que nous voulons“ (Edit. Le Phare et Générations-Europe.lu) et dont le titre a été inspiré par le livre de l’économiste américain Paul Krugmann, intitulé „L’Amérique que nous voulons“ (Edit. Flammarion). Pour les élections européennes de juin 2024, le titre de ce bouquin a été plagié, pardon „emprunté“, par mes ex-collègues socialistes qui en ont fait le slogan de leur campagne, sans demander mon autorisation, bien sûr …

Voilà pour le cadre général.

2) L’Union de l’Europe, un cheminement sinueux

Oui, je suis un Européen convaincu et enthousiaste, sans pour autant être un inconditionnel de la construction européenne. J’essaie d’évaluer les aspects positifs sans fermer les yeux sur les autres, sur ceux qui méritent un peu qu’on se penche dessus d’une manière plus critique.

Tel sera également le fil rouge du texte présent qui ressemble à une profession de foi.

Mais d’abord quelques réflexions de principe.

Qui se rappelle le moment où est née l’idée de construire une Europe commune? Après que les nations d’Europe, par fanatisme, ont par deux fois déchiré notre continent, d’atroces guerres que beaucoup de générations, comme la mienne, nées après la Deuxième Guerre mondiale, n’ont, heureusement, pas connues, de plus en plus de personnes ont pris conscience qu’une communauté de pays pouvait avoir une volonté commune plus forte de surmonter la barbarie pour bâtir ensemble un avenir sur la raison démocratique, sur la garantie de justice, sur la protection des droits et le respect des libertés. Il s’agissait de construire un monde nouveau, pour les jeunes générations en particulier, et le défi a été, en grande partie, relevé.

Ainsi est né en 1949, année de naissance du soussigné, le Conseil de l’Europe, principalement une organisation, voire une institution de défense des Droits de l’Homme, qui compte entretemps 46 membres, depuis l’exclusion de la Russie pour raison de guerre en Ukraine. Pour la petite histoire: l’auteur du présent papier, comme son ami Reejang, a été membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pendant plusieurs années.

Une dizaine d’années plus tard, on a assisté à la naissance de ce que l’on appelle aujourd’hui l’Union européenne.

Il n’y a pas d’avenir sans mémoire

Nos nations, qu’une histoire semblait à jamais séparer, nos pays que des souffrances et des incompréhensions auraient dû irrémédiablement éloigner, ont fini par admettre qu’on ne fait la paix qu’avec son ennemi qui est, souvent, son voisin. Aujourd’hui, plus que jamais, le Proche-Orient en constitue le meilleur exemple, négatif hélas! Mais combien de millions de cadavres a-t-il fallu enterrer et pleurer avant que les gouvernements, dans le passé, ne le comprennent?

C’est précisément pour éviter le retour de tels affrontements que le Conseil de l’Europe est né, première pierre d’un ordre continental pacifique et conforme à l’humanisme européen, garanti par des règles communément acceptées et des institutions collectives et communes.

Accepter l’égale dignité de tout homme, du fait qu’il est homme, reconnaître son droit aux libertés essentielles : penser et s’exprimer librement, manger à sa faim, communiquer, revendiquer sa dignité d’homme (même s’il s’agit d’un mendiant …), se déplacer librement, avoir un toit au-dessus de la tête, décider de sa vie, avoir son mot à dire dans l’organisation de la cité. C’est une aspiration identique qui a présidé plus tard à la création de l’Union européenne d’aujourd’hui, qui portait au début le nom un peu réducteur de Communauté économiques de charbon et de l’acier (CECA), qui avait son premier siège à Luxembourg-ville, place de Metz.

Tout cela fut un cheminement long et sinueux.

Nous avons l’obligation d’en garder la mémoire, notamment parce qu’il n’y a pas d’avenir sans mémoire. Pendant des générations et des générations, on ne pouvait pas étudier, se distraire, se déplacer librement, vivre paisiblement. On se défendait, on se battait. Ce n’est que depuis la chute du mur de Berlin et la disparition du totalitarisme en Europe centrale et orientale et l’adhésion de nombreux pays de l’Europe de l’Est au concept d’Etat de droit, Russie exceptée bien sûr, que l’Europe tout entière a commencé à se retrouver autour de valeurs réellement partagées, même si la guerre déclenchée en Ukraine par la Russie est venue quelque peu ternir ce tableau.

Le Conseil de l’Europe, qui regroupe, nous l’avons vu plus haut, 46 pays, la quasi-totalité des pays du continent européen, incarne à sa façon cette conception, même si les activités sont trop méconnues du public. On pourrait énumérer maintenant toutes les prérogatives du Conseil de l’Europe, mais cela nous mènerait trop loin. Contentons-nous de n’en énumérer que deux: par le biais de la Convention européenne des Droits de l’Homme, il est un extraordinaire producteur de justice, ayant conçu plusieurs centaines de conventions ou traités, il est également un „ajusteur de normes“ qui travaille à ce qu’il n’y ait plus un droit radicalement différent de part et d’autre des Pyrénées, des Alpes ou du Rhin, voire de l’Oural ou du Danube.

3) L’Europe dans un contexte général plus large

Certes, aujourd’hui, l’Europe n’est pas complètement en mesure de décider et d’agir seule ou de parler systématiquement d’une voix forte et unique.

Cette insuffisance a été encore confirmée en matière militaire récemment, sous nos yeux, à la fois en Ukraine et au Proche-Orient. L’Europe ne possède toujours pas de structure politico-militaire propre ou permanente, accompagnée d’une capacité d’intervention rapide et structurée. Les instances de l’OTAN sont les seules à disposer de moyens opérationnels. De même, l’Union européenne, première puissance économique planétaire, premier exportateur mondial, premier investisseur à l’étranger, a une richesse qui dépasse celle des Etats-Unis, mais elle n’en a pas l’influence. L’euro, la monnaie commune, est incontestablement un succès. Entretemps, il a été adopté par 20 pays européens qui forment ce que communément, on appelle la zone euro. Il est la deuxième monnaie la plus forte au monde pour le montant des transactions, derrière le dollar américain, et la première monnaie au monde pour la quantité de billets en circulation. Les conséquences économiques de l’euro continuent de faire l’objet de débats au sein des milieux économiques. Ainsi, on ne cesse de souligner l’effet de l’euro sur la convergence des taux d’intérêt, sur son rôle dans la lutte contre l’inflation et sur l’intensification des échanges commerciaux. Et surtout, la monnaie unique permet d’éviter les contraintes et, comme jadis, les risques de change entre devises nationales. Enfin, on souligne que l’euro a rendu toute dévaluation impossible, conduisant les pays à devoir engager, si besoin, certes, des dévaluations internes, hélas souvent accompagnées de réformes structurelles, pas toujours agréables. Pourriez-vous imaginer la situation de l’ancien franc belgo-luxembourgeois aujourd’hui? Sans l’euro, nous aurions assisté à un appauvrissement général, notamment dans ces deux pays, mais également dans d’autres. Sans parler du rôle refuge de l’euro pendant la crise financière de 2008. Hélas, les atouts d’un billet de banque ne peuvent servir de drapeau à un continent.

L’Europe à la croisée des chemins

Aujourd’hui, une fois de plus, l’Europe est à la croisée des chemins. Certains aiment parler de „l’Europe-puissance“, par opposition à une Europe qui ne serait qu’un marché, le terme de puissance ne suggérant nullement une quelconque ambition européenne impériale. Or, il ne suffit pas que l’Europe soit un grand marché. Vouloir l’Europe, c’est souhaiter la voir assumer sa responsabilité au-delà de ses frontières, être un acteur sur la scène internationale, exporter et importer presque sans limites, proposer une éthique à l’ensemble du monde, une sorte de morale à la société mondiale.

Pour y arriver, notamment les combats suivants doivent continuer à être menés:

– conforter et développer le modèle social européen;

– favoriser partout la diffusion de la démocratie;

– contribuer à l’équilibre du globe;

– combattre les nationalismes, les fondamentalismes et les intégrismes;

– lutter contre toute forme de terrorisme.

En Europe, on a l’habitude de voir des monuments (aux morts, souvent, hélas …) et des usines, voire d’autres infrastructures, notamment culturelles. Mais l’Europe est d’abord une communauté de valeurs, oui, il faut le répéter sans cesse, même si cela est devenu une rengaine de le réaffirmer, encore et toujours. Elle existe donc aussi et d’abord par des idées qui ne sont pas des références mortes trouvées au fin fond des livres. Ce sont celles que porte, spontanément, voire naturellement, une grande partie de la jeunesse d’aujourd’hui. Citons: la paix, le pain, le progrès, l’innovation, l’éducation, la diversité culturelle, la mobilité, le développement durable, la lutte contre le réchauffement climatique, l’emploi et les études sans frontières.

Voilà ce que doit continuer à proposer comme perspective, comme vision, une Europe solidaire, durable, moderne, créative, dynamique, une Europe du futur. Oui, voilà l’Europe que nous voulons!

Face aux grandes puissances d’aujourd’hui ou des décennies futures, les Etats-Unis, la Chine et, à un degré moindre, la Russie et l’Inde ou d’autres, l’Europe devra devenir ce que le président de la République française ne cesse d’appeler l’Europe-puissance, au même titre mais avec des valeurs et des pratiques différentes.

Sous nos yeux un cycle de plus de 60 ans est en train de se clore, qui, au prix de beaucoup de souffrances, de douleurs et de travaux, de succès et d’échecs, nous lègue malgré tout les bases d’une Europe qui croit à la paix et à la liberté des peuples, même si, actuellement, c’est compliqué avec ce qui se passe en Ukraine.

Ces mots sonnent comme une évidence, cela semble couler de source, mais c’est, hélas, terriblement difficile et tout sauf automatique. De sombres nuages sont en train de s’amonceler à l’horizon. On se demande de quel côté va pencher la balance. L’Europe saura-t-elle poursuivre sa marche ou retombera-t-elle dans ses errements du passé? Cette question déterminera notre avenir commun et, dès aujourd’hui, chacun a un rôle à jouer dans la réponse à apporter.

René Kollwelter est un ancien député et conseiller d’Etat
René Kollwelter est un ancien député et conseiller d’Etat