Tageblatt: Abou Sangaré, comment s’est faite la rencontre avec Boris Lojkine?
Abou Sangaré: Tout d’abord, je suis arrivé à Amiens en 2017, à l’âge de 16 ans. J’étais bénévole dans l’association „La boîte sans projet“. Cette communauté d’éducation populaire s’occupe de tous les demandeurs d’asile, des mineurs, des sans-abris. Un jour, le chef de l’association m’a informé qu’une équipe de tournage venait faire un casting sauvage à Amiens.
Avez-vous accepté le rôle tout de suite?
Quand on passe un casting, il faut attendre une, voire deux semaines pour avoir la réponse. Après mon deuxième casting à Paris, on m’a appelé pour dire que j’ai été choisi. C’était compliqué parce que je n’avais pas le droit de travailler. Le réalisateur, Boris Lojkine, m’a assuré que jouer dans le film serait un travail légal, rémunéré. Je n’avais pas à m’inquiéter.
Connaissiez-vous l’enfer du monde des livreurs? Et comment avez-vous appris à l’incarner?
Alors, pour être tout à fait honnête avec vous, je n’avais jamais pensé à ce que les livreurs traversent ici, en Europe. C’est vrai que je connais des amis qui travaillent dans la livraison. Mais, moi, personnellement, je n’avais jamais fait ce travail. Quand j’ai été engagé dans le projet, on m’a mis en contact avec Mamadou, qui joue également dans le film. Comme il est livreur depuis des années dans la vraie vie, il m’a fait faire deux semaines de livraison. Après deux mois de répétition, tout le monde était prêt. Ceci dit, jouer devant la caméra n’était pas facile pour moi. Boris (Lojkine, le réalisateur, ndlr) m’a beaucoup aidé. Au final, le tournage s’est fait naturellement. Mais vous savez, la livraison, ce n’est pas que rouler à vélo. Il y a aussi le GPS, l’application Uber, la prise de commande, l’ouverture d’un compte … Il faut aussi apprendre à communiquer d’une certaine manière avec les clients. On ne travaille pas tous les jours, en fait. On peut rester avec 15, 20 euros en une journée.
Après mon deuxième casting à Paris, on m’a appelé pour dire que j’ai été choisi. C’était compliqué parce que je n’avais pas le droit de travailler.
Votre histoire personnelle semble liée à celle du film. Souleymane serait-il votre double?
C’est vrai, il y a des points communs entre Souleymane et moi mais il y a aussi des différences. Dans „L’Histoire de Souleymane“, on parle tout d’abord de personnes dans l’attente de papiers. On parle aussi des clandestins, soit gens qui rentrent illégalement en France. Comme Souleymane, je suis rentré en France par l’Italie (après avoir connu le trajet infernal: le désert, la Libye tortionnaire, la traversée de la Méditerranée en canot pneumatique, ndlr) mais je suis arrivé en 2017 à l’âge de 16 ans. J’ai demandé à être reconnu comme mineur, ce qui a été rejeté. Des mois plus tard, j’ai subi des tests osseux d’après lesquels j’avais 18 ans. Donc j’étais bien mineur à mon arrivée en France. Je ne suis pas un demandeur d’asile, contrairement à Souleymane. Je n’ai pas dormi dans des centres d’hébergement. Je n’ai pas passé la nuit dehors. Souleymane, lui, a traîné pendant des nuits dans les rues de Paris. J’habite à Amiens. C’est ici que j’ai fait mes études. Je suis mécanicien poids lourds et automobiles.

Vous avez fait une quatrième demande pour obtenir les documents …
Après trois refus et une OQTF, j’ai déposé une nouvelle demande de titre de séjour à la préfecture de la Somme. Jeudi 10 octobre 2024, elle m’a délivré un récépissé qui m’autorise à séjourner légalement sur le territoire français pendant six mois, mais pas à travailler. J’ai l’espoir que la préfecture débloque ma situation cette fois-ci. Cela ne veut pas dire que ça va se faire, ce n’est pas encore gagné. Je reste positif.
Dans le film, Souleymane dit: „Je ne sais pas pourquoi je suis venu en France.“ Vous posez-vous aussi la question? Vous sentez-vous découragé?
C’est une phrase de scénario, écrite par le réalisateur. Mais je ne me sens pas découragé parce que j’ai toujours quelque chose dans le dos qui m’accompagne. Comme un ange gardien. Je veux rester en France. J’ai aussi quelque chose dans ma tête parce que je sais que la vie ne fait jamais des cadeaux. C’est en se déplaçant, en parlant avec les gens, en créant des liens avec les autres qu’on n’arrive pas à connaître ce genre de phrase qu’on entend dans le film. Je sais exactement pourquoi je suis en France. Je suis là pour une vie meilleure comme tous les autres.
Je ne suis pas le porte-parole des sans-papiers. (…) C’est une histoire qui raconte juste la vie des sans-papiers, des personnes qui sont en difficulté, qui ont demandé l’asile et qui n’ont pas toujours le droit de l’obtenir.
Vous sentez-vous le porte-parole des sans-papiers?
Premièrement, je ne suis pas le porte-parole des sans-papiers. Deuxièmement, „L’Histoire de Souleymane“ n’est pas un film politique. C’est une histoire qui raconte juste la vie des sans-papiers, des personnes qui sont en difficulté, qui ont demandé l’asile et qui n’ont pas toujours le droit de l’obtenir. Le réalisateur a juste posé la question des gens viennent en France pour demander l’asile. Il y a des règles pour l’obtenir. Certains ne rentrent pas dans le cadre, pourtant ils sont là. A partir du moment où ces personnes sont en Europe, que fait-on d’elles?
Que vous apporte l’expérience d’acteur sur le plan personnel? Envisagez-vous de continuer dans le cinéma?
En 2022, 2023, je n’aurais pas pu vous parler comme je le fais là, aujourd’hui. Alors merci à l’équipe de „L’Histoire de Souleymane“. Merci à mon producteur, merci à mon réalisateur. Merci à mes collègues, mes acteurs de m’avoir formé en deux mois. Je ressentais une peur à m’exprimer en public, devant les journalistes. Maintenant, je me sens plus à l’aise. Même si j’ai apprécié l’expérience, je n’ai pas de rêve de cinéma.
Le film sera-t-il projeté en Guinée? Allez-vous y présenter le film?
Le ministre de la Culture souhaite que le film soit projeté en Guinée. Ce n’est pas moi qui décide. Je ne devrais pas accompagner le film, je veux accompagner la mécanique, ici, à Amiens.
Synopsis du film
Dans „L’Histoire de Souleymane“, Abou Sangaré interprète le personnage de Souleymane, jeune exilé guinéen livreur à vélo dans les rues de Paris. Dans 48 heures, il doit passer un entretien à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) pour obtenir sa demande d’asile.
Construit comme un thriller, le film de Boris Lojkine prend le parti de ne pas lâcher Souleymane pendant une heure et demie. On épouse son regard, son ressenti. On est au plus près de la course effrénée de Souleymane. Une immersion possible grâce à un rythme débridé et à l’absence de musique. Les bruits d’un Paris peu hospitalier font office de bande-son qui prend aux tripes.
Abou Sangaré, l’acteur sans-papiers, crève l’écran. Il incarne un jeune migrant, livré à lui-même dans un Paris bruyant, hostile, prêt à tout pour décrocher l’asile. „L’Histoire de Souleymane“ nous plonge au cœur de son combat, entre fiction et réalité. Cette histoire, c’est aussi en partie celle d’Abou Sangaré. A la différence que le jeune acteur est mécanicien et vit à Amiens.
Abou Sangaré apprend à lire et à écrire à 16 ans, en arrivant à Amiens. Il passe son bac et s’inscrit en BTS. Abou Sangaré, 23 ans, n’a jamais suivi de cours de théâtre. C’est par hasard que le responsable d’une association amiénoise, où il est bénévole, lui propose de participer à un casting sauvage organisé par une équipe de cinéma à la recherche d’un jeune Guinéen. L’équipe, qui a fait passer des auditions à des centaines de livreurs à vélo à Paris, a trouvé son personnage principal.
Le 24 mai dernier, le Festival de Cannes a récompensé Abou Sangaré d’un prix d’interprétation masculine, en plus du prix du jury pour le film dans la catégorie „Un certain regard“.
„L’Histoire de Souleymane“ de Boris Lojkine. Avec Abou Sangaré, Alpha Oumar Sow, Nina Meurisse. En salle au Luxembourg, à partir du 18 décembre 2024.
De Maart
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