PortraitDix pour cent déjà … En France, Eric Zemmour veut bouleverser la donne à l’extrême droite

Zemmour, aujourd’hui âgé de 63 ans, a bénéficié ces vingt dernières années d’une notoriété croissante, au prix d’une image qui ne laissait personne indifférent: celle d’un journaliste de plus en plus marqué à l’extrême droite, qui par ailleurs se mue volontiers en conférencier résolument polémique et multiplie en librairie les essais à succès, tout comme, à la télévision, les émissions controversées.

Au point, d’ailleurs, que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a récemment demandé à la chaîne qui lui avait offert une chronique quotidienne, C News, de décompter désormais son temps de parole du crédit d’antenne accordé à chaque personnalité politique, pour obtenir une relative équité. La chaîne s’est exécutée en protestant; mais comme l’omniprésent Eric sort actuellement son énième livre, intitulé „La France n’a pas dit son dernier mot“, il reste hyper-présent sur les différents médias audiovisuels.

Né en banlieue parisienne au sein d’une famille juive d’Algérie, qui était arrivée en métropole durant la guerre d’indépendance, Eric Zemmour se définit comme un Français d’origine berbère, et a été élevé par sa mère et sa grand-mère – „Deux femmes qui ont m’ont aidé à devenir un homme“, dira-t-il avec reconnaissance – dans la tradition juive. Futur homme de télévision, c’est tout de même, après avoir obtenu le diplôme de Sciences-Po, dans la presse écrite qu’il avait commencé sa carrière journalistique, au Quotidien de Paris puis à Info-Matin, à Marianne, et enfin au Figaro, où il devait rester jusqu’en 2009 et revenir en 2013, tout en tenant, jusqu’à tout dernièrement, une chronique hebdomadaire dans Le Figaro-Magazine.

Très vite, ses déclarations à l’emporte-pièce allaient lui valoir des poursuites en justice pour incitation à la discrimination raciale contre les Musulmans ou contre les immigrés, poursuites qui se soldèrent tantôt par des condamnations, tantôt par des acquittements. Mais peu à peu, de chronique en conférence et de livre en intervention télévisée, Eric Zemmour s’est imposé, dans le paysage éditorial français, comme le porte-voix, tantôt enjôleur et tantôt fulminant, d’une frange de l’opinion qui ressemblait de plus en plus à la clientèle électorale lepéniste.

Mais son obsession est aujourd’hui plus fortement typée à l’extrême droite que le discours lepéniste: c’est celle du „grand remplacement“. Théorie qui consiste à affirmer qu’au-delà des problèmes liés à une immigration effectivement mal maîtrisée dans l’Hexagone, et que presque toute la classe politique reconnaît aujourd’hui, se cache un dessein redoutablement plus sournois: celui de remplacer peu à peu la population française, sa culture, sa religion majoritaire, sa langue, par celle de ces peuples venus principalement d’Afrique – musulmane surtout.

A ceux qui y voient un fantasme raciste, Zemmour ne manque jamais de répliquer, le sourire aux lèvres: „Mais pas du tout! Moi aussi, je viens de l’autre côté de la Méditerranée … “ Ajoutons que par rapport au reste de l’extrême droite, et même d’une grande majorité du personnel politique français, toutes étiquettes confondues, Eric Zemmour dispose d’une nettement plus vaste culture historique et littéraire, dont il ne manque jamais de faire parade à la télévision, avec un indéniable talent de polémiste.

La conjugaison de ces deux caractéristiques – une pensée plus radicale que celle de Marine Le Pen et un bagage intellectuel plus vaste que beaucoup – fait de Zemmour un danger redoutable pour l’extrême droite, et même pour la droite „républicaine“, toujours en mal de candidat fort. Eric Ciotti ne disait-il pas récemment qu’entre Macron et lui au 2^e tour, il choisirait sans hésitation Zemmour? Ce dernier n’est pas encore à ruiner les chances électorales de la présidente du RN, obligée de durcir en catastrophe un discours qu’elle s’ingéniait au contraire à tempérer, mais sa présence dans la course à l’Elysée pourrait lui coûter cher au 1^er tour.

Officiellement, Zemmour hésite encore à se présenter, même si, en réalité, ses partisans ont commencé à rechercher des signatures de parrainage et des fonds. Et à coller des affiches demandant: „Zemmour président!“. L’intéressé peut déjà se flatter d’avoir, avant même qu’elle ne commence vraiment, modifié la donne de la campagne. „Celui qui gagne une élection, assure-t-il, c’est celui qui impose ses questions, en ayant déjà les réponses.“

Les sondages où il commence à figurer lui accordent dès maintenant quelque dix pour cent des intentions de vote. Soit nettement plus que la plupart des postulants en dehors de Macron, de Le Pen et de celui ou celle de LR. Pour quelqu’un qui n’a ni parti, ni passé électoral, et qui n’est même pas encore candidat, ses amis trouvent que c’est déjà beaucoup; et beaucoup d’autres que c’est bien inquiétant.