14. Dezember 2025 - 12.38 Uhr
L’histoire du temps présentDécembre 1945: Faire parler les preuves et faire taire les morts
La décision de juger les responsables nazis après la guerre avait été prise alors même que les combats étaient en cours. Pour monter leur dossier d’accusation les Alliés, et en particulier les Américains, avaient décidé de laisser parler les archives de l’Etat nazi. De retourner leurs propres mots contre les criminels de guerre. Les autorités allemandes avaient détruit de nombreux documents avant la capitulation sans conditions du Reich, d’autres avaient brûlé avec les villes allemandes bombardées, mais les Alliés purent tout de même mettre la main sur près 3.000 tonnes de documents.
Des documents pour la justice et l’histoire
Ceux-ci provenaient de divers endroits. Il y avait notamment des archives du haut commandement de l’armée allemande et de la Luftwaffe, du ministère des Affaires étrangères, de grands groupes industriels comme Krupp ou Henschel, ou du chef de la police du Reich et de la SS, Heinrich Himmler – qui bien que capturé par les Britanniques en mai 1945 avait échappé au procès en croquant dans une capsule de cyanure. Ces documents avaient pour la plupart été découverts dans les derniers mois du conflit, lorsque les troupes alliées étaient entrées sur le sol allemand. Le 7 avril 1945, la 90e division d’infanterie américaine avait par exemple saisi de l’or, des devises, des œuvres d’art et des documents dans la mine de sel de Kaiseroda, en Thuringe.1)
La masse de documents dont s’étaient emparés les Alliés permit à l’accusation de comprendre les rouages de l’Etat nazi et de reconstituer la mise en place de ses politiques les plus meurtrières, en particulier de ce crime que l’on commençait alors à nommer génocide et que nous connaissons aujourd’hui sous la désignation de Shoah ou Holocauste. Parmi les plus importants documents présentés au procès se trouvaient ainsi les rapports des Einsatzgruppen, ces unités mobiles chargées de fusiller en masse des hommes, des femmes et des enfants juifs après l’invasion de l’Union soviétique, ainsi que le protocole de la conférence de Wannsee, cette réunion durant laquelle différents organes publics allemands s’étaient coordonnés dans le but de mettre en œuvre la „Solution finale“, c’est-à-dire l’extermination de l’ensemble de la population juive européenne. Ces documents, utilisés dans le cadre d’un procès, furent plus tard aussi cruciaux pour la recherche.
Le choc des images
Sur le moment, ils ne marquèrent toutefois pas autant les esprits que les films exhibés par l’accusation à Nuremberg, qu’il s’agisse de films de propagande nazis ou d’images réalisées par des caméramen alliés, notamment lors de la libération des camps. Un montage de ce genre d’images intitulé Nazi Concentration Camps, présenté comme pièce à conviction au cours de l’audience du 29 novembre 1945, fut si dérangeant qu’il sortit même les accusés de leur apathie des dernières semaines. Le docteur Gustave Gilbert, qui avait été nommé psychologue de la prison de Nuremberg, décrivit ainsi leurs réactions: „On voit des piles de morts dans un camp de travail forcé. Von Schirach regarde très attentivement, il halète, parle bas à Sauckel … Funk pleure maintenant … Göring a l’air triste, appuyé sur le coude … Dönitz se tient la tête penchée, il ne regarde plus … Sauckel frémit à la vue du four crématoire de Buchenwald … Quand on montre un abat-jour en peau humaine, Streicher dit: ,Je ne crois pas ça …‘ Göring tousse … Les avocats sont haletants … Maintenant Dachau. Schacht ne regarde toujours pas … Frank secoue la tête et dit amèrement: ,Horrible! …‘ Rosenberg s’agite toujours, se penche en avant, regarde autour de lui, se penche en arrière, baisse la tête … Fritzsche, pâle, se mordant les lèvres, semble vraiment en agonie … Dönitz se cache la tête dans les mains … Keitel penche maintenant la tête … Ribbentrop regarde l’écran lorsqu’un officier britannique commence à parler, disant qu’il a déjà enterré 17.000 cadavres … Frank se ronge les ongles … Frick secoue la tête, l’air incrédule quand une doctoresse décrit le traitement et les expériences infligées à des prisonnières à Belsen. Comme on montre Kramer, Funk dit d’une voix étranglée: ,Le sale cochon! …‘ Von Ribbentrop assis, les lèvres pincées et les yeux clignotants, ne regarde pas l’écran … Funk pleure amèrement, porte la main devant sa bouche au moment où des cadavres nus de femmes sont jetés dans une fosse … Keitel et Ribbentrop lèvent les yeux quand on annonce qu’un tracteur emporte des cadavres, ils regardent, puis baissent la tête … Streicher donne pour la première fois des signes d’agitation … Le film se termine. Après la présentation, Hess déclare: ,Je ne le crois pas.‘ Göring, lui, murmure de se tenir tranquille, ayant perdu lui-même tout son aplomb.“2)
Le silence éternel de Gustav Simon
Alors même que le procès continuait, suivi de près par la presse internationale, un autre événement retint l’attention au Luxembourg. Le 14 décembre 1945, l’Escher Tageblatt publia en une la dépêche suivante: „Wie wir soeben telephonisch aus Nürnberg erfahren, soll Gauleiter Simon in der englischen Zone gefangen sitzen. Diese Meldung wurde uns mitgeteilt von unserem ersten Kommissar für Kriegsverbrecher, der zur Zeit in Nürnberg weilt, und welcher sofort an Ort und Stelle die nötigen Nachprüfungen bewerkstelligt. Die Nachricht ist vorläufig mit Vorsicht aufzunehmen, bis die Bestätigung erfolgt. (Mitgeteilt vom Justizministerium)“3)
Il n’y eut plus aucune information sur le sujet pendant une semaine. Mais le 21, les lecteurs du Tageblatt découvrirent une grande photo du cadavre de l’ancien chef de l’administration civile allemande surmontée de ce titre: „Gauleiter Simon verübte Selbstmord in Paderborn. Er ist auf jene erbärmliche Art geschieden, die ihm bestimmt war: durch den Strick.“4)
Le Gauleiter Gustav Simon s’était-il réellement suicidé? Certains en doutèrent plus ou moins ouvertement, avançant qu’en réalité Simon avait été assassiné par des membres de l’escorte luxembourgeoise chargés de le ramener au Luxembourg pour qu’il y soit jugé. L’un des derniers en date est un britannique du nom de Thomas Harding, qui a défendu cette thèse dans un livre consacré à son grand-oncle Hanns Alexander, l’officier des services secrets britanniques qui avait traqué, retrouvé et arrêté Simon.5) Quoi qu’il en soit, alors qu’à Nuremberg on jugeait les grands criminels nazis, celui-ci échappait à la justice. Gustav Simon emportait dans sa tombe ses souvenirs compromettants.
1) Voir: https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/article/combating-holocaust-denial-evidence-of-the-holocaust-presented-at-nuremberg
2) G.M. Gilbert, Le Journal de Nuremberg, Paris, Flammarion, 1947, pp. 91, 92.
3) „Gauleiter Simon gefangen?“ in: Escher Tageblatt, 14.12.1945, p. 1.
4) Escher Tageblatt, 21.12.1945, p. 1.
5) Thomas Harding, Hanns et Rudolf, Paris, Flammarion, 2014.
De Maart
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