Musique contemporaineClaude Lenners consacre un cycle aux insectes

Musique contemporaine / Claude Lenners consacre un cycle aux insectes
Claude Lenners Photo: Yves Kortum

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Le compositeur Claude Lenners présente ce soir à Neimënster „Hôtel à insectes“, un cycle de 24 partitions avec des textes en 24 langues différentes pour soprano, clarinette et guitare. Cette œuvre polysémique se prête aussi bien aux considérations littéraires qu’aux discussions scientifiques.

C’est par la musique de chambre plutôt qu’une musique d’ascenseur que Claude Lenners fera entrer les auditeurs dans son „Hôtel à insectes“ ce soir à Neimënster, à l’invitation de l’Institut Pierre Werner. Les origines de ce cycle remontent au début des années 80. Alors étudiant à Strasbourg, Claude Lenners lit le recueil de poèmes de Lambert Schlechter „La Muse démusulée“. Il y est saisi par un poème qui décrit les insectes en „voyelles ambulantes“ qui „vont sans cesse nulle part/vont sans nord/et sans date“ dont les antennes „sondent les astres mieux que nous“. Pour que ces mots fassent rêver le jeune musicien au point de le décider à les mettre en musique, il aura fallu qu’adolescent, il voue une fascination pour les insectes en général, et les fourmis en particulier, impressionné qu’il fut „par leur organisation, pareille à celle d’un Etat“. „Sauf que si on comparaissait, ce serait un Etat comme la Corée du Nord; tellement c’est sévère chez eux, avec des fourmis qui n’ont aucun droit et ne font que du travail de mise en place des œufs“, précise-t-il.

En 1984, Claude Lenners avait proposé à l’ensemble strasbourgeois Accroche-Note de mettre en musique le poème de Lambert Schlechter. Le poète qui fait voyager les lettres dans l’espace comme des fourmis, permettait alors au compositeur de faire voler les lettres du poème et de les mélanger au point que les mots deviennent incompréhensibles et que le tout traduise „la nervosité du monde des insectes“.

Il aura fallu attendre 2015 pour que l’idée d’un cycle émerge. Le compositeur est alors à Sarrebruck, pour un concert. Pendant une pause, en ville, il entre dans une librairie et tombe nez à nez sur le poème „El insecto“ de Pablo Neruda. Il y voit une invitation à poursuivre son travail de jadis. Il met peu de temps à trouver un texte dans chacune des langues qu’il maîtrise: l’allemand („Die Mückenplage“ de Günther Grass), l’italien („A una zanzara“ de Gianfrancesco Maia Materdona), l’anglais (un extrait de „The Tempest“ de Shakespeare). C’est suffisant pour constituer un petit cycle que les musiciens réunis au sein de l’Ensemble Noise Watchers unlimited prennent tant de plaisir à interpréter qu’ils souhaitent l’enregistrer. Or, pour un enregistrement, cinq morceaux ne suffisent pas. Et Claude Lenners se prend au jeu d’étoffer le cycle. 

Lorsque le confinement survient, s’offre l’occasion de mener l’enquête en ligne, à la recherche de nouveaux textes. Il pose des principes, des règles. Aux poèmes de grands écrivains pourront s’ajouter des déclarations illustratives ou lexicales, des textes de fantaisie, mais aussi des dictons et proverbes. Ces derniers ont l’avantage d’être brefs. „Rester court était aussi pratique et nécessaire pour des langues que je ne parle pas.“ Il faut en effet être capable de repérer comment se prononcent les mots et où sont les accents pour la mise en musique. En la matière, les connaissances des collègues et élèves du Conservatoire où il enseigne furent précieuses. 

Une œuvre littéraire

Si „Hôtel à insectes“ compte 24 titres, il ne faut pas y voir un goût du jeu poussé à l’extrême, à la manière de Georges Perec. C’est certes le nombre de fugues et préludes de Jean-Sébastien Bach, dont Claude Lenners mentionne l’art du contrepoint, mais il a plutôt à voir avec la durée d’enregistrement disponible sur un disque. À la différence des collections d’entomologie, un insecte peut revenir plusieurs fois, ou alors n’être évoqué que de manière métaphorique. Les fourmis sont présentes, notamment dans un texte haïtien en créole qui compare le traitement réservé aux esclaves noirs au sort des fourmis. L’insecte est aussi souvent raconté pour sa capacité, connue, de nuisance ou son rôle, sous-estimé, d’allié de l’homme, tous deux inversement proportionnels à sa taille. Ainsi, la dernière partition a pour point de départ le proverbe luxembourgeois: Ech hunn eng Flou/awer ech weess net wou/oh Marie-Ännchen!“, une réminiscence du compositeur, „un texte insignifiant [qui] semble rendre justice au préjugé selon lequel la puce est connue uniquement en raison de sa propriété de parasite“.

Le riche livret trilingue (anglais, allemand, français) de 106 pages fait de „Hôtel à insectes“ une œuvre littéraire, autant qu’il est une aide à l’écoute du disque. Claude Lenners a déjà mis entre autres en musique Fernando Pessoa, Luigi Pirandello, Edgar Allan Poe et Friedrich Nietzsche. „La littérature était toujours très importante pour moi, en dehors de la vie de musicien. Encore aujourd’hui, avant de me mettre au travail pour écrire une musique, je lis. La lecture me donne l’inspiration. J’ai même parfois peur de prendre un livre pendant que je travaille, parce qu’après trois lignes me viennent déjà d’autres idées“, confie-t-il. Dans ce livret, le compositeur fait tour à tour de l’analyse de texte („Les insectes renvoient au cycle de la vie et de la mort, voire à une communion entre l’infiniment petit et l’infiniment grand“, note-t-il au sujet du poème de Schlechter) ou de l’explication sur ses choix de composition dans un langage clair et précis, qui aide à la compréhension de ses pièces par ailleurs largement accessibles.

Il ne s’agissait pas pour moi de mettre en musique le bruit des insectes, mais de créer une atmosphère qui suggère leur présence

Claude Lenners, compositeur

„Il ne s’agissait pas pour moi de mettre en musique le bruit des insectes, mais de créer une atmosphère qui suggère leur présence“, explique Claude Lenners. Le cycle est écrit pour soprano, clarinette et guitare, comme la première pièce créée pour Accroche-Note en 1984. À la voix chantée et à la clarinette, il avait voulu à l’époque ajouter un instrument harmonique et estimé que l’intimité et le raffinement de la guitare conviendrait davantage que le trop convenu piano. Pour le cycle de 24 titres, il avait peur que ces seuls instruments lassent et a ajouté de nouvelles couleurs musicales avec le mélodica, l’erhu, les maracas, l’ocarina, le banjo, l’ukulélé. Pour une chanson dédiée à la langue des aztèques, il fait même rentrer la flîute en terre cuite dans le registre contemporain. „Hôtel à insectes“ a ainsi une dimension „ethnomusicologique“. D’ailleurs, pour le texte arabe („Un moustique est capable de mettre en sang les yeux du lion“), il étudie la musique arabe avec ses rythmes, ses quarts de ton.

„D’une grande actualité“

Claude Lenners tient à la dimension pédagogique du projet. Il vise davantage les collaborations avec les musées d’histoire naturelle et les centres de littérature que les salles de concert, dit-il. La conférence-concert de ce soir, initiée par l’Institut Pierre Werner qui a invité deux experts du „natur musée“ pour parler d’insectes, en est l’incarnation. C’est cela qui va éveiller à la nature. „En tant qu’artiste, avec un texte mis en musique sur Greta Thunberg, on ne sauve pas la nature, c’est clair. C’est un sujet d’une grande actualité, qui n’a pas été traité en musique. Nous savons que si les abeilles, qui sont dans le texte de Shakespeare, disparaissent, nous allons disparaître.“ 

Son œuvre est un lieu de rencontre pour musiciens, entomologistes, littéraires, linguistes et curieux de toutes sortes. On parierait volontiers sur une carrière internationale de cette œuvre à vocation universelle. D’ailleurs, le disque sortira le 19 octobre, lors des „Donaueschinger Musiktage“. C’est le label NEOS qui en a décidé ainsi. Et ce n’est pas pour déplaire à Claude Lenners. La compétition est rude dans la musique contemporaine et être présent lors de cette grand-messe mondiale de la musique contemporaine a de quoi faire pencher la balance du bon côté. Puis, de faire un beau pied de nez à son aversion pour les moustiques depuis un séjour en Camargue.

Info

Concert-conférence organisé par l’Institut Pierre Werner ce soir à 19 h à Neimënster. Entrée: 10 euros. Le disque sera en vente sur place et accessible sur les plateformes de streaming.

L’ Ensemble Noise Watchers unlimited: Max Mausen (clarinette basse), Marie-Reine Nimax (soprano) et Hany Heshmat (guitare)
L’ Ensemble Noise Watchers unlimited: Max Mausen (clarinette basse), Marie-Reine Nimax (soprano) et Hany Heshmat (guitare) Photo: archives Noise Watchers