Sonntag21. Dezember 2025

Demaart De Maart

„Le Bel Obscur“Caroline Lamarche livre un roman rude et généreux sur une femme qui découvre bien plus que l’homosexualité de son mari

„Le Bel Obscur“ / Caroline Lamarche livre un roman rude et généreux sur une femme qui découvre bien plus que l’homosexualité de son mari
L’autrice Caroline Lamarche Photo: Valérie Sonnier

Jetzt weiterlesen!

Für 0,99 € können Sie diesen Artikel erwerben:

Oder schließen Sie ein Abo ab:

ZU DEN ABOS

Sie sind bereits Kunde?

C’est la voix d’une narratrice qui décide d’enquêter sur Edmond, un aïeul du 19e siècle, qui fait aussi défiler sa vie d’épouse pendant trente ans: Avec „Le Bel Obscur“, l’écrivaine belge Caroline Lamarche redistribue les cartes à sa façon.

„Il n’y a rien de fictif dans ce roman. La fiction consiste à mettre des éléments hétérogènes ensemble et construire une histoire. C’est un montage. Tous les éléments documentaires que j’apporte, que ce soit d’ordre livresque, d’ordre historique ou d’ordre archivistique, sont vrais“, dit Caroline Lamarche. „C’est la somme des coïncidences et des signes qui a accompagné ce travail. Je veux aussi raconter l’histoire d’un couple, comme un roman.“ Cela passe d’abord par des photos et des lettres que la narratrice découvre dans un vieux coffre de famille. Ils révèlent l’existence d’Edmond, un jeune Liégeois, étrangement coupé de l’arbre généalogique familial, mystérieusement décédé à Orléans, à l’âge de 30 ans. Ces documents bouleversants sont comme des pièces à conviction. „J’ai repris l’enquête“, confie Lamarche, „parce que j’ai une vénération pour mon père qui était ingénieur des mines, qui s’intéressait aux archives. Il disait toujours: ,Quand on a très peu d’archives, il y a là un personnage en quête d’auteur.‘ C’est une phrase magnifique, qui me pousse vers le roman.“

Edmond, une obsession

Au fil des jours, et des pages, Edmond devient obsession. Pourquoi a-t-il été effacé de la mémoire familiale? De quoi est-il mort? Le silence règne autour de lui, dont on dit qu’il a „fait beaucoup de chagrin à sa mère“. Alors la narratrice, en parfaite détective entêtée, malicieuse même, use de toutes les ruses et stratagèmes. L’ésotérisme? Pourquoi pas? Elle découvre, avec nous, un monde parallèle, parfois peu pris au sérieux. Et pourtant, les rencontres avec une médium, une graphologue, une spirite vont l’aider à élucider le mystère Edmond. Jusqu’à une révélation: „Edmond et moi sommes des jumeaux astrologiques à un siècle et demi de distance.“ Du coup, la consécration d’„une formidable ,synchronicité‘ comme disait Carl Gustav Jung: à un siècle et demi de distance, le destin d’Edmond interpelle celui de Vincent“.

Il y a des situations très douloureuses où les homosexuels ont été privés de voir leurs enfants par une épouse ou une belle famille qui considéraient que c’était de la perversion, qu’ils étaient dangereux dès qu’ils étaient homosexuels. Ici, c’est une histoire plutôt heureuse et étonnante dans ce sens-là.

Caroline Lamarche, écrivaine

Des signes la ramènent à sa propre vie d’épouse. Le récit devient intime. La narratrice se penche sur trente années de vie conjugale, carnets de notes, brouillons à l’appui. Très jeune, elle épouse Vincent. Ils ont deux filles. Ils sont durablement amoureux. Jusqu’à ce qu’il lui révèle son homosexualité. Elle essaie de comprendre. Elle aime Vincent depuis le jour où il lui a confié avoir tenté, adolescent, d’extraire les passagers d’une voiture tombée dans une rivière. Il lui parle de son rêve „d’une maison volante qui passe à travers tout sans se détruire ni rien abîmer quoi que ce soit“. Ils mettent en place un pacte de vérité où personne ne se ment. Les amants, Brian, Markus, Jérôme, Nikolaï, viennent habiter la maison, jour et nuit. Elle préfère croire à une passade. Elle accepte l’inacceptable. Elle ne s’indigne pas. Vincent ne veut pas la perdre. Et elle, elle se raccroche à l’idée qu’elle restera à jamais l’unique.

Découverte de l’homosexualité

La narratrice découvre le monde de l’homosexualité. Ses codes. Ses souffrances. Ses joies. Elle observe. Elle se laissera glisser dans les fêtes „hybrides“, l’hiver, l’été. Des amants jouent avec les filles. Il y a comme un air de famille joyeux. Une attraction. Une forme d’empathie? Pour Caroline Lamarche „il y a des situations très douloureuses où les homosexuels ont été privés de voir leurs enfants par une épouse ou une belle famille qui considéraient que c’était de la perversion, qu’ils étaient dangereux dès qu’ils étaient homosexuels. Ici, c’est une histoire plutôt heureuse et étonnante dans ce sens-là.“ Et d’ajouter: Or, d’une manière générale, les livres sur l’homosexualité sont écrits par des homosexuels, par des LGBT. C’est un monde assez cloisonné. On connaît les livres d’Edouard Louis, les livres magnifiques de Didier Eribon que je lis beaucoup. Je doute encore, je dois me tromper. Je ne suis pas de leur monde et j’écris là-dessus! Mais en même temps, il faut que j’écrive parce que toutes ces épouses, toutes ces familles, elles sont victimes aussi d’homophobie. Dans le placard, elles aussi, elles ne bénéficient pas du soutien d’une communauté, de lieux de rencontres. Stigmatisées, elles n’osent rien dire. Elles sont invisibilisées. Et on n’en parle pas. Il n’y a pas un seul livre là-dessus.“

La narratrice refuse de se poser en victime: „Une fois de plus on pourra me reprocher de ne pas m’être déclarée victime. Peut-être suis-je simplement bon public, y compris de mes propres malheurs.“ Il y a bien une colère rentrée, une souffrance tue: „Dans l’écriture“, explique Caroline Lamarche, „on est en colère tout seul. Je dis toujours que la colère est un plat qui se mange froid. Si une femme se met en colère, on la traite tout de suite d’hystérique. Quand la colère vient après des années, on laisse passer du temps. On la travaille suffisamment pour qu’à un moment donné, elle se transforme en ironie, en humour féroce. Elle devient très efficace, notamment dans la guerre des sexes. Virginie Despentes a fait ça magnifiquement dans ,King Kong Théorie‘: même victime d’un viol, elle n’est pas victime. Elle a une drôlerie irrésistible et en même temps une très belle férocité. Et moi, j’ai toujours eu ça, quelque part. J’ai hérité de mon père, je pense, cette espèce de manière de garder les choses à l’intérieur, mais puisque les mots sont mes outils, je peux, par l’écriture, ne tuer personne, mais, symboliquement, me libérer d’une situation violente. Virginia Woolf dit qu’un moment vient où on peut parler de tout sans violence. Mais il faut attendre ce moment. Si j’avais écrit trente ans plus tôt, cela aurait pu être une sorte de carnage personnel et familial. C’est l’art de la nuance, l’art de la patience. C’est attendre qu’un sujet soit mûr pour le donner. Et à ce moment-là, on va au fond des choses. Cela peut être assez rude. Je pense qu’il faut être honnête, voir la réalité comme un kaléidoscope.“

Entre les lignes

Couverture du roman „Le Bel Obscur“
Couverture du roman „Le Bel Obscur“ Source: Editions du Seuil

Que nous dit „Le Bel Obscur?“. „Le corps homosexuel est sur quoi cette femme s’interroge“, répond Caroline Lamarche. „Il lui échappe. Elle s’en protège aussi. Il y a Edmond, le bel obscur, qui a disparu de la généalogie familiale. Mais il y a Vincent, qui est un homme énigmatique. Il parle peu et, à un moment donné, il cesse de raconter. Et donc, elle est obligée d’enquêter comme un véritable détective qui va essayer de comprendre pourquoi d’abord elle ne se révolte pas.“

Le roman se termine par „c’est Edmond qui m’a précédé, accompagné, sauvé“. „Non seulement“, éclaire Caroline Lamarche, „c’est un mort qui aide une vivante à trouver un sens à sa vie, mais c’est aussi le milieu LGBT qui a fait le chemin pour les conjoints modernes qui cherchent d’autres voies pour renouveler le couple. Et donc, quelque part, en ça, je rends hommage à ce couple dont je raconte l’histoire, si particulière, qui a permis de déconstruire le modèle du mariage patriarcal et d’aller vers une union plus libre et néanmoins complice et solidaire.“

„Le Bel Obscur“, ce sont des récits en miroirs. Une histoire sur les projections de chacun, où chacun est le miroir de l’autre. La narratrice s’appuie sur ce va-et-vient pour tisser son propre chemin et comprendre sa propre vie. Une émancipation. Une „voie de traverse“ pour se réinventer, portée par une écriture éblouissante. „Le Bel Obscur“ figure dans la deuxième sélection du prix Goncourt 2025 et fait part de la sélection du prix Décembre de cette année.