Montag22. Dezember 2025

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Concerts de la semaineBeth Gibbons au Neimënster et Jorja Smith à la Rockhal

Concerts de la semaine / Beth Gibbons au Neimënster et Jorja Smith à la Rockhal
Une des artistes en concert au Luxembourg cette semaine: Beth Gibbons Source: José Goulão from Lisbon, Portugal, CC BY-SA 2.0, via Wikimedia Commons

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Beth Gibbons, la voix de Portishead, passe ce soir au Neimënster pour jouer en public „Lives Outgrown“, son premier album solo paru l’année dernière. Quant à la pop star Jorja Smith, c’est à la Rockhal, ce jeudi, qu’elle présente les pièces maîtresses de son répertoire. Focus.

Beth Gibbons: de la soul électronique au rite pastoral

Beth Gibbons a toujours appartenu aux interstices. Dès „Dummy“ (1994), premier album de Portishead, elle incarne une voix spectrale qui vient trouer le tissu trip-hop tissé par Geoff Barrow et Adrian Utley. Dans „Glory Box“, elle se fait Billie Holiday électro et pâle, son timbre de contralto vibrant au-dessus d’une ligne de guitare déformée, sample de „Ike’s Rap II“ d’Isaac Hayes (1971). Le morceau, pourtant jugé trop commercial par le groupe, s’est imposé comme un classique, propulsant la soul moderne vers un espace rétro-futuriste: un club de jazz des années 1950 filmé en clair-obscur, mais traversé de nappes synthétiques et de beats lourds, comme dans son clip réalisé par Alexander Hemming.

De Portishead …

Formé en 1991 à Bristol, Portishead mélange électro, rock, jazz et hip-hop en un alliage unique. Geoff Barrow, véritable architecte sonore, fusionne batterie acoustique et samples cinématographiques, un langage dont il se détournera plus tard dans la production de l’excellent „Primary Colours“ de The Horrors (2009). Après „Dummy“ et „Portishead“ (1997) et „Third“ (2008) prolongent la formule en la durcissant. „Third“, album froid paru en plein été, cultive la claustrophobie: „We Carry On“ bat comme une alarme qui ne s’éteint pas, „The Rip“ se construit sur un arpège minimaliste avant de s’élancer vers un climax électronique – un morceau anti-tube devenu indispensable, utilisé dans une publicité, et qui résonne jusque dans la composition en spirale de „Conchiglie“ d’Andrea Laszlo De Simone (2019).

… à Kendrick Lamar

Pendant ces années, Beth Gibbons explore d’autres territoires. Elle collabore avec Kendrick Lamar et participe, en 2014, à l’une des performances les plus étranges de son parcours: soprano soliste dans la „Symphonie n°3“ de Henryk Górecki, sous la direction de Krzysztof Penderecki. Sa voix y paraît fragile, presque en lutte contre l’orchestre, exposant un vibrato instable, d’une humanité désarmante. En 2024, à 60 ans, Gibbons publie son premier album solo, „Lives Outgrown“. Co-produit avec James Ford (The Last Shadow Puppets, les derniers Depeche Mode) et Lee Harris (batteur de Talk Talk), l’album évolue entre folk apaisée et musique expérimentale. „Tell Me Who You Are Today“, ouverture baroque, dévoile guitare, cordes et bois dans un arrangement dépouillé mais orné de micro-détails.

Le premier album solo de Beth Gibbons: „Lives Outgrown“
Le premier album solo de Beth Gibbons: „Lives Outgrown“ Copyright: Domino Records 

Suivent „Floating on a Moment“ et „Lost Changes“, compositions pastorales presque murmurées, ponctuées de field recordings. „Reaching Out“ rappelle Portishead par ses cuivres dramatiques dignes d’une scène de poursuite, tandis que „Beyond The Sun“ superpose clarinette basse, contrebasse, farfisa, harmonium, flûtes fuzz, chœurs d’enfants et scie musicale en une couche. C’est un morceau d’ascension chamanique, où le folk rencontre la musique spectrale. „Oceans“ aborde la ménopause et l’infertilité avec des arrangements de cordes funestes, „For Sale“ parle de la fin des rêves sur fond de motifs harmoniques dissonants. „Rewind“, avec ses guitares western et ses harmoniques mineures, énonce l’impossibilité du retour en arrière. Dans „Lives Outgrown“, Gibbons dit adieu à une vie ancienne pour accueillir un renouveau, comme un rite de passage.

Les modulations et frottements harmoniques, typiques de son approche jazz, sont ici appliqués à une folk qui explore la dissonance. Un morceau comme „Whispering Love“, final apaisé à l’allure seventies, offre une lueur d’espoir: notes de guitare sèche, field recordings d’oiseaux à nouveau – un ultime rappel que l’amour triomphe, mais ici dans un écrin de noirceur pudique. Gibbons ne renie rien: ses allusions voilées font écho à Portishead tout en s’en détachant. Sa voix reste la même – grave et haute, dense et fuyante, à la fois ombre et lumière. Elle continue d’habiter cet entre-deux où la musique est à la fois une lamentation et un soulèvement. Beth Gibbons chante pour traverser. Et „Lives Outgrown“ est peut-être, après toutes ses complaintes, le rite pastoral qui manquait à son œuvre.


Jorja Smith: grandir en questions

Chez Jorja Smith, la question est un moteur. Dès „Lost & Found“ (2018), son premier album, la chanteuse refuse la posture de celle qui sait. Dans „Teenage Fantasy“, qu’elle fredonnait à 16 ans en gardant un enfant, elle chante: „I need to grow and find myself before I let someone love me.“ Il y a, dans cette ligne, la saveur d’une adolescence qui ne sait pas encore si elle doit d’abord se connaître avant d’aimer ou aimer pour mieux se connaître. Depuis ses onze ans, âge de sa première composition, jusqu’à la sortie de „Lost & Found“, dix ans plus tard, Smith construit un labyrinthe tapissé de mélodies où chaque morceau se veut miroir. La musique est-elle un miroir auditif? „February 3rd“ répond en demi-teinte: „I’m constantly finding myself.“ Le reflet tremble.

Il y a parfois chez Jorja Smith un certain goût pour l’arrangement brut: une voix légèrement voilée, posée sur un beat sec, des basses épaisses, jamais envahissantes. Dans „Where Did I Go?“, elle affronte la rupture, la voix, affronte le silence comme un corps affronte le froid. La mélancolie, elle, s’épanche sur „Wandering Romance“: quelques notes de clavier, une ligne de basse étirée, une batterie ralentie – tout évoque l’instabilité d’une relation. Et quand vient „Goodbye“, c’est la guitare acoustique qui gratte littéralement ses plaies. Les cordes se frottent et la voix creuse: „You’re never coming back down.“ A cet instant, la chanson devient folk, comme si elle effilochait la soul pour en garder la trame nue. L’écho donne envie de danser, malgré la gravité, comme si ses larmes en pagaille battaient la mesure.

Près de Beth Gibbons

Jorja Smith se produit sur scène ce jeudi à la Rockhal à Esch
Jorja Smith se produit sur scène ce jeudi à la Rockhal à Esch Photo: Danika Magdelena 

„Lost & Found“ doit à la soul-R&B sa douceur, mais se rapproche parfois de Beth Gibbons et Portishead dans ses ambiances trip-hop. Sur „Tomorrow“, des accents gospel s’élèvent, là où „Blue Lights“ mixe downtempo, backbeat et grime britannique. L’extrait du „Sirens“ de Dizzee Rascal (2007) y est plus qu’un sample: c’est un ancrage. Et si la chanteuse anglaise cite Amy Winehouse comme son obsession adolescente, „Lost & Found“ porte aussi la marque de Sade Adu dans sa sensualité distante ainsi que celle de FKA Twigs dans sa précision éthérée. Sur „Teenage Fantasy“, un beat minimaliste accompagne des nappes de synthé brumeuses là où sur „Wandering Romance“, ce sont les guitares et les chœurs réverbérés qui construisent un espace vaporeux. Et „Blue Lights“, qui reste son morceau phare, avance sur une ligne de basse entêtante, un rythme quasi hip-hop et des voix superposées.

Sous l’influence narrative de The Streets, elle peint des vignettes sociales sans naturalisme pesant: elle parle de ce qui est entendu et entendu seulement lorsqu’il est chanté. Parce que sa voix abolit la frontière entre elle et l’auditeur, frontière ténue du casque qui la rend intime et lointaine à la fois. Et si elle est devenue pop star, elle l’est sans empressement. La presse spécialisée l’adule, le public la suit, mais elle, continue d’interroger. „Ask me about me again“, exige-t-elle dès l’ouverture de „Falling or Flying“, son deuxième album paru en 2023. Comme si tout son art n’était qu’un dialogue. Alors en studio, elle discute aussi, mélodiquement, sur deux titres de „More Life“ (2017) de Drake, sur la bande originale de „Black Panther“ (2018) produite par Kendrick Lamar, ou encore avec le chanteur afro-fusion Burna Boy.

Créé avec Damedame, duo de productrices et amies de longue date, „Falling or Flying“ zigzague à l’envi entre le rock et la soul, en slalomant aussi du côté de la house, et le titre éponyme résume l’ambivalence amoureuse: tomber amoureuse, c’est tomber ou s’envoler? Si „Try Me“ ouvre l’album sur des percussions sèches, „Greatest Gift“ repose sur une ligne jazzy et „Little Things“ brille par un groove souple, aux contours R&B et funk. „What If My Heart Beats Faster?“, dernier morceau, relance la question avant de disparaître sur un fondu de cordes somptueux, comme des points de suspension. Car Jorja Smith, c’est avant tout cela: une voix qui ose poser la question sans jamais imposer la réponse.

Plus d’informations sur les concerts via neimenster.lu et rockhal.lu