Première femme du groupe impressionniste, Berthe Morisot revendique une liberté de créer en dehors des canons de la peinture académique. Plein air, scènes de la vie quotidienne, lumière et incarnations subtiles, caractère éphémère et précieux des instants du quotidien, se dévoilent ici tout un art de vivre, une quête de bonheur, au travers d’une peinture subtile et audacieuse. Inspirée de l’art du XVIIIe siècle dans lequel elle a baigné durant sa jeunesse, de par son milieu familial, elle a un goût pour Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), au point qu’on lui attribue, comme un mythe, une parenté que des recherches démentiront: Antoine Watteau (1684-1721), François Boucher (1703-1770), Jean-Baptiste Perronneau (1715-1783).
Il faut préciser que cet art du libertinage et des fêtes, celui du XVIIIe, a été peu relayé, censuré. C’est au XIXe siècle qu’il apparaît, comme la touche subtile d’une époque. Une liberté et un bonheur d’être, que Berthe Morisot fera siens, sous la couleur, des tons évanescents, un inachèvement pour certaines œuvres. La porosité des êtres et de leur milieu à la lumière apparaîtra comme la force sublime d’un regard et d’un mouvement – penser qu’elle peindra sur une barque au milieu d’un étang pour donner le point de vue renouvelé du paysage. Elle construira par le pastel, cette craie dont la poudre chatoie à la lumière, par touches et à grands traits, des portraits, des scènes du quotidien, donnant la sensation d’une vie qui se livre toujours.
„Une hardiesse spirituelle“
Pour la première fois, l’art de Berthe Morisot est donc lu à la lumière de l’œuvre des grands peintres du XVIIIe , ceux qui l’ont influencée, lui ont donné le goût de la grâce et du bonheur. La touche et la lumière, cette façon d’ouvrir la peinture par des audaces, Berthe Morisot les porte en avant, au travers de sa touche impressionniste et donne une œuvre qui rayonne par sa finesse, une exquise beauté, des tons pastel, comme s’il n’y avait plus de frontière entre les personnages et leur environnement. Le mouvement virevoltant d’un jardin vient imprégner jusqu’aux sujets. „La Fable“ (huile sur toile, 1883) saisit une scène entre Julie Manet, la fille de Berthe Morisot et sa nourrice, dans un jardin, assises l’une en face de l’autre, dans une grande harmonie avec leur environnement, comme si elles en jaillissaient.
La section de l’exposition dédiée à l’impressionnisme triomphant de Berthe Morisot (1879-1885), est organisée autour d’un détail de la peinture de François Boucher, „Vénus va demander ses armes à Vulcain“, détail repris par Berthe Morisot et exposée dans son salon-atelier, et qui tient valeur de manifeste. Un goût pour les tons clairs, un flou, un tremblé, une intimité, une incarnation sensuelle, sont des exemples pour les impressionnistes qui désirent saisir la vie au plus près. Le regard de Berthe Morisot sait appréhender dans la technique de ses peintres fétiches le mouvement et la lumière. Sans pour autant les copier. „C’est une pointe de XVIIIe exaltée de présent“, écrit Mallarmé. Et le critique d’art et collectionneur Philippe Burty: „Depuis le dix-huitième siècle, depuis Fragonard, on n’a point étalé avec une hardiesse plus spirituelle des tons plus clairs“.
Finesse et volupté
Les scènes du quotidien, les portraits, les jardins, sont des lieux de l’intimité féminine, des attraits pour le monde sensible, et nous assistons au surgissement d’instants privilégiés, comme autant „d’instantanés“.
En 1885, une exposition de pastellistes du XVIIIe siècle, notamment de Jean-Baptiste Perroneau, emporte l’enthousiasme de Berthe Morisot. Elle s’y adonne avec succès. Le pastel lui permet de franchir une nouvelle étape. Brossée à grands traits, „La Fillette ou jersey bleu“ (1886, pastel sur toile, 100×81 cm), dans une trame forte, livre la fillette à la lumière et à l’espace, il s’agit ici de transparence et d’harmonie, de couleurs subtiles et changeantes. Le pastel permet à Berthe Morisot une liberté de touche, une nervosité, une rapidité qui rendent l’instant plus beau encore, saisi dans sa légèreté.
Certes, Berthe Morisot prolonge l’art du XVIIIe siècle, mais à sa façon et en ouvrant la perspective impressionniste, elle est de son époque et multiplie les espaces comme autant de diffractions de la lumière. Les portraits sont des moments à partager dans le flux d’une intimité rendue avec finesse et sensualité. L’historien Henri Focillon écrit à son propos, en 1927: „Le génie du XVIIIe siècle, mais non pas son libertinage, revit dans ces images familières et choisies, qu’anime une sorte d’aérienne volupté.“

Infos
Berthe Morisot et l’art du XVIIIe siècle
Jusqu’au 3 mars 2024
Musée Marmottan Monet
2, rue Louis-Boilly
F-75016 Paris
www.marmottan.fr
Catalogue de l’exposition, 35 €
De Maart
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