M. Bayrou aurait-il, comme l’estimait Le Monde hier après-midi, „perdu son pari“? Certes, il a réussi de justesse à composer son gouvernement, et le faire valider par le président Macron, avant Noël. Mais en dépit de quelques nouvelles têtes, dont celle, aux Finances, un éminent spécialiste de ces questions, et qui passe pour avoir plutôt le cœur à gauche, le directeur de la Caisse des Dépôts et Consignations Eric Lombard, les grands équilibres politiques qui avaient présidé à la composition du cabinet précédent ont finalement prévalu, et très largement.
Ce qui pourrait poser très rapidement, à nouveau, la question du risque d’un vote de censure. „Bayrou ne passera pas l’hiver“, prédit ainsi, à l’extrême gauche, le chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, connu, certes, pour avoir tendance à prendre ses désirs pour des réalités, comme tant d’autres, mais dont le pronostic en forme de vœu de Nouvel An pourrait bien être assez largement partagé, y compris, sans pouvoir le dire, dans les rangs de ce que l’on n’ose plus guère appeler „la majorité“.
Comme pour le gouvernement Barnier, la survie de celui de François Bayrou pourrait bien dépendre, elle aussi, en effet, de la bonne volonté du Rassemblement national, dans la mesure où même la gauche modérée ne cache pas qu’elle ne se privera pas, lorsqu’elle l’estimera nécessaire, de voter une motion de censure. Et le fait que quelques-uns de ses anciens membres, même s’ils assurent n’avoir rien perdu de leurs convictions sociales, voire socialistes, aient accepté un portefeuille ministériel, n’est évidemment pas de nature à la faire changer d’avis. Tout au contraire, même, car elle considère qu’il ne s’agit que du débauchage de quelques personnalités qui étaient déjà en rupture ban avec le PS (surtout après l’alliance de ce dernier avec les mélenchonistes, ce qu’ils considèrent comme une désolante inféodation).
Or, le ministère Bayrou, qui tiendra son premier conseil des ministres le 3 janvier prochain, avec une déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale le 14, se retrouve face au même paysage électoral que son prédécesseur. Autrement dit celui que l’on appelle désormais la „tripartition“, c’est-à-dire la division du Palais-Bourbon – et, au-delà, de la classe politique française – en trois camps qui semblent décidément inconciliables et dont aucun n’est majoritaire : l’extrême droite, premier groupe parlementaire, mais dépourvue d’alliés, la droite modérée à peu près unie pour l’instant avec le centre macroniste, et la gauche dominée par une France Insoumise dont le PCF, le PS et les Verts ont bien du mal à se défaire.
Encore la réforme des retraites …
En bon centriste, mais aussi en fidèle militant européen, François Bayrou a toujours rêvé de faire travailler ensemble, non pas les deux extrêmes populistes, mais du moins les „hommes et femmes de bonne volonté“, comme il aime à dire, de la gauche, du centre et de la droite. Disons les sociaux-démocrates, pourquoi pas renforcer des écologistes (même si l’environnement n’est manifestement pas son obsession), les chrétiens-démocrates, ce qu’il reste des gaullistes, et des indépendants …
Et son ambition en arrivant à Matignon était donc de constituer, non pas nécessairement en termes de nominations ministérielles dans un premier temps, mais du moins au Parlement, ce qu’Edgar Faure, figure tutélaire du parti radical, appelait en 1968 des „majorités d’idées“. L’obstacle majeur qu’il lui faudrait réussir à surmonter pour y parvenir serait celui d’une annulation de la réforme des retraites, à savoir de revenir sur la hausse de deux ans de l’âge normal d’accès aux pensions de 62 à 64 ans décidée cette année pour éviter la mise en faillite du système, que la gauche et l’extrême droite ne cessent de réclamer.
M. Bayrou a évoqué l’idée d’ouvrir une concertation sur le sujet dans les mois qui viennent, mais sans suspendre, au moins pour l’instant, la nouvelle législation. Ce qui l’a, très vraisemblablement, empêché d’ouvrir enfin réellement son assise parlementaire, ne fût-ce qu’en s’assurant d’une neutralité à peu près bienveillante de la part des socialistes. Lesquels se rendent cependant bien compte que même si l’impopularité de M. Bayrou dépasse très largement celle, déjà élevée pourtant, de Michel Barnier lors de sa prise de fonction voici trois mois, ce désamour du corps électoral pourrait bien finir par atteindre l’ensemble de la classe politique.
En tout cas si, décidément, il n’y avait, dans les mois qui viennent, ni solution à la crise financière dans laquelle s’enfonce la France, ni sortie politique de cette instabilité gouvernementale qui évoque plus les pires moments de la IVe République que les promesses sur lesquelles avait été fondée la Ve.
De Maart
Bayrou sait manoeuvrer...il pourrait tenir jusqu en avril ou mai 2025 et dejouer le pronostic de Melenchon