28. Oktober 2025 - 9.25 Uhr
PortraitAuthentica de Martina Menichetti exhume les légendes oubliées pour les réinventer
Dans le nom d’Authentica, il y a déjà une promesse murmurée entre deux âges: la promesse d’une musique implantée mais mouvante, d’un souffle ancien qui refuse de se figer dans la poussière du passé. Sous cette bannière qui vibre, Martina Menichetti convoque les fantômes mélodiques d’un Luxembourg que peu connaissent, pour les entremêler aux mythes celtes; elle compose une histoire, mais aussi une géographie, des paysages qui traversent les siècles.
Le geste est politique: il s’agit de rendre audible une culture discrète et de l’arracher à l’exotisme dans lequel souvent on l’enferme
La formation n’est pas pour autant un simple hommage aux traditions et encore moins un exercice de style nostalgique; ce que propose Authentica, c’est une mémoire habitée par une musicienne dont le parcours est lui-même un pont, en l’occurrence entre l’Italie et le Luxembourg, sinon entre Angelo Branduardi et les terres celtiques. Si la musique du groupe sent parfois la brume des Highlands ou les landes bretonnes, elle porte aussi la chaleur minérale des vallées luxembourgeoises et le chant fragile des rivières où la légende affleure sous chaque pierre mouillée.
Le parcours
La trajectoire de Menichetti est sinueuse, à l’image de ses récits. Dès son plus jeune âge, avant d’être diplômée en flûte et en piano et avant de jouer avec Dan Ar Braz ou Anxo Lorenzo, elle croise le cornemuseur galicien Carlos Núñez qui l’invite à monter sur l’estrade; c’est le premier frisson d’une scène qu’elle ne quittera jamais. Plus qu’un baptême musical, cette rencontre marque une forme de transmission; c’est ce que Martina Menichetti fera, transmettre, à travers sa musique. Il faut imaginer ce moment comme le socle d’Authentica, après avoir fait partie de Dullemajik, un ancrage solide avant l’envol de Menichetti.

Fondé en 2019, mais suspendu par les vents contraires de la pandémie, la formation est stable aujourd’hui, avec une force tranquille et une équipe de musiciens aux horizons multiples. Guitare, claviers, percussions, accordéon, la texture est celle d’un tapis tissé à la main, chaque fil sonore venant d’un lieu différent, mais tous allant dans la même direction. Cette alchimie, c’est la même Menichetti qui la dirige et la module en puisant dans les airs traditionnels luxembourgeois, ceux qu’on ne chante plus que dans les marges ou dans les recueils oubliés, pour leur offrir un nouvel écrin. Dans „Chiberli“, elle déterre un air de danse dans le „Ronderëm de Lëtzebuerger Volleksdanz“ et l’interprète sur un Péckvillchen, ce sifflet en argile qu’on peut croire relégué aux échoppes folkloriques et qu’elle rend quasi mystique. Le geste est politique: il s’agit de rendre audible une culture discrète et de l’arracher à l’exotisme dans lequel souvent on l’enferme. Cette démarche, qui pourrait s’enliser dans l’archivisme, décolle par la voix de Menichetti entre la ferveur élégiaque de Joan Baez et la fougue d’une conteuse populaire.
L’ancrage et le souffle
Authentica n’est pas là pour maintenir l’identité dans l’ambre, mais pour lui permettre de circuler et de muter. Chez Menichetti, le folk fait office de langue vivante, il s’enrichit au contact des autres et se prête à l’invention. Ce désir de porosité se retrouve chez des artistes comme Lúnasa ou Anxo Lorenzo, qui refusent la pureté des genres au profit d’un dialogue fertile. Carlos Núñez, figure inspirante pour Menichetti, ou Julie Fowlis, qui réinvente le chant gaélique, tendent ce même fil entre l’enracinement et la réinvention. Plus au nord, Gwendal mélange flûtes et rock progressif dans un esprit voisin de Jethro Tull – un parallèle évident avec Authentica. Quant aux Belges de Hot Griselda ou Snaarmaarwaar, compagnons de studio, ils partagent ce goût pour les croisements inattendus. Tous creusent la même veine: celle d’un folk de traverse.

„Out in the Light“ (2025), l’album d’Authentica, témoigne de la fusion du folk, et suggère, dès le titre, la sortie de l’ombre d’une culture enfouie remise au soleil du jour. Chantés en luxembourgeois, en anglais ou en français, les morceaux envoient des échos du passé, comme des miroirs qui se regardent, pendant que les instruments traditionnels dialoguent avec des arrangements modernes, en se comprenant. Il y a une vibration commune aux musiques des peuples qui racontent en chantant ce qu’on n’a pas voulu archiver autrement. „Miller’s Valley Nightingale“ est inspirée par une légende locale alors que „Call of the Night“, chantée dans deux langues et jouée dans un clip tourné au château de Vianden, fait de la nuit un lieu de communion, où danser revient à se souvenir ensemble. Si le disque garde le grain du réel et la chaleur des corps, il y a aussi l’équilibre entre la richesse instrumentale, avec le percussionniste Amit Dhuri capable de passer d’un bodhrán irlandais à une darbouka du Moyen-Orient, et une narration qui coule de source. Cette précision se retrouve sur scène: la présence du groupe repose sur une intelligence dramaturgique héritée des expériences de Martina Menichetti dans l’opéra, mais qui, loin d’alourdir la performance, l’épure.
Avec Authentica, la tradition n’est pas un monument, c’est une rivière où s’entendent les voix des peuples, des bergers celtes, des ouvriers luxembourgeois, des conteurs ou des musiciens de rue. Toutes ces figures sont réunies dans un souffle.
De Maart
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