LittératureAu-delà des mots: Neimënster commémore la poétesse Anise Koltz 

Littérature / Au-delà des mots: Neimënster commémore la poétesse Anise Koltz 
Anise Koltz en 1964 Photo: collection CNL/Willem Enzinck

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En donnant son nom à un atelier de création et par une soirée de lecture, Neimënster a rendu hommage à la poétesse luxembourgoise Anise Koltz, disparue le 1er mars dernier.

Le Centre culturel de rencontre Neimënster avait commencé l’année 2023 en renommant sept de ses salles en hommage à autant de personnalités de la vie culturelle, économique et politique du pays. Elle a poursuivi ce travail mémoriel en cette rentrée en attribuant à un atelier de création le nom de la poétesse Anise Koltz, décédée le 1er mars à l’âge de 94 ans. C’est l’ancien greffe de la prison, là où les prisonniers étaient enregistrés à leur arrivée et que les visiteurs longent aujourd’hui immanquablement en entrant sur le site, qui lui est dédié. La salle accueille pour l’heure une exposition d’aquarelles de Jean-Jacques Laigre basées sur ses poèmes.

Vers … l’éternité

Anise Koltz était une habituée de cette maison de la poésie officieuse – le cœur en tout cas du Printemps des poètes – qu’est devenue le Centre culturel de rencontre. La poétesse y venait aussi bien pour lire ses textes que pour écouter ceux des autres. Ses mots ont de nouveau résonné ce 12 septembre dans la salle Edmond Dune à l’occasion de la soirée de célébration que l’abbaye avait préparée pour l’occasion, en lien avec le Printemps des poètes. Ce fut d’abord sa voix qu’on entendit avant que nombre de ses poèmes, souvent aussi courts qu’incisifs, soient lus.

La soirée ne pouvait pas trouver meilleur slogan que „Anise Koltz avec nous“. Ses mots lui survivront en effet à coup sûr longtemps, tant les questionnements existentiels dont ils sont le prolongement, sont atemporels: la quête de sens, de l’homme seul face à l’univers, dans un monde sans Dieu. Et dans un poème inscrit dans l’anthologie „Somnambule du jour“ qui lui valut la consécration du Goncourt de la poésie en 2018, elle semblait même en faire un programme délibéré: „Les poèmes/végètent parmi vous/sans antennes visibles/mais avec des tentacules/souterains/qui creusent dans vos terres/de multiples galeries.“

On retrouve d’ailleurs dans ses vers de nombreuses références à sa propre disparition, comme les lectures l’ont rappelé ce soir-là. „Nous avions fini par la croire éternelle, que cette mort si souvent évoquée depuis ses premiers textes ne la concernait pas“, faisait d’ailleurs remarquer le président du Printempos des poètes Luxembourg, Bruno Théret, dans son hommage à une „femme de coeur, d’engagement“, dont il a souligné „la simplicité, la discrétion, la gentillesse, le sens de l’écoute, de la famille, de l’amitié“.

„Un miracle pour nous“

Il y avait un décalage entre les mots sucés et recrachés par Anise Koltz, la dureté qu’elle pouvait exprimer à travers eux (par exemple: „Le langage/nous/envahit/comme le flux/de l’océan/Lorsqu’il se retire/du sable grince/entre nos dents“, lue par sa petite-fille) et sa manière d’être en société. Les deux poètes présents ce soir-là, Lambert Schlechter et Guy Goffette, ont rappelé chacun à leur manière cette douce contradiction. „Quand on compare ça à son magnifique sourire, on ne comprend plus rien“, a commenté Lambert Schlechter après la lecture du poème suivant: „Béni soit le serpent/qui m’apprit la désobéissance/Je me purifie/je ne prie plus/J’allume le feu de mon enfer/et je chante.“

Lambert Schlechter est entré „dans son orbite“ en 1961, quand elle est venue en voisine chez ses parents au Limpertsberg pour s’assurer de l’aide du jeune homme pour la tenue des journées de Mondorf (qui dureraient de 1963 à 1974), visant à rassembler les germanophones et les francophones. Le poète admet ne l’avoir fréquenté que superficiellement de visu, mais avoir „surtout fréquenté intensément dans ses poèmes“ l’autrice de cinquante recueils de poésie. Cela a commencé par ce qu’il appelle un „coup de timbale“, le poème ouvrant le recueil qu’il avait dans les mains: „Den Tag begraben/In einem Maulwurfshügel/Und vergessen/in welche.“ „Nous lisions jusque-là les expressionnistes allemands. Ce petit était un coup de massue sur le crâne des jeunes blancs-becs qui voulaient écrire.“ Ce qui était sensationnel aussi, c’est que cet auteur luxembourgeois soit édité dans les meilleures collections de poésie allemande et française. A l’époque, Anise Koltz écrivait encore en allemand, mais allait renoncer à la mort prématurée de son mari très présent et regretté, René, des séquelles des tortures nazies, à utiliser la langue de ses bourreaux. Mais ses poèmes étaient déjà traduits dans la collection bilingue de poètes étrangers „Autour du monde“, dirigée par Pierre Seghers avec une traduction d’Andrée Sodenkamp, „Le cirque du soleil“ (1966), à savoir „Enterrer le jour/dans la taupinière/Et oublier/dans laquelle“.

C’est le même poème qui a saisi Guy Gofette durant l’été 1970. „Ce fut un moment d’ivresse. Tout à coup tout avait changé pour moi.“ C’était „un miracle pour nous“, a témoigné ce défenseur acharné de la poésie d’Anise Koltz, qui songe que beaucoup de lecteurs et de critiques ont sans doute été trop décontenancés pour reconnaître la portée de son art. Il se rappelle d’une femme discrète, simple, chaleureuse, belle, posant des questions avec discrétion. C’était une poète imprégnée des romantiques allemands, dont la poésie se rapprochait de la philosophie, dit-il, qui n’hésitait pas à attaquer ses propres fondements, autant qu’elle attaquait les fondements des autres. C’est elle qui, rappelait Guy Gofette, a causé le scandale au Québec en lisant le poème suivant: „Dieu/je T’appelle/comme si Tu existais/Descends de Ta croix/il nous faut des bûches/pour nous chauffer.“

La ministre de la Culture, Sam Tanson, a évoqué avec pertinence une „femme engagée pour les voix étouffées et une femme libre qui s’est affranchie très tôt et a osé“, écrivant „des poèmes qui élèvent à la dignité d’être et d’être libres“. C’est peut-être là l’explication de ce décalage entre ses mots et son apparence. Dans le préambule de „Somnambule du jour“, elle écrit d’ailleurs: „Dans notre monde intérieur, nous sommes libres. Il n’y a ni contraintes ni obstacles.“ Tout n’a donc pas été dit sur Anise Koltz. „Les hommages se sont multipliés et perdureront, à travers notamment la recherche“, a parié Sam Tanson, en mentionnant le fonds Anise Koltz riche de 5.000 lettres déposées au Centre national de littérature.

L’ancien greffe de la prison est désormais dédié à une poète libre
L’ancien greffe de la prison est désormais dédié à une poète libre Photo: Neimënster/Rui Henriques