Au début des années 1990, les rockeuses reprennent le flambeau punk délaissé la décennie d’avant. The Slits ou The Runaways ont non seulement sorti d’excellents disques, mais elles ont ouvert une brèche; il aurait été dommage de s’arrêter là. Bikini Kill, Bratmobile ou L7 se font alors entendre à coups de paroles tranchantes et de guitares tout aussi coupantes, il y a également les fanzines aux noms éloquents, Hungry Girls ou Girl Germs, le mouvement riot grrrl déferle en Amérique, et au-delà. Pendant ce temps, en Angleterre, au milieu des nineties, apparait un girls band non pas punk, mais pop, qui popularise le girl power: les Spice Girls. Entre les deux, elle ne fait pas partie d’un groupe, elle est solo, elle est Canadienne, elle fait du rock hérité du punk ou bien elle fait, comme on dit à cette époque, du rock alternatif, avec quelques éclats d’un genre contemporain à son émergence international, le grunge – elle s’appelle Alanis Morissette.
Avant de sortir „Jagged Little Pill“ en 1995, Morissette publie „Alanis“ (1990) et „Now Is The Time“ (1992), deux disques distribués au Canada qui ne ressemblent pas à ce qui la fera exploser aux oreilles du grand public. Elle fait de la teen pop dance, sans qu’elle façonne non plus du Spice Girls avant l’heure; il s’agit d’un acte de naissance, ou d’un témoignage de jeunesse avant qu’elle devienne, comme PJ Harvey ou les riot grrrls, une figure de femme forte, une rockeuse.
Triomphe rock des années 1990

„Jagged Little Pill“ donc, un album de rockeuse qui se place – dans une unanimité indiscutable – parmi les plus importants des années 1990? L’un des disques rock parmi les plus imposants de cette décennie post-moderne? Les deux et plus encore, en fait: toutes les époques confondues et par-delà les genres musicaux, il s’agit de l’un des plus gros succès commerciaux, à ce jour il s’en est vendu plus de 33 millions d’exemplaires – à titre comparatif, le „Nevermind“ de Nirvana (1991) s’est écoulé à 30 millions de copies. Une figure de femme forte? Bien sûr. L’album démarre sur les chapeaux de roue avec un titre là encore éloquent, „All I Really Want“: Alanis exprime ce qu’elle souhaite ou, plus largement, dit tout ce qu’elle veut. Pour la suite, les chansons sont sans filtres, à la première personne du singulier et singulières. „You Oughta Know“ emploie le „tu“, à ’égard de son ex-copain, c’est une chanson qui annonce, par la même occasion, une thématique qui reviendra chez Alanis Morissette: les relations sentimentales et ses complications. Au milieu du lyrisme rock et du yodel, Glenn Ballard, qui a travaillé sur les énormes „Thriller“ (1982) et „Bad“ (1987) de Michael Jackson, coécrit et coproduit, Dave Navarro et Flea des Red Hot Chili Peppers sont de la partie et les tubes d’un bon calibre: hormi les morceaux précités, il y a „Hand In My Pocket“, „Head Over Feet“ ou encore „Ironic“. Il y a d’ailleurs une sacrée ironie dans cette histoire, en plus d’une revanche. À l’origine, aucune maison de disques ne s’avère intéressée par le disque. Sauf une: Maverick Records. Il s’agit du label fondé tout fraîchement par une chanteuse que certains, à ses débuts, auraient perçus comme un phénomène éphémère et qui est devenue la pop star ultime à la longévité dingue, la Queen of The Pop, à savoir … Madonna! En 2019, „Jagged Little Pill“ est adaptée en comédie musicale à Broadway.
Thérapie musicale
Après la célébrité vient la gueule de bois. Il faut prendre du recul, tant qu’à faire, prendre même de la distance. C’est ce que fait Alanis Morissette en filant en Inde pendant six mois avec des membres de sa famille; sur son album „Supposed Former Infatuation Junkie“ (1998), les chansons „Baba“ et „Thank U“ découlent de cette parenthèse salvatrice, physique et spirituelle. „Thank U“ devient un hit et le clip marque les esprits: Alanis déambule dans les rues de Los Angeles ou encore dans le métro … en tenue d’Eve. Sa longue chevelure recouvre ses seins et son sexe est flouté. L’idée n’est pas de donner à „Thank U“ une dimension sexuelle, mais de dévoiler la rockeuse sans ce qu’on pourrait appeler le maquillage des vêtements, Alanis met son ego de côté et révèle sa vulnérabilité, encore plus que nue, elle est à nu. Plus tard, les influences indiennes se ressentent en „So Called-Chaos“ (2004), sur „Eight Easy Steps“ ou „Knees Of My Bees“ avec la présence du sitar. Alors que Morissette jouait de l’harmonica et de la flûte, sur „Under Rug Swept“, séparée de son acolyte Glenn Ballard, elle joue de presque tous les instruments. En plus d’être une rockeuse à poigne et une songwriter ingénieuse, elle prouve à nouveau, par le contrôle total de ses créations, qu’elle sait ce qu’elle veut.
En concert
Alanis Morissette, en concert ce mardi 24 juin à 19.00 h à la Rockhal (5, av. du Rock’n’Roll
L-4361 Esch/Alzette), plus d’infos: rockhal.lu
Et l’artiste d’en remettre une couche en ce qui concerne ses désirs dans „21 Things I Want In A Lover“, Alanis publie, en musique, une petite annonce à propos de ce qu’elle recherche chez un homme; nous sommes en 2002 et le morceau préfigure quelque part les sites de rencontres où les critères peuvent être des tags ou des cases cochées pour envisager ou non une compatibilité. Pour le reste, Alanis Morissette continue d’être directe, frontale, tranchante, rock, et ce qu’elle parle encore de douleurs amoureuses, d’insomnies („Losing The Plot“), d’addictions („Reasons I Drink“) ou de dépression post-partum.
La musique peut-elle être thérapeutique? En 2016, la Canadienne lance „Conversation with Alanis Morissette“, soit un podcast mensuel où elle s’entretient avec des médecins, éducateurs et thérapeutes, achevant ainsi un travail spirituel bien entamé par la musique, pour elle comme pour n’importe qui voudrait l’écouter. En 2022, au revoir le rock, la guitare se fait apaisante, le synthé fait des boucles, le gong retentit, Alanis Morissette ne chante plus: „The Storm Before The Calm“ est un disque de méditation, spirituel, profond, très bon. En période de chaos, il fait le plus grand bien. On dit alors „thank u“ Alanis.
De Maart
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